Le virage protectionniste algérien


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Les entreprises algériennes se plaignent de la double concurrence à laquelle ils font face : celle du marché informel et celle des entreprises étrangères. Dans l’intention de les aider et d’alléger par la même occasion la facture des importations, le gouvernement algérien a entrepris une série de réformes et de réglementations. Ces mesures vont-elles dans le bon sens ? Selon Youcef Maouchi, analyste sur UnMondeLibre.org, les solutions proposées par le gouvernement algérien sont dangereuses car fondées sur un mauvais diagnostic. L’auteur montre dans cette analyse les effets pervers que risquent d’engendrer ces réformes tournées vers le court terme et basées sur le renforcement des réglementations et la consolidation du protectionnisme.

Motivé par un désir d’accompagner les entreprises locales et d’alléger la très lourde facture des importations, le gouvernement algérien a entrepris dernièrement une série de réformes et de réglementations, alors que son économie vient de se voir déclasser de deux places par le rapport Doing Business, passant ainsi à la 136e position sur 183. Elle n’occupe, d’ailleurs que la 89e place sur 133 économies dans le Global Competitiveness Report, publié par le Forum Economique Mondial. Ces réformes vont-elles améliorer la situation des entreprises algériennes qui ont de plus en plus de mal à faire face à la concurrence des entreprises étrangères, d’un côté et à un marché informel grandissant de l’autre ?

Entreprendre en Algérie : un vrai défi

Même si les indicateurs cités ci-dessus sont loin d’être parfaits, les problèmes sont bel et bien réels. En témoigne l’état du tissu économique algérien dressé de manière unanime par les chefs d’entreprises algériennes réunis au cours d’un forum à Alger en septembre dernier et qui vient confirmer la tendance de ces indicateurs.

Ainsi, à côté des difficultés de financement, résultant notamment d’un système bancaire archaïque et déphasé, les opérateurs sont contraints d’évoluer dans un environnement bureaucratique étouffant et inefficace qui, couplé aux phénomènes de corruption gangrenant toutes les sphères de la société algérienne, empêchent tout développement des entreprises. L’Algérie vient d’ailleurs d’être aussi classée de la 92 à la 111ème place sur 180 pays dans le tout nouveau rapport Transparency International, publiant l’indice de perception de la corruption.

Il est clair que dans de telles conditions les entreprises auront du mal, non seulement à rivaliser avec les entreprises étrangères, mais également à faire face à des marchés informels grandissants résultant directement de réglementations irrationnelles qui forment de vraies barrières à l’activité formelle. Cette informalité forcée freine le développement économique et empêche ainsi de s’armer contre la concurrence étrangère : les entreprises ne peuvent se développer dans l’informel.

Diagnostics erronés, solutions dangereuses :

Justifiant sa décision par un souhait d’augmenter la participation des entreprises locales dans l’économie et réduire la facture des importations, le gouvernement algérien a cru bon de répondre avec une nouvelle vague de « réformes » et de réglementations.

Mais en regardant de plus près la loi de finance complémentaire de 2009, on peut facilement qualifier ces nouvelles dispositions de suicidaires, car loin de stimuler les acteurs locaux et d’attirer de nouveaux partenaires, elles ne feront que décourager voir tuer toute nouvelle initiative.

En effet, tous les investissements étrangers à venir doivent être effectués en association avec un actionnariat algérien dont la part s’élèverait à 51%. Sachant que les entreprises locales ont des difficultés à se financer, cette règle va sans doute, étouffer de nombreux partenariats dans l’œuf. Il est également établi dans cette mesure que tout projet d’investissement direct étranger doit d’abord être approuvé par le Conseil national de l’investissement, rajoutant ainsi une couche de bureaucratie. Comme les structures pour traiter tous les dossiers manquent, cela renforcera seulement la corruption. De plus, l’augmentation de capitaux par le biais de partenariats doit découler d’une décision des services nationaux.

C’est par ailleurs une mesure d’ingérence dans les affaires privées des entreprises, car seules elles ont la capacité de savoir quels seront leurs meilleurs partenaires. Les entreprises étrangères, notamment les sociétés d’importations, doivent avoir un minimum de 30% de participations locales dans leur capital. Enfin, les paiements des importations doivent être garantis par une lettre de crédit. Ce qui aura pour effet d’augmenter les coûts de transaction avec l’étranger déjà très élevés. Ainsi, il devient clair qu’au lieu de libérer l’initiative économique, le gouvernement algérien est en train de la restreindre en bureaucratisant la décision d’investir.

Vouloir limiter la participation étrangère dans l’économie nationale en pensant que les acteurs locaux prendront le relais alors que la facilité à faire des affaires n’est pas permise, n’est pas une solution durable, ni pour les entreprises locales, ni pour les consommateurs. Ce type de mesures a déjà montré ses limites par le passé. Notamment, entre 2000 et 2005 quand les autorités algériennes ont voulu résoudre le problème de la dépendance aux importations des médicaments, en interdisant tout simplement l’importation des médicaments déjà produits localement. Malgré ces mesures, la facture des importations n’a cessé d’augmenter. L’inefficacité de telles mesures a poussé le gouvernement algérien à faire marche arrière en 2005.

Ces mesures auront aussi pour effet pervers de décourager des investissements étrangers. Ceux-ci seront moins enclins à investir dans un pays où les règles du jeu sont modifiées de façon arbitraire selon une logique politique et bureaucratique. Ce retour à un nationalisme économique empêchera la remise à niveau de l’appareil productif et la diversification des investissements en Algérie, ce qui accroîtra la dépendance de cette dernière à son pétrole et à son gaz et l’enfermera durablement dans la malédiction des ressources naturelles.

Vouloir remédier à la situation actuelle est légitime, mais il ne faut pas se tromper de cible. Au lieu de choisir des solutions court-termiste, en se tournant vers la réglementation et le protectionnisme, il faut s’attaquer aux vrais problèmes, ouvrir le chemin aux entreprises locales en assainissant l’environnement dans lequel elles évoluent et en réduisant le nombre de problèmes crées artificiellement, auxquels elles font face. Brandir l’argument de souveraineté nationale est populiste et ne peut qu’aggraver la situation et compromettre tout développement pérenne de l’Algérie.

Youcef Maouchi est analyste sur www.UnMondeLibre.org.

Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org

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