Afrique : pourquoi les élections sont-elles souvent contestées ?


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L’annonce de la victoire d’Ali Bongo à la présidentielle gabonaise a déclenché une vague de contestations et de violences dans la capitale et en province. Malheureusement, les exemples probants d’une alternance pacifique à la suite d’une élection libre et honnête sont très rares. Pourquoi alors les élections sont-elles souvent contestées en Afrique ? Dans cet article, Hicham EL MOUSSAOUI, analyste sur www.unmondelibre.org, nous propose une analyse originale des raisons de ce phénomène. En considérant le processus électoral comme un marché, où les offreurs sont les candidats et les demandeurs les électeurs, l’auteur explique cette contestation comme le symptôme d’un problème de régulation de la concurrence sur le marché politique et de la carence des mécanismes de résolution de conflit, d’où les réactions violentes des contestataires.

Afin de répondre à cette question, l’approche de l’économie des choix publics (Public Choice) semble pertinente. Dans cette approche, on considère qu’il n’y a pas d’Etat qui cherche l’intérêt général, mais seulement des hommes d’Etat (politiques et bureaucrates) qui se préoccupent en premier lieu de leur propre intérêt (recherche du pouvoir). Toujours dans cette approche, le processus des élections, est considéré comme un marché : les offreurs sont les hommes politiques et les demandeurs sont les électeurs. Contre les votes des seconds, les premiers échangent des promesses électorales dans des domaines spécifiques. Bien évidemment, pour que les résultats du scrutin soient admis par tous les participants, ces derniers doivent observer un certain nombre de règles relatives à la concurrence loyale, c’est-à-dire des règles qui garantissent le bon fonctionnement du marché politique. En conséquence, si les élections en Afrique sont souvent contestées c’est parce que les règles du bon fonctionnement du marché politique manquent ou lorsqu’elles existent elles ne sont pas respectées. De quelles règles s’agit-il ?

Qui dit marché politique dit échange entre les électeurs et les candidats, un échange qui ne peut avoir lieu sans le respect du droit de vote des premiers et du droit d’éligibilité des seconds. Malheureusement, les listes électorales sont souvent tripatouillées et le découpage électoral manipulé ce qui donne lieu à des listes fantaisistes et à des situations « coquasses ». A titre d’exemple, lors de la récente élection d’Ali Bongo, on a compté plus de 2 millions d’électeurs inscrits, alors que le pays ne compte qu’environ 1,4 million habitants. Par ailleurs, il a été relevé l’inscription sur les listes de personnes décédées et d’enfants. L’ingérence de l’appareil étatique, souvent au profit des candidats sortants, n’est pas autre chose qu’une violation du droit de vote des électeurs. Par conséquent, l’échange (l’élection) n’est plus bénéfique et la concurrence est faussée, ce qui explique le sentiment d’injustice des électeurs africains et par là-même les mouvements de violence post-électorale.

Bien que les candidats soient de plus en plus nombreux à se présenter aux élections, notamment présidentielles, le candidat ne peut s’approprier totalement le fruit de son travail (campagne électorale) dans la mesure où son droit d’éligibilité est violé. En effet, les listes électorales sont souvent gonflées dans les zones partisanes du candidat de l’appareil étatique et dégraissées dans les zones hostiles. Cela va sans compter les intimidations, les menaces qui émaillent les scrutins. Ainsi, lorsque l’on viole le droit de vote ou d’éligibilité de quelqu’un la probabilité que celui-ci recoure à la violence augmente. Mais les violences post-électorales en Afrique sont-elles une fatalité ?

Apparemment, il n’y a pas de raison a priori qui ferait que les africains soient violents par nature. Au fond, il s’agit d’un problème institutionnel dans la mesure où le règlement du contentieux dans les pays africains souffre du manque de règles et de mécanismes capables de trancher les litiges. Certes, les commissions électorales existent, mais la plupart du temps, elles se contentent de centraliser et d’annoncer les résultats sans aller au fond des choses. Leur indépendance est très limitée dans la mesure où en l’absence d’état de droit, et de séparation des pouvoirs, et avec un manque de moyens, la justice est trop dépendante du pouvoir en place pour aller à l’encontre des favoris de l’appareil étatique. Dès lors, la faiblesse de l’état de droit et l’absence d’une justice indépendante expliquent la méfiance des électeurs africains et donc leurs contestations violentes des élections.

Si les africains ont acquis une mauvaise image des élections, d’où leur méfiance, c’est parce que le processus de la compétition électorale a été faussé. On dit toujours que la concurrence profite aux consommateurs, en l’occurrence aux électeurs. Mais, comme les règles de la concurrence loyale n’ont pas été respectées les élections ont été souvent un moyen de contrôle des gouvernés par les gouvernants sans aucune réciprocité. Faute de choisir des personnes ou des programmes, les électeurs africains ont souvent été capturés par des entreprises de mobilisations ethno-régionales. L’instrumentalisation, par les politiciens, des identités locales et claniques a débouché sur des tensions électorales et dans de nombreux cas sur des violences, voire des guerres civiles comme au Congo-Brazzaville à partir de 1993.

Somme toute, la contestation des élections et la violence qui s’ensuit est un problème institutionnel de régulation de la concurrence politique : enregistrement des candidature des futurs élus, enregistrement des électeurs, le choix des emblèmes ou des symboles ainsi que des couleurs des partis politiques (en raison de l’analphabétisme des électeurs), accès aux médias et liberté de la campagne électorale, Les opérations du vote, du dépouillement des votes et de proclamation des résultats. La mauvaise gouvernance ne fait qu’accentuer ce problème de la régulation de la concurrence politique.

En conséquence, la prévention de la contestation électorale et la réhabilitation de la démocratie africaine passent par une réforme institutionnelle visant l’instauration et la consolidation de l’état de droit, de la justice et l’amélioration de la transparence de manière à protéger les droits de vote des électeurs comme les droits d’éligibilité des candidats.

Hicham El Moussaoui est analyste sur UnMondeLibre.org

Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org

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