Théo Ananissoh livre un plaidoyer pour la dignité


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Le troisième roman de l’écrivain togolais Théo Ananissoh, Ténèbres à midi, est paru aux éditions Gallimard (collection Contient noir) en janvier dernier. Pour le narrateur, il s’agit d’un retour utile : mettre dans un livre les lieux et les paysages de son enfance au Togo. Ce qu’il découvre, adulte, est une autre face du pays. Il en tire un récit épuré et sans concession de la perception de soi et de ses origines.

Le narrateur de Ténèbres à midi est un écrivain togolais vivant en Allemagne – comme l’est Théo Ananissoh –, qui décide de retourner quelques jours dans son pays après de longues années d’exil. Il y trouve la matière de son futur roman, en faisant la rencontre d’Eric Bamezon, un intellectuel brillant et progressiste qui, lui, a fait le choix de rentrer dans son pays après ses études et de se mettre au service du gouvernement. Mais assumer le rôle de conseiller à la présidence de la République, dans une dictature, ne laisse pas indemne. A-t-il bien fait, finalement, de rentrer au pays? Lequel de Bamezon ou du narrateur a pris la meilleure décision? Théo Ananissoh, 48 ans, signe avec ce roman une œuvre forte, qui interroge le lecteur sur l’Idéal et ses limites. Il est aussi l’auteur des romans Lisahohé (2005), et Un reptile par habitant, paru en 2007 chez Gallimard, dans la collection Continent noir. Entretien.

Afrik.com : Comme vos deux romans précédents, Ténèbres à midi raconte une sorte de retour au Pays, un séjour au Togo. Après tant d’années de vie en Europe, le regard sur l’Afrique et le pays natal change-t-il ?

Théo Ananissoh :
Retour au pays, oui, mais un pays qui n’est pas nommé ; ce n’est donc pas forcément le Togo. C’est un récit romanesque que j’ai écrit, et l’histoire est fictive. Celui qui sort et qui revient chez lui après une vingtaine d’années change de regard, sans aucun doute. Son regard est déshabitué pour ainsi dire, et cela me paraît être la condition pour une réflexion sur soi. Je cherche à élaborer, au fur et à mesure de mes romans, une sensibilité ; et cela demande d’échapper aux sentiments convenus.

Afrik.com : Dans ce roman, le narrateur entre en contact avec un certain Eric Bamezon, un conseiller à la présidence de la République. Cet homme, apparemment victime de rituels criminels, trouve une mort mystérieuse, suicide ou assassinat. On se demande : est-ce une fiction ou la réalité ? Voulez-vous décrire un côté négatif de l’Afrique, celui des dirigeants malhonnêtes ?

Théo Ananissoh :
Les deux. Je m’explique : Eric Bamezon est un personnage tout à fait fictif, mais ce qui lui arrive est de l’ordre hélas de la banalité en Afrique. Je n’ai pas inventé ce fameux « rite présidentiel » qui l’a « bousillé » selon le mot d’un autre personnage du roman ; ni les histoires de femmes contraintes ou violées. Tout ce qui est décrit est vrai ; c’est l’histoire en tant que cet enchaînement précis de faits, de gestes et de personnages nommés Eric, Nadine, Cynthia, etc. qui est fictive.

Afrik.com : Dans votre roman, il y a une phrase qui m’a stupéfiée : « N’ai-je pas peur de l’Afrique, en réalité ». Avez-vous peur de l’Afrique ?

Théo Ananissoh :
C’est le narrateur qui se pose cette question ; narrateur qui n’est pas moi, bien entendu. La phrase survient dans un contexte d’interrogations douloureuses à la suite de la mort de Bamezon. Le narrateur s’interroge sur sa propre attitude face à tout ce qu’il redécouvre. Cela dit, ce n’est pas une question si étonnante que cela, à mon sens. Il ne faut pas donner au mot « peur » ici un sens proche de l’idée de couardise, mais plutôt de celle d’horreur et d’aversion.

Afrik.com : Le narrateur, comme vous-même, est écrivain, Africain, résidant en Allemagne. Il se voit confronté à la question de savoir où lui, établi en Allemagne et écrivant en français, se situe. J’aimerais vous poser cette question car, actuellement, plusieurs auteurs issus de l’Afrique discutent vivement la notion d’« auteur africain ».

Théo Ananissoh :
Vous avez raison de me poser une telle question. C’est en effet un sujet de réflexion très présent dans mon roman. Qu’une telle question fasse débat est significatif. Quand vous pensez aux auteurs africains, il ne faut jamais oublier que ce sont des gens qui ne sont pas nés dans un Etat protecteur, dans une société organisée ; ils n’en ont pas l’expérience ; ils ne savent pas ce que c’est. C’est là ce qui nous sépare véritablement des autres, en particulier des Européens et des Américains. Il va de soi que je m’inclus dans cette foule misérable d’êtres dépourvus d’une patrie réelle. L’idée d’aller chercher ailleurs, chez autrui, à des milliers de kilomètres de son lieu de naissance, le bonheur de vivre dans un Etat est quasi inséparable de notre conscience. C’est pourquoi laisser sa mère, son père, sa terre natale pour aller chercher à devenir écrivain dans une autre société, dans une autre langue ne semble pas empêcher la plupart d’entre nous de dormir. Mieux, on en voit qui réclame à une société autre que la leur d’être respectés et même honorés. Des Africains en chemise blanche et cravate font des ouvrages savants pour démontrer l’existence de littératures nationales africaines financées par l’extérieur. Nous avons beaucoup d’humour en Afrique, comme chacun sait…

Afrik.com : Avec un brin d’ironie vous décrivez des Européens vivant en Afrique ou la visitant. Qu’en pensez-vous de ces Français ou Allemands ?

Théo Ananissoh :
En réalité, rien de particulier. L’Afrique est un espace ouvert où toutes les fantaisies et les turpitudes se déploient. Ce n’est pas un enfer pour tout le monde.

Afrik.com : Le titre de votre roman Ténèbres à midi rappelle le fameux roman de Joseph Conrad Au cœur des ténèbres. Vous dénoncez les côtés tristes de la vie de tous les jours de la majorité des Africains. Un plaidoyer pour la dignité ?

Théo Ananissoh :
Bien sûr. La dignité ne réside pas dans l’aveuglement sur son propre état, mais dans la conscience qu’on a de soi.

Afrik.com : Malgré ces « ténèbres », on a l’impression que vous osez un hommage à votre pays.

Théo Ananissoh :
Mon pays, depuis une bonne quarantaine d’années, est un lieu sans intelligence et sans aucune vertu. Je voudrais en faire le portrait pour ceux qui viendront après nous. En ce sens, oui, c’est un hommage à ce qu’il deviendra un jour quand l’esprit y prévaudra.

 Commander Ténèbres à midi, Gallimard, 2010

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