Michel Kodom, l’homme qui piste le VIH dans les campagnes togolaises


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Ceux qui ont fait le déplacement

Président de l’ONG Aimes-Afrique, le médecin Michel Kodom rentre de sa première campagne de dépistage du VIH-Sida, conduite la semaine dernière, dans la région proche de la ville de Kara, au Nord du Togo. En sept jours, il pensait dépister 5 000 personnes, ce sera finalement plus de 7 000 Togolais qui ont découvert leur sérologie. Une satisfaction pour le médecin. Entretien.

Docteur en médecine, le Togolais Michel Kodom est le très infatigable président de l’ONG Aimes-Afrique. Avec son hôpital ambulant et une équipe dynamique, il sillonne le Togo depuis 2006 pour apporter des soins aux populations qui peinent à y accéder. L’ONG éduque également les personnes rencontrées sur les risques liés à un manque d’hygiène lors de causeries-conseils. Cette année, à l’occasion de la période festive des Evala, événement culturel autour de la lutte traditionnelle se déroulant dans le Nord du pays et comme un écho à la 18e Conférence sur le sida qui s’est achevée vendredi dernier, il a décidé de lancer la toute première campagne de dépistage du VIH-Sida dans la région montagneuse de la Kozah. Avec une équipe de 88 bénévoles – médecins, infirmiers, assistants médicaux, étudiants en médecine et l’université de Kara -, Michel Kodom a permis à plus de 7 000 personnes de connaître leur sérologie.

Ceux qui ont fait le déplacementAfrik.com : Quelles étaient vos objectifs en venant faire campagne de dépistage à Kara durant cette période des Evala Togo ?

Michel Kodom :
Notre objectif principal était de sensibiliser les populations sur le VIH-Sida lors de cette grande manifestation culturelle à laquelle près de 500 000 personnes prennent part. C’était une belle occasion de toucher un maximum de monde, notamment dans tous les villages et pas seulement dans la ville de Kara. Nous voulions apprendre aux gens à porter correctement le préservatif, les sensibiliser au dépistage et leur expliquer que cette maladie n’est plus une fatalité. Nous sommes très satisfaits, c’est pour nous une réussite. Nous avons été surpris de cet engouement. Nous nous attentions à dépister 4 000 à 5 000 personnes tout au plus, nous en avons dépisté 7000. Nous avons même manqué de kits de dépistage durant la campagne.

Afrik.com : Comment avez-vous géré cette pénurie ?

Michel Kodom :
Nous avons lancé une nouvelle commande dans la semaine en direction des centres médicaux de Lomé pour pallier au manque que nous sentions venir. Déjà au quatrième jour, nous constations que notre stock ne pourrait suffire à couvrir les trois jours restants. Nous avons obtenu 2 200 kits supplémentaires. Ce qui nous a permis de continuer le travail. C’est la difficulté majeure que nous avons rencontrée sur le terrain. Il a également fallu gérer la foule, ce qui nous a parfois fait perdre du temps les deux premiers jours. Nous avons aussi dû maîtriser les différents lieux où se déroulaient les luttes des Evala pour toucher, encore une fois, le maximum de gens.

Afrik.com : Cette campagne de dépistage du sida s’inscrit dans un cadre plus vaste. Quelles sont les priorités de votre ONG ?

Michel Kodom :
Notre objectif est simple : apporter des soins aux populations reculées et les éduquer pour leur permettre d’avoir une meilleure santé, et par conséquent améliorer leurs conditions de vie. Nous donnons des conseils basiques à des personnes qui ignorent les gestes simples pour réduire le risque de contracter des maladies et rester en forme. Les deux volets qui nous caractérisent sont la santé et l’éducation. La santé est primordiale à une vie épanouie, l’éducation aussi. Nous étions une association depuis 2005. Nous avons acquis le statut d’ONG au début de l’année 2010.

Afrik.com : Comment avez-vous eu l’idée d’amener l’hôpital aux populations qui vivent à l’intérieur du pays ?

Michel Kodom :
Lors de ma formation médicale, j’ai eu l’occasion d’exercer durant trois mois à l’intérieur du pays, à Sokodé, à plus de 300 km au Nord de la capitale. J’y ai découvert que de simples pathologies telles que des morsures de serpents ou les maladies diarrhéiques avaient des conséquences dramatiques alors qu’elles se soignent facilement à Lomé. Les populations n’y avaient pas les moyens de se prendre en charge, aucun spécialiste n’y était installé et les généralistes tout simplement débordés. Cela m’a ouvert les yeux sur les besoins criards de ces localités. C’est la même chose à Bafilo, Mandouri, Pagouda ou encore Kara.

Les bénévoles de l'ONG Aimes-AfriqueAfrik.com : Comment avez-vous trouvé votre équipe sur le terrain ?

Michel Kodom :
J’ai trouvé mon équipe formidable. Ils ont tout de même été mobilisés de 7h à 20h tous les jours depuis dimanche. Ils sont tous bénévoles, même s’ils reçoivent des primes pour les motiver davantage. J’ai eu la chance d’être entouré d’une équipe compétente, du coup, la phase conseil dispensée en langue française et/ou kabyé a été réussie, car il n’y a pas eu de scandales majeurs de la part de personnes découvrant leur séropositivité. Tous les patients ont bien compris le message : avoir un comportement prudent et une bonne hygiène, accepter sa maladie parce qu’elle peut être prise en charge, et enfin, se faire suivre par la suite pour les malades ou refaire un test dans trois mois pour les autres. Sur place, nous avons aussi eu le concours efficace des jeunes de l’association anti-sida de l’université de Kara. Ils possédaient déjà de bonnes notions sur la maladie et s’étaient préparés à nous aider.

Afrik.com : Quel bilan tirez-vous de cette première campagne ?

Michel Kodom :
Sur un total de 7 175 personnes dépistées, nous avons trouvé 105 cas positifs pour 7022 cas négatifs et 48 cas indéterminés. Cela correspond à un taux de prévalence de 1,46% alors que le pourcentage du territoire national est de 3%. Cela nous fait une moyenne de 1000 personnes dépistées par jour sur une semaine, c’est un nombre important et encourageant. Cette campagne possède également un volet accompagnement pour les personnes qui découvrent leur séropositivité lors de nos tests. Nous avons prévu que des bilans pré-thérapeutiques gratuits et des ARV leur soient accessibles dans les centres médicaux de la région pour une prise en charge par la suite. Ils ne seront pas abandonnés.

Afrik.com : Aimes-Afrique aura-elle un regard sur le suivi des patients à qui vous avez révélé leur séropositivité ?

Michel Kodom :
Bien sur ! Le docteur Saï-bou est praticien au CHR de Kara-Tomdé, il est également médecin à Aimes-Afrique. Il se chargera du suivi et nous rendra compte en tant que coordonateur de cette première campagne. Notre objectif c’est également que les malades aient le choix des centres qu’ils souhaitent fréquenter.

Afrik.com : Lors de cette campagne, vous organisiez des causeraies qui ont permis d’échanger brièvement sur le VIH-Sida. Prévoyez-vous d’autres actions similaires ?

Michel Kodom :
Nous souhaitons revenir ici dans un an pour réunir tous les patients que nous avons vu ces jours-ci, canton par canton. Nous échangerons à nouveau avec eux. Ce sont des populations déjà sensibilisées car elles ont accepté de faire le test, c’est pourquoi nous souhaitons nous appuyer sur elles pour diffuser l’information. J’ai par exemple le cas d’une dame dépistée dans le canton de Pya qui est revenue deux jours plus tard dans le canton de Lassa pour faire dépister ses deux sœurs. Même après notre départ et l’arrêt de la campagne médiatique, le bouche à oreille continuera de fonctionner.

Afrik.com : Où aura lieu votre prochaine campagne ?

Michel Kodom :
Au mois d’août, nous serons dans la région maritime, à Tsévié plus exactement, pour la même campagne à l’occasion de la fête du haricot encore appelé Ayizan. Nous prévoyons les mêmes moyens, le même effectif et 3 000 kits.

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