Les Ivoiriens face au discours de Gbagbo


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Laurent Gbagbo, le président de la République de Côte d’Ivoire reconnu par le Conseil constitutionnel, est sorti de la réserve qu’il gardait depuis sa dernière rencontre avec la délégation Atchan, au palais présidentiel. Mardi soir, il s’est adressé officiellement à l’ensemble des populations ivoiriennes sur les antennes de la télévision nationale (RTI). Cette adresse à la nation, largement suivie par les Ivoiriens, nourrit tous les débats ce mercredi chez les pro-Gbagbo comme les pro-Ouattara.

Une volonté d’ « apaisement», « une adresse tardive », « un discours creux »… C’est en substance ce qui ressort des avis des Ivoiriens que nous avons interrogés ce mercredi au sujet du discours que le président Laurent Gbagbo a tenu hier soir à la télévision nationale. Ce dernier, qui a réaffirmé sa légitimité, a déclaré qu’il ne voulait « pas de guerre » en Côte d’Ivoire et invité son rival, Alassane Ouattara, au dialogue. Pour Huberson Digbeu, journaliste au quotidien indépendant L’intelligent d’Abidjan, cette prise de parole dénote une volonté d’apaisement et de dialogue avec ses adversaires politiques. Carine Lamidi, coiffeuse d’une trentaine d’années propriétaire du salon Canaan beauté à Angré Ladjibi, est d’accord au moins sur un point du discours : « Nous ne voulons pas de guerre civile en Côte d’Ivoire ». Mais, bien qu’elle soit satisfaite que Laurent Gagbo ait enfin rompu le silence, elle estime que « son discours vient en retard ». Enfin, elle émet des doutes sur l’opportunité qu’il y avait à organiser le scrutin présidentiel cette année. Pour elle, le processus de sortie de crise a été « biaisé depuis le début, avec une rébellion (…) qui n’avait toujours pas désarmé pendant la tenue des élections ». Pour Carine, « les signataires de l’accord politique de Ouaga, sont allés à la paix sur papier » alors même que « rien n’était résolu dans la réalité ».

Pas toujours facile de recueillir le point de vue des pro-Ouattara à Abidjan. B.B., journaliste dans un quotidien soutenant le RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix), se refuse à exprimer tout commentaire. « Les gens ne verront pas mon avis sur la question comme objectif, ils verront le combat et la ligne éditoriale du journal qui reste pro-ouattara », explique-t-il. Mais Sangaré Yacouba, son confrère, n’est pas de cet avis. Journaliste au quotidien Le Patriote, pro-ouattara, il accepte de donner son avis « d’être humain » sur la crise postélectorale en général et l’adresse du « Chef d’Etat » en particulier. Comme nous l’avait déclaré Mme Lamidi, il estime, lui aussi, que « le discours vient en retard ». De plus, il ne le juge pas sincère. « C’est une main tendue inopportune qui n’est pas empreinte de sincérité », déclare le journaliste, qui aurait souhaité que Laurent Gbagbo commence par le dialogue plutôt que l’épreuve de force. Sangaré Yacouba se dit aussi « chagriné » par le bilan que Laurent Gbagbo a fait des affrontements du 16 décembre dernier. « J’étais sur le terrain ce jour-là, et j’ai vu plus de morts. Une cinquantaine, et non une vingtaine comme le Chef de l’Etat l’a dit dans son discours. C’est une insulte à la mémoire des victimes du jeudi dernier que de ne pas donner le nombre réel des victimes. » Son avis est sans appel : le Président Laurent Gbagbo doit quitter le fauteuil présidentiel. « La meilleure façon de résoudre cette crise est de poser des actes. Il ne faut pas se cacher derrière la constitution », conclut-il.

L’informaticien Arsène Brou, militant RHDP, a trouvé le discours de Laurent Gbagbo « creux ». Et il s’interroge sur ce que pourrait bien être « le contenu du dialogue » que propose ce dernier en s’adressant à ses adversaires en tant que président de la République alors qu’il y a « encore et toujours deux présidents pour un fauteuil ».

Nombre d’Ivoiriens sont las de cette crise, pressés, à la veille des fêtes de fin d’année, de voir la vie retrouver son cours normal. Un sentiment que partage Huberson Digbeu pour qui peu importe celui qui conservera le fauteuil présidentiel. « La question pour moi, nous explique-t-il, n’est pas de savoir qui de Ouattara ou de Gbagbo doit diriger la Côte d’Ivoire, comme s’en préoccupe la communauté internationale. » Son inquiétude va plutôt vers la population ivoirienne qui, selon lui, devra encore attendre des années pour sortir de la pauvreté et de la misère dans laquelle « ces politiciens l’ont plongée pendant onze ans. » Très amer, Huberson s’interroge sur les centaines de milliards de francs Cfa qui, au lieu de servir aux populations, ont été « injectés » dans le processus de sortie de crise dont la phase finale, les élections, était censée donner de l’espoir aux populations. Pour lui, ses concitoyens ne sont plus aujourd’hui que « les victimes de l’intérêt égoïste des politiciens ivoiriens».

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