« Fortunes », ou… Joyeux comme un beur en France


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Brahim et ses amis

La chaîne européenne ARTE diffuse ce soir le remarquable téléfilm
Fortunes du réalisateur français Stéphane Meunier, qui a notamment tourné le documentaire culte de la Coupe du Monde 1998 Les yeux dans les bleus. Une plongée joyeuse, libérée et roborative dans le quotidien d’un jeune beur en France, parfaitement incarné par un Salim Kechiouche en grande forme.

Le pari n’était pas facile : filmer le quotidien de la banlieue sans tomber dans le misérabilisme, les difficultés d’un jeune français d’origine algérienne, musulman et parfaitement intégré au modèle républicain, sans accumuler les poncifs et les bons sentiments, évoquer la coexistence entre les communautés diverses qui se retrouvent en banlieue sans aligner des lieux communs ou des caricatures, et enfin, rester dans le registre de la comédie, « sans rien qui pèse et qui pose », comme dit Verlaine de la poésie.

Pari magistralement réussi

D’abord, Fortunes est un film sans message. Il n’y a pas les bons et les mauvais, la banlieue est tissée de diversité, les préjugés sont dans tous les camps, ils sont pareillement ridicules ou excessifs, mais il est possible de les dépasser. Il n’y a pas de leçon non plus au bout du film : sinon que la vie continue, et qu’on peut faire confiance à son étoile : elle brille jusque dans les cellules des commissariats de quartier, elle brille même quand toutes les stratégies de débrouille sont mises en déroute.

Subtilement, Stéphane Meunier joue avec les stéréotypes, mais c’est pour s’en moquer et en nourrir les rebondissements et les gags de son intrigue en forme de quête : le jeune Brahim Becheri a besoin d’argent pour lancer son agence immobilière et construire son indépendance, afin d’oser affirmer devant son père son amour pour Helena Da Silva, d’origine portugaise, et catholique bien sûr. Au royaume du système D, pour trouver un peu d’argent, les pistes sont nombreuses, aux frontières de la légalité. Brahim et ses meilleurs amis vont en suivre plusieurs, sans grand succès, sans trop de casse non plus.

Une aventure dérisoire et joyeuse

L’aventure file joyeuse et limpide, et tous les personnages ont dans les yeux la même tendresse, le même éclat chaud : celui que donne l’amour de la vie. La force de s’affirmer malgré les revers, de croire que tout est possible malgré les difficultés, et cette vitalité qui permet de refuser les limitations sociales, les cadres communautaires, les destins pré-écrits. Parce qu’il est inacceptable de se contenter d’endosser le rôle prédéterminé que d’autres voudraient nous donner.

Et c’est là le ressort, et la santé de cette œuvre profondément joyeuse : elle est libératoire, jubilatoire, elle nous parle d’une vie saisie à pleines mains, d’un bonheur cueilli au bord des lèvres des femmes, d’une réussite gagnée à la force du poignet, elle nous parle d’affirmation, et de liberté.

Une brochette d’acteurs de talent

Tous les acteurs, évidemment, méritent d’être salués, et tout particulièrement Alexia Portal, tellement juste et fraîche, dans son expression, dans son dynamisme conquérant dans sa lucidité douce et intraitable à la fois, elle illumine la vie de Brahim. La bande d’amis, ensuite : Arnaud Ducret et El Bachir Bouchalga sont parfaits, incarnant cette forme de solidarité fraternelle et ludique qui ouvre les portes, même quand elles paraissent bien fermées.

Mais une mention spéciale doit être faite pour Salim Kechiouche, qui transcende son personnage et qui est bouleversant de vérité, incarnant avec finesse les contradictions qui l’habitent, sa fidélité à son éducation et à sa famille, sa totale adaptation à la société plurielle qu’est aujourd’hui la société française, son amour à la fois humble et conquérant, son ambition née de la révolte et servie par la lucidité…

La confirmation des qualités de Salim Kechiouche

Avec une force d’affirmation peu commune, une profondeur sensible, une limpidité joyeuse. On avait déjà admiré Salim Kechiouche au théâtre et au cinéma… La réussite de l’œuvre repose ici encore beaucoup sur son talent. On quitte ce film heureux, l’esprit optimiste et dégagé, avec l’envie d’y croire aussi, et de continuer cette histoire… ça tombe bien ! ARTE a décidé d’en faire une série. On va continuer à les voir vivre ensemble. Quelle bonne nouvelle !

 Fortunes, le 19 décembre, à 21 heures, sur Arte.

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