André Ekama, un écrivain camerounais en Allemagne


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En décembre 2009, André Ekama a reçu pour la deuxième fois le Prix de l’Adler Entrepreneurship dans la catégorie littérature attribué par Africain Youth Foundation (AYF) en Allemagne. Il a publié plusieurs livres dans ce pays où il est installé depuis 24 ans. Le public francophone peut désormais le lire. Son recueil de nouvelles Le candidat solitaire a été traduit en français et publié en décembre 2009 aux Editions du Kamerun. Interview.

Né en 1968 au Cameroun, André Ekama a fait ses études de mathématiques en Allemagne où il réside depuis 1986. Il est très engagé dans la politique locale et dans la vie culturelle. Il est auteur de cinq recueils de nouvelles.

Afrik.com : Vous êtes mathématicien – vous avez fait vos études en Allemagne – et vous êtes auteur de cinq recueils de nouvelles. Qu’est-ce qui vous pousse à écrire ?

André Ekama : Ma passion pour l’écriture remonte depuis l’âge de 14 ans. J’avais commencé à me plonger dans des réflexions sur les problèmes de société, et j’écrivais des poèmes pour calmer mon amertume. Je comprenais progressivement les injustices et découvrais les inégalités, tout en me demandant comment il pouvait en être ainsi. Ainsi je me mettais à rédiger des scènes et les relisais comme un bréviaire dans mon lit. Tout cet apprentissage et mon désir de prendre part aux discussions des ainés m’ont donné le goût pour cet art. Seulement, lorsque je suis passé dans le secondaire, j’ai poursuivi en sciences. Les mathématiques ont donc commencé à gagner tout mon temps. C’est ainsi que j’ai été faire des études en mathématiques après mon baccalauréat… Je quitte donc le Cameroun à 18 ans et me retrouve dans un monde autre que celui que j’ai laissé. Un choc culturel s’opère en moi et je commence déjà à faire des comparaisons dans mon esprit. Au fil du temps, je vais apprendre à m’intéresser aux œuvres originales en allemand des Philosophes comme Kant, et relire l’œuvre de Kafka, Le procès, cette fois en allemand. En plus du fait que je me retrouvais en Allemagne de l’Est je vais me confronter de près au régime socialiste et vouloir déceler les visions de Karl Marx avec le quotidien. Je vais me pencher vers Dieu quand certaines incongruités traverseront ma pensée tout en lui demandant de m’aider dans cette terre lointaine de ma famille au Cameroun. J’ai de nouveau repris avec l’écriture pour peindre mes réalités et mes expériences quotidiennes. A force de m’évertuer dans cet exercice, j’ai amassé au bout de quelques années plus de 600 pages. C’est ainsi que j’ai publié mon premier livre « Etre noir dans les Cieux blancs » (2007).

Afrik.com : Vous écrivez en allemand, donc d’abord pour un public allemand. Pourquoi pas en français comme d’autres écrivains africains résidant en Allemagne ?

André Ekama : J’aime d’abord cette langue, et résidant en Allemagne j’ai préféré m’intéresser aux lecteurs d’Allemagne en me rapprochant d’eux linguistiquement. Ce que j’aime en cette langue de Goethe c’est la précision dans l’expression. Et comme je suis mathématicien, je demeure dans cette logique aussi de démonstration tout en m’inspirant des métaphores africaines pour mieux exprimer ma pensée dans cette langue de Goethe. J’essai d’utiliser un allemand assez simple pour que les Etrangers nouvellement arrivés et qui n’ont que quelques mois d’allemand puissent me lire. Donc je m’adresse à tous les lecteurs, en somme.

Afrik.com : Dans votre premier livre Être noir sous les cieux blancs, vous racontez le destin des immigrés africains en Allemagne. On rencontre par exemple un homme ambitieux qui arrive à devenir maire d’une commune. Vous êtes très optimiste ou plutôt ironique ?

André Ekama : Dans mon livre, j’ai voulu donner espoir aux immigrés en choisissant ce personnage, Okomje, qui passe du métier de cuisinier à celui de maire de Wamsbuk. Cette situation semblait utopique encore en 2007 lorsque paraissait mon œuvre, mais je crois qu’aujourd’hui vous me donnerez raison d’y avoir pensé quand on voit l’appréciation faite des immigrés qui, de tout bord, se lancent dans les partis politiques en Allemagne, certains siégeant même comme élus au parlement fédéré ou comme conseillers municipaux. Je voudrais dire simplement que les qualités d’un homme et ses compétences sont au-dessus de la couleur de sa peau. Tout ce qui importe c’est de pouvoir s’imprégner du milieu et de lui donner une marque. Le mixage culturel n’est plus une fiction en Allemagne. Nous le vivons. Il y a des communautés, des festivités culturelles, et surtout cette population étrangère qui exprime son désir de se faire écouter. Donc, tous ces hommes issus d’autres pays et ayant choisi l’Allemagne pour terre d’accueil veulent que leurs enfants et eux-mêmes vivent bien. Ceci ne doit pas être que matériel, mais surtout une forme de valorisation de leur présence. C’est pourquoi ils ont droit de cité en politique, tout comme ils contribuent au développement de l’Allemagne.

Afrik.com : Dans votre livre Die Schätze von Obramkuza (Les trésors de Obramkuza), vous décrivez les aventures des Africains de la diaspora qui retournent en Afrique après une longue période de vie en Europe. Vos protagonistes réagissent souvent comme des Blancs gâtés !

André Ekama : Il y a ce revers de la médaille, quand on a longtemps côtoyé l’occident avec ses libertés. On voudrait les revivre promptement en Afrique où le respect est encore perçu autrement. Le problème récurrent est que, lorsqu’on va passer des congés en Afrique, il y a une autre considération de l’individu qui revient au pays. Il est perçu comme celui qui est déjà arrivé, qui a réussi et qui est aujourd’hui au-dessus du besoin matériel. C’est dans cet esprit donc que certains n’hésitent pas à se montrer en faisant de somptueuses dépenses ou, comme on dit, au Cameroun, en faisant du « farottage », si vous me permettez l’expression. Ceux qui reviennent donc en toute modestie et essaient de faire comprendre que l’Europe n’est pas le Paradis sont mal vus. On les accuse d’hypocrisie et d’égoïsme… Je présente aussi dans Les trésors d’Ombramkuza cette dichotomie qui caractérise ces pays aux ressources indénombrables mais en retard de développement. Car ce contraste questionne aussi les populations locales qui se demandent : à quoi sert même l’or, le pétrole, le gaz et autres minerais alors que la pauvreté gangrène ? Je dis d’emblée que ceux qui utilisent la manne à leur propre compte sans vouloir la redistribuer aux autres alimentent le déclin de cette Afrique riche. L’Europe s’est construite parce que la volonté de partage demeure au sommet de l’Etat. Il faut donner à chacun une part pour la rendre utile. Les jeunes désœuvrés ne sauront bâtir une vision de progrès si leurs chances sont réduites. Les jeunes qui retournent veulent qu’il y ait une adéquation avec leur vécu et qu’on leur donne une chance d’exprimer leur savoir faire. La ressource humaine doit être galvanisée et davantage exploitée. D’où la nécessité de lancer des grands chantiers réguliers pour rendre opérationnel une grande frange de la population. Car les moyens ne manquent pas ! C’est la volonté de certains qui fait défaut.

Afrik.com : Vos textes sont pleins d’humour. C’est le meilleur moyen de parler des sujets sérieux comme la corruption en Afrique, l’influence négative des extractions de pétrole pour les peuples, la liberté de la presse, l’influence grandissante de la Chine en Afrique ou la vie chère ?

André Ekama : J’aime beaucoup rire. Et le rire me permet de vite surpasser les problèmes même les plus épineux. Je crois que les hommes ont besoin de cette forme d’humour. Vous pouvez constater les quotas dans les émissions d’humour à la télévision. Donc parler du sérieux mais en l’enveloppant dans de l’humour est selon moi la meilleure manière de conscientiser même les plus sceptiques. Dans mon œuvre « Im Spinnennetz der Privilegien » traduit les toiles de privilèges, je présente des scénarios de corruption dans la société. Et beaucoup rient lors de mes lectures, alors que nous sommes tous victimes des dérives de certains qui nous font payer leur service alors qu’ils sont des serviteurs de l’Etat et reçoivent tout de même un salaire mensuel. Au Cameroun, on dit « on va faire comment ? » Je crois qu’il est temps de comprendre qu’aucune solution miracle ne viendra si nous ne tenons pas à faire bouger les choses. Notre rôle en tant qu’écrivain consiste donc à dénoncer les drames et d’interpeller avant que leurs effets dévastateurs ne se produisent.

Afrik.com : Le sujet de l’identité vous est très cher puisque, dans plusieurs nouvelles, vous évoquez l’identité des Noirs nés et élevés en Europe. En France, on discute « l’identité nationale », en Allemagne on parle de l’intégration des immigrés. Comment ressentez-vous ces questions ?

André Ekama : D’abord , je suis concerné de près. Je vis dans un autre milieu culturel et je suis naturalisé. J’ai des convictions pour l’Afrique, le berceau de mes ancêtres. Donc, je me pose tous les jours des questions sur mon Moi. Mais je garde espoir que le monde aujourd’hui est ce village planétaire où tous ses enfants peuvent se mouvoir en liberté et travailler pour le progrès de la nature. L’univers n’est pas ségrégationniste. Nous voyons comment les oiseaux migrent, c’est aussi comme ça que nous autres, êtres humains, devrions être. Nous devons nous accepter, accepter les différences, car les barrières entres les hommes nous mènent vers de dangereuses dérive.

Afrik.com : Jusqu’à quel point vos nouvelles sont autobiographiques ?

André Ekama : Je vis d’abord mes œuvres et les vois comme une thérapie pour surpasser certains problèmes qui rongent mon esprit. Un artiste est d’abord celui qui a un problème et veut le partager ou alors il voit un problème et le trouve insupportable. Qu’il chante ou l’écrive, le problème est là. Il doit être dénoncé. Car en dénonçant déjà un malaise on a presque la garantie que ca peut changer. Ne dit-on pas toujours : qui ne dit mot consent. Donc nous ne devons pas être complices de nos maux mais les combattre.

Afrik.com : Dans votre dernier livre Gorée, vous quittez le chemin de la pure fiction. Vous parlez d’un aspect douloureux de l’histoire du continent africain.

André Ekama : J’ai voulu rappeler ce qui c’était passé pour des millions de personnes. On éprouveune grande tristesse lorsqu’on se rend dans l’île de Gorée. Nous respectons la mémoire de tous ceux qui ont franchi cette porte du non retour et mon message est clair : plus jamais cette atrocité faite à l’Homme. L’Homme doit être respecté et rester libre pour qu’éclose son génie. J’appelle ici les meneurs d’hommes et les gardiens des prisons à respecter les hommes dans les cellules, leur administrer des soins dignes de tout humain. Ils ne sont pas des enchainés de la société mais de leur peine et culpabilité.

Afrik.com : Quand le public francophone pourra-t-il lire vos nouvelles ?

André Ekama : Le public francophone peut déjà lire Le Candidat solitaire traduit en français et publié en Décembre 2009 aux éditions du Kamerun. Mes autres livres seront progressivement traduits et vont être publiés dans des maisons d’édition en Afrique.

Afrik.com : Vous vous engagez aussi pour promouvoir des auteurs africains de langue allemande. Quel sont vos projets en la matière ?

André Ekama : En Allemagne, nous nous sommes réunis pour mettre sur pied Une Alliance d’auteurs africains en langue allemande et sommes aussi en liaison avec l’Association des Ecrivains africains en langue allemande au Cameroun. Donc, nous pourrons certainement faire vivre la langue de Goethe dans l’âme africaine. Un projet qui me tient à cœur maintenant serait de rassembler les auteurs africains en Allemagne pour réaliser une anthologie. Car elles ont certainement une expérience de société que nous les hommes ne percevrons pas. Je les remercie déjà pour leur disponibilité afin que nous discutions sur des thèmes tels que l’émancipation et le rôle de la femme africaine dans la société européenne.

Commander Le candidat solitaire, éditions du Kamerun , 2009

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