Françafrique : l’étrange « rupture » de Nicolas Sarkozy


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Nicolas Sarkozy annonce le désengagement de la France de ses anciennes colonies et la fin des accords secrets qui les lient depuis qu’il est à l’Elysée. Dans les faits, tout porte à croire que rien ne changera. Surtout quand trois chefs d’Etats africains obtiennent la mutation d’un ministre trop critique à leur égard.

Nicolas Sarkozy est-il sérieux lorsqu’il déclare qu’il va solder la Françafrique ? Mercredi lors de son discours devant la conférence des ambassadeurs à l’Elysée, le chef d’Etat français a, comme en février dernier, laissé entendre qu’il souhaitait renégocier les accords de défense liant la France à certaines anciennes colonies françaises d’Afrique. Cette fois-ci, il a même avancé une date : avant la fin de cette année. « Fin 2009, les accords de défense qui nous lient à huit pays africains auront été négociés dans une perspective radicalement nouvelle », a affirmé Nicolas Sarkozy. Selon lui, il revient désormais aux pays africains d’assurer leur sécurité. «La France conçoit son rôle d’abord comme un appui à la création de forces africaines capables d’assurer collectivement la sécurité de leur continent, dans le cadre de l’initiative de défense de l’Union Africaine ». Le président français a assuré n’avoir pas choisi au hasard le début de l’année prochaine pour entamer un nouvel épisode des relations entre la France et ses anciennes colonies africaines. « 2010 sera une année importante pour la relation entre l’Afrique et la France : 14 anciennes colonies françaises célébreront le 50e anniversaire de leur indépendance (…) Ce sera donc une année dédiée à la fidélité dans l’amitié et à la solidarité. Je veux que 2010 signale aussi l’achèvement d’une rénovation profonde de nos relations avec le continent ».

Spoliation

Les accords, dont parle Nicolas Sarkozy, concernent surtout la coopération militaire. Les pays africains, en cas de menace de leur sécurité, peuvent demander l’aide de la France. Par exemple, le 24 avril 1961, les jeunes République de Côte d’Ivoire, du Dahomey (actuel Benin) et du Niger signent un accord de défense avec la France, pour que celle-ci établisse ses forces militaires sur leurs territoires, lesquelles peuvent y circuler et utiliser les infrastructures des pays d’accueil. Mais cette entente principale est complétée par d’autres accords dits « spéciaux », concernant les matières premières et produits stratégiques comme les hydrocarbures, l’uranium et le lithium. La France s’octroie sur leur achat un droit de préférence. «Pour les besoins de la défense, réservent par priorité leur vente à la République française après satisfaction des besoins de leur consommation intérieure, et s’approvisionnent par priorité auprès d’elle » et « lorsque les intérêts de la défense l’exigent, les Etats africains « limitent ou interdisent leur exportation à destination d’autres pays ».

Pour de nombreux observateurs, de tels arrangements ont permis à l’Etat français de s’assurer un quasi-monopole dans des secteurs entiers de l’économie de ses anciennes colonies. Pis encore, il contrôle aussi leur monnaie, le franc CFA, appendice tropical du franc français, et aujourd’hui de l’euro. Illustration avec l’uranium du Niger, un minerai précieux pour l’industrie atomique. Dans ce pays grand producteur de cette matière première, la firme Areva a longtemps maitrisé toute seule les prix de revient du minerai. Les autorités nigériennes ne disposant pas de l’expertise nécessaire pour en tirer profit ni auprès de la France ni d’éventuels autres partenaires économiques.

Les accords de défense semblent aussi servir à protéger quelques « amis » dictateurs africains et prédateurs de fonds publics. Un des derniers exemples en date : le Tchad. Menacé par une insurrection armée qui s’apprêtait à prendre d’assaut le palais présidentiel où il s’était retranché, Idriss Deby ne devra la vie sauve qu’aux forces françaises stationnées au Tchad.

Rupture en trompe l’œil

Dans la pratique de Nicolas Sarkozy, la rupture fait figure de simple rhétorique. Ceux qui ont d’ailleurs pris le chef d’Etat français au pied de la lettre l’ont payé cher. C’est le cas de Jean Marie Bockel, ex-socialiste passé dans le gouvernement d’ouverture du président. Dans ses vœux du 15 janvier 2008, l’ancien Secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie avait osé dénoncer l’incurie de certains dirigeants africains. « L’un des premiers freins au développement, c’est la mauvaise gouvernance, le gaspillage des fonds publics, l’incurie de structures administratives défaillantes, la prédation de certains dirigeants (…) Quand le baril est à 100 dollars et que d’importants pays producteurs de pétrole ne parviennent pas à se développer, la gouvernance est en question. (…)Quand les indicateurs sociaux de ces pays stagnent ou régressent, tandis qu’une minorité mène un train de vie luxueux, la gouvernance est en question ».

Jean Marie Bockel avait ensuite nommément cité feu le président du Gabon, Omar Bongo. Cette sortie inopinée du ministre français avait provoqué une véritable levée de bouclier des dinosaures de la Françafrique. Paul Biya du Cameroun, Denis Sassou Nguesso de la République populaire du Congo et Omar Bongo avaient oublié leurs rivalités sous-régionales, le temps d’obtenir la tête de l’impétrant. Deux mois plus tard, à la faveur d’un remaniement, Nicolas Sarkozy envoyait Jean-Marie Bockel s’occuper des dossiers des anciens combattants.

De quoi renforcer les convictions de la partie africaine de la Françafrique qui ne croit pas à la volonté de rupture affichée par l’Elysée. Paul Biya l’affirmait d’ailleurs de façon très claire, peu après l’entrée en fonction du président français. « A vrai dire, de mon point de vue je pense qu’il y a plus rupture dans la forme et continuité dans le fond (…) Maintenant la nouvelle politique africaine de la France est en cours d’élaboration et il y a peut-être des changements, mais je crois que la rupture est surtout formelle», confiait-il à [France 24->
] en octobre 2007. Son homologue gabonais n’en pensait pas moins. Considéré de son vivant comme le doyen de la Françafrique, Omar Bongo avait affirmé : «L’Afrique sans la France, c’est comme une voiture sans chauffeur, et la France sans l’Afrique, c’est une voiture sans carburant ». Les analystes considèrent la récente visite de Paul Biya en France, alors que les Gabonais pleuraient la mort de leur président, comme une campagne de lobbying pour succéder à Omar Bongo, au poste de doyen de la Françafrique, également convoité par Sassou Nguesso, que l’on dit malade.

Alors, quand pourra-t-on établir le certificat de décès de la Françafrique qui sert tout, sauf les intérêts des peuples africains ? Peut-être lorsque les Africains prendront leur destin en main, comme l’a récemment suggéré Barack Obama lors de son discours d’Accra, mettant ainsi fin à l’étouffante tutelle néo-coloniale ? Peut-être lorsque la Françafrique succombera aux assauts de la concurrence d’autres puissances comme la Chine, vorace en ressources énergétiques, ou encore la Russie qui injectent des milliards d’euros d’investissement sur le continent ?

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