L’argent, talon d’Achille de Gbagbo


Lecture 7 min.
arton21532

La zone franc CFA, dont il a été un fervent défenseur, est devenue une épine dans le pied de Laurent Gbagbo dans sa conquête de la présidence ivoirienne. Il ne souhaite pas la céder à Alassane Ouattara, président élu selon la Commission électorale indépendante et reconnu par la communauté internationale. Sa signature ne serait plus valable selon Paris qui assure, entre autres, la parité fixe du franc CFA avec l’euro. Privé de l’aide des bailleurs de fonds, comment le gouvernement Gbagbo pourrait assurer le paiement des salaires des Ivoiriens en cette fin d’année ? Privés d’argent, leur grogne devient une menace crédible pour Laurent Gbagbo.

Dans sa panoplie de combattant contre l’impérialisme français, Laurent Gbagbo, président ivoirien désigné par le Conseil constitutionnel, n’a peut-être jamais imaginé qu’il serait rattrapé par le fait monétaire. La Côte d’Ivoire, pays de la zone franc CFA – géré par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) « qui joue le rôle de banque des banques primaires et des trésors nationaux » -, jouit d’une parité fixe avec l’euro, en droite ligne de celle qui liait le franc français au franc CFA. Les Etats de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) ont signé avec la France une « convention de compte d’opérations ». Dans ce cadre, les pays membres de l’union « doivent centraliser, dans un Compte d’opérations, ouvert au nom de la BCEAO dans les livres du Trésor français, 65% de leurs avoirs en devises et autres moyens de paiement internationaux », précise un document de la banque centrale. « En contrepartie de la centralisation des réserves de change, un découvert peut être consenti à la BCEAO au compte d’opérations, si les disponibilités propres s’avèrent insuffisantes pour faire face aux engagements extérieurs des Etats membres ». Dans le détail, les mouvements financiers sont effectués au titre des Etats représentés par leurs Présidents.

Une « seule signature bancaire valable », celle de Ouattara

C’est en connaissance de cause que Michèle Alliot-Marie, le nouveau ministre français des Affaires étrangères affirmait ce mercredi : « Il faut maintenir la pression (sur Laurent Gbagbo), voire l’augmenter notamment par le fait que la seule signature bancaire valable pour l’Etat ivoirien c’est désormais celle de M. Ouattara ». Sur le site de Laurent Gbagbo et les médias publics ivoiriens, devenus la caisse de résonnance de ce dernier, on assure le contraire. La Banque mondiale aurait reçu « le 9 décembre dernier du gouvernement du Président Laurent Gbagbo, un chèque de 1,5 milliard de Fcfa représentant une partie de ses créances ». Il aurait été signé par le ministre de l’Economie et des Finances du gouvernement Gbagbo, Désiré Dallo. Et l’article de conclure : « Ce qui montre, in fine, que les problèmes de signature (…) ne sont, en réalité, que du bluff ». Par ailleurs, la « seule » signature reconnue par la BCEAO serait « celle du ministre Désiré Dallo (…) parce que les autorités ivoiriennes ont pris des dispositions légales pour qu’il en soit ainsi ».

En dépit de ces déclarations, la sortie de Michèle Alliot-Marie ébranle le gouvernement mis en place par Laurent Gbagbo qui n’a jamais remis en cause l’appartenance de son pays à la zone franc. « Aujourd’hui, huit pays dans la sous-région, membres de l’Uemoa, ont en commun la même monnaie, le franc CFA. Grâce à cette expérience et malgré ses limites, leurs économies savent résister aux chocs extérieurs et intérieurs. Fort de cette expérience, je soutiens que rien ne devrait être entrepris pour saborder la monnaie commune ou l’affaiblir. », écrivait-t-il dans l’un de ses ouvrages. Cet indéfectible soutien à la sone franc est l’un de ses principaux points d’achoppement avec l’un de ses compagnons de lutte au Front populaire ivoirien (FPI), Mamadou Koulibaly. Le président de l’Assemblée nationale, responsable du nouvel institut Audace Institut Afrique et l’un des maîtres à penser du parti de Laurent Gbagbo, estime que « le franc CFA maintient la Zone Franc en dehors de la mondialisation ». Il constitue, déclarait-il encore récemment dans un entretien, « un obstacle au développement » des pays concernés.

Salaires des fonctionnaires : Gbagbo se veut rassurant

Les institutions de Bretton Woods et la Banque africaine de développement (Bad) ont coupé leurs crédits à la Côte d’Ivoire depuis le début de la crise post-électorale. Laurent Gbagbo se retrouve ainsi dos au mur. La porte-parole de son gouvernement, Jacqueline Lohoues Oble a accusé Alassane Ouattara, président élu selon la Commission électorale indépendante, de prendre des « initiatives (…) en vue de désigner de nouveaux représentants dans les organes de l’Uemoa ». Elle a également dénoncé la « volonté » d’Alassane Ouattara « et de ses soutiens régionaux et internationaux de faire jouer à la BCEAO un rôle politique qui n’est pas le sien » tout en mettant en exergue le rôle de « locomotive » de son pays dans l’union, « même pendant cette crise ». L’actuel gouverneur de la banque centrale, l’Ivoirien Philippe-Henri Dacoury-Tabley, a été désigné par Laurent Gbagbo. La présidence de la Bceao revient toujours de fait à la Côte d’Ivoire qui représente 40% des réserves de la banque.

Des mots et bientôt des actes. Le gouvernement Gbagbo s’évertue à rassurer les Ivoiriens quant à sa capacité à leur verser leurs salaires à compter du « 22 décembre » prochain. L’information diffusée cite une source, « suffisamment crédible pour ne souffrir aucun doute », qui s’est exprimée ce lundi. Selon elle, « les régies financières vont réussir à mobiliser – et c’est quasiment fait – 100 milliards de Fcfa de ressources financières nécessaires (recettes fiscales, douanières et autres ressources parapubliques et appuis attendus) au paiement des salaires ». Une somme qui serait « largement » supérieure aux obligations financières de l’Etat en la matière. « La masse salariale mensuelle des fonctionnaires et agents des établissements publics nationaux (EPN) », les militaires compris, serait « d’environ 70 milliards de Fcfa ». « Mais si l’on y ajoute les arriérés salariaux auxquels l’Etat devra faire face en ce mois de décembre 2010 (environ 23 milliards de Fcfa), son engagement total vis-à-vis des personnes susmentionnées se situe dans la fourchette de 93 milliards de Fcfa », poursuit l’article.

Laurent Gbagbo acculé

Mais le camp Gbagbo pourra-t-il mobiliser les ressources nécessaires quand l’activité économique est au ralenti depuis ces dernières semaines ? Les troubles de ces derniers jours n’ont fait qu’amplifier une apathie économique que connaît le pays depuis le premier tour de la présidentielle, le 31 octobre dernier. « A la fin de l’année, les entreprises doivent normalement s’acquitter de leurs impôts. Mais dans l’état actuel du pays, elles objecteront qu’elles n’ont pas de quoi payer », explique un banquier international. Les menaces du directeur général des impôts, Lambert Feh Kessé, ne devraient rien y changer. Il a déclaré mardi dernier, selon le site officiel de Laurent Gbagbo, « que l’Etat de Côte d’Ivoire, incarné par le président Laurent Gbagbo constitutionnellement élu, ne saura tolérer les comportements antirépublicains ». Quant aux autres sources de revenus, notamment les recettes tirées de la vente du cacao et du café, qui ont jusqu’ici alimentées les caisses de l’Etat ivoirien et du régime Gbagbo, elles ne seront qu’un pis-aller. « Connaissant la situation de la Côte d’Ivoire, les acheteurs internationaux obligeront leurs interlocuteurs ivoiriens à brader leur production puisqu’ils savent qu’ils ne disposent d’aucune autre ressource financière extérieure », poursuit le banquier africain.

Si Alassane Ouattara n’a pas réussi à mobiliser les foules pour écarter Laurent Gbagbo du pouvoir, le mécontentement probable des Ivoiriens pourraient lui faire obtenir gain de cause. A quelques jours des fêtes de fin d’année, les fonctionnaires ivoiriens attendent impatiemment leur dû. Dans l’hypothèse où Laurent Gbagbo tiendrait ses engagements financiers envers ses compatriotes, la trêve devrait durer « tout au plus trois mois ». Autrement, en plus des menaces de la communauté internationale, Laurent Gbagbo devra faire face à celle de la communauté nationale. L’arme monétaire et ses effets collatéraux auraient alors raison des ambitions présidentielles du « boulanger » de la politique ivoirienne. En matière d’argent et parce qu’attachés aux plaisirs de la vie, les Ivoiriens n’aiment pas être roulés dans la farine.

Lire aussi:

 Gbagbo – Ouattara : l’argent est le nerf de la guerre

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News