« Benda Bilili ! », un conte de fées congolais


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Renaud Barret

Au raz du bitume et de la poussière des rues défoncées de Kinshasa (RDC), Renaud Barret et Florent de la Tullaye ont filmé pendant cinq ans, de 2004 à 2009, les membres du groupe congolais Staff Benda Bilili. Paraplégiques, boiteux, enfants des rues, ils étaient mal partis dans la vie, foudroyés par le sort. Mais leur exceptionnel talent musical et la rencontre avec les deux réalisateurs français a changé leur destin. Désormais, ils sont applaudis dans les plus grandes capitales d’Occident. C’est cette exceptionnelle ascension que raconte Benda Bilili, un film qui sort en salle ce mercredi en France.

Le rêve de Ricky, 55 ans, le leader du Staff Benda Bilili, est devenu réalité. Après des années d’errance, de galère et de persévérance, le talent de son groupe est enfin reconnu. Il s’est hissé « des rues de Kinshasa au triomphe international ». Après l’album Très très fort, paru en 2009, voici maintenant le film Benda Bilili, qui a fait l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes en mai dernier. Renaud Barret et Florent de la Tullaye, les réalisateurs, sont français, congolais d’adoption. Depuis six ans, ils vivent à Kinshasa où ils ont décidé de construire leurs nouvelles vies, leurs studios et maison de production, La Belle Kinoise. Renaud Barret nous a accordé un entretien.

Afrik.com : Comment avez-vous rencontré le Staff Benda Bilili ?

Renaud Barret : Par pur hasard, lors du tournage de notre premier film, une nuit dans la rue. Nous étions en train de réaliser La danse de Jupiter, un documentaire 100% musical sur toutes les scènes du ghetto de Kinshasa.

Afrik.com : Pourquoi vous êtes-vous intéressés à eux en particulier ? C’est leur handicap qui vous a touchés ?

Renaud Barret : Non. On n’a jamais fait de l’humanitaire. On a aimé. Ils auraient eu des jambes, on aurait filmé aussi. Ricky nous a ouvert les portes d’un monde auquel on aurait même pas rêvé d’accéder. En plus, il y a le côté social. Les musiciens du Staff Benda Bilili sont légitimes, ils dormaient sur le trottoir. Ils jouent le vrai blues de la rue.

Afrik.com : Quand a démarré le tournage du film ?

Renaud Barret : On a commencé à filmer le groupe en 2004, parce qu’on avait envie de matière. On n’avait pas de studio, mais on filmait. Au bout de trois ans, nous avons constaté que nous avions plus de 200 heures de rushes, et on s’est dit : « Ouais ! ». En plus, quand on a vu qu’une maison de disque était avec nous dans la coproduction, on s’est dit : « Ok, on y va ! » On n’avait pas de scénario, seulement des images. On s’est lancé.

Afrik.com : Comment s’est déroulé le tournage avec le groupe ?

Renaud Barret : Avec eux, il n’y a eu aucun problème. Pour Ricky, c’était clair, il fallait qu’il y ait des images, un support promotionnel. Donc lui et les musiciens du groupe ont pris ça comme un boulot, de manière très professionnelle. Nous, de notre côté, on leur a dit : « Laissez-nous filmer, et ne nous embêtez pas avec des histoires d’argent, on n’en a pas ! Vous n’avez qu’à regarder les endroits où on vit pour vous en convaincre. » On est partis sur l’idée que ce film, c’était notre travail collectif. L’idée était bien intégrée que ce boulot bénéficierait à eux comme à nous.

Afrik.com : Les musiciens du groupe sont-ils intéressés financièrement au projet ?

Renaud Barret : Oui ! Il est prévu qu’ils reçoivent environ 10% des recettes du film. Mais, en plus, il y a le problème du documentaire. Est-ce qu’on rémunère les gens pour un docu ? On était partis sur le principe simple que notre travail leur permettrait d’être connus. Mais le quotidien de ce groupe au jour le jour te coûte 200$ par jour. Il y a toujours quelqu’un à dépanner, de l’essence à faire pour celui-ci, aider à réparer le fauteuil de celui-là, le resto, les coups à boire…

Afrik.com : Comment expliquer que votre film sorte directement au cinéma, alors que l’essentiel des documentaires sont diffusés seulement sur le petit écran ?

Renaud Barret : Le film raconte quelque chose au-delà de l’odyssée d’un groupe qui va émerger. Il y a plein d’autres choses à l’intérieur : le pouvoir de la musique, la détermination, la volonté, qui apportent une autre dimension que dans un documentaire musical classique. De plus, la production, Screenrunner, a fait un boulot en amont qui a payé. Dans l’ombre, elle a fait beaucoup d’efforts pour qu’on soit là.

Afrik.com : Comme il est inscrit sur les affiches de votre film, le Staff Benda Bilili est passé « des rues de Kinshasa au triomphe international ». Comment expliquez-vous cette ascension fulgurante ?

Renaud Barret : Par leur talent d’abord. Ensuite, notre travail, notre persévérance ont joué. Mais c’est surtout le réseau de Crammed, la maison de disque, qui a eu un bel effet.

Afrik.com : Le Staff Benda Bilili reste très peu connu à Kinshasa. Pourquoi ?

Renaud Barret : Les Kinois manquent de curiosité. Ils sont surtout dans un système féodal par rapport aux artistes. Koffi Olomidé, Papa Wemba, Werrason… il y a des pointures très connues qu’on voit beaucoup. Mais les musiciens du Staff Benda Bilili dérangent. Le handicap, c’est très mal vu au Congo. La société bantoue est encore prisonnière de certaines conceptions… Les artistes qui occupent le haut du pavé roulent dans des Hummers acquis dans des conditions douteuses. L’existence même des Staff Benda Bilili, sans argent, sans logis, en dit long sur l’état du pays.

Afrik.com : Avez-vous d’autres projets en préparation avec le groupe ?

Renaud Barret : Avec le Staff, non. Ricky voudrait qu’on fasse un volume 2, mais on est arrivé à un point de saturation. Le film, j’en ai rêvé, j’en ai bouffé… Maintenant, les musiciens du groupe sont à un point où ils doivent faire des choix. On peut toujours leur donner des conseils, nous sommes amis. Mais il y a d’autres artistes qu’on veut soutenir, toujours à Kinshasa. On veut les produire, toujours en les filmant. On a nos studios maintenant à « Kin ».

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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