Crise au CRAN : Patrick Lozès dans la tourmente


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Patrick Lozès
Patrick Lozès

Conflit de leadership, soupçon de malversations financières, multiplication des plaintes devant les tribunaux, le CRAN, créé il y a trois ans et qui se donne pour objectif de défendre la cause des noirs de France, vit une profonde crise interne. Certains membres réunis en assemblée générale samedi dernier ont décidé de remplacer l’équipe dirigeante par un directoire chargé d’auditer le fonctionnement de l’association, et d’organiser de nouvelles élections. Patrick Lozès déclare nulles et non avenues ces résolutions. Il envisage d’organiser une assemblée générale extraordinaire dimanche prochain.

Vive tension au sein du CRAN. Une vingtaine de membres de l’association, réunie samedi 15 novembre à Paris, a décidé de destituer le président, Patrick Lozès, et toute son équipe. A leur place, un directoire de six membres doit désormais exercer « toutes les attributions du Conseil d’administration et du président du CRAN jusqu’à l’organisation de nouvelles élections (…) », lit-on dans le communiqué qui a sanctionné cette réunion. Voilà l’épilogue d’une série de crises qui secoue la jeune association noire, depuis deux ans. Avec en toile de fond des querelles de leadership, et de forts soupçons de détournement d’argent.

Lutte de positionnement

Pendant longtemps, le public nourri des seules sorties médiatiques de Patrick Lozès et de son fidèle lieutenant Louis-George Tin, porte-parole du Cran, est resté ignorant du feu qui, de l’intérieur, embrasait progressivement l’association. Début septembre toutefois, Lucien Pambou, tout premier secrétaire général du CRAN, décidait de lever un pan du voile. Interrogé par Grioo.com, il dénonce la personnalisation de l’association. « Très vite, tout tournait autour de deux personnes au sein de l’association, Patrick Lozès et Louis-Georges Tin », révélait-t-il. Et d’ajouter : « en tant que secrétaire général, j’ai proposé la mise en place d’outils de gestion, qui n’ont jamais été acceptés par Patrick Lozès qui les voyait comme un moyen de prendre le pas sur lui. Et progressivement, la vie est devenue complètement invivable dans la mesure où il est allé jusqu’à m’interdire de m’exprimer sur la cause noire et au nom du CRAN. Je lui ai dit que nous n’étions pas dans une république bananière ». Lucien Pambou ne résistera pas longtemps. Il quitte le poste de secrétaire général dès septembre 2006, il est remplacé par Edouard Nduwa. Celui-ci se donne pour mission de « redresser l’association ». Mais avec lui, la situation continue de se dégrader. Au conflit de leadership s’ajoutent des bruits de malversations financières, qui pourrissent le climat des réunions.

Gestion financière opaque et soupçons de détournements de fonds

Edouard Nduwa est accusé d’avoir émis des chèques de plusieurs milliers d’euros, sans justificatifs. Des adhérents du CRAN évoquent des subventions qu’auraient servi l’Etat français et des associations de noirs américains, dont nul ne maîtrise ni les montants, ni l’utilisation. Edouard Nduwa doit rendre son tablier début juillet 2008. Il est remplacé par Madera Diallo. Patrick Lozès double cette sanction d’une action en justice. Mais l’ex-SG ne veut pas payer seul les pots cassés : « j’ai reconnu devant les militants qu’il y a eu des erreurs de gestion. Mais il faut que tous les concernés assument. C’est une gestion commune qui a été catastrophique. Moi, je le reconnais et je veux que les autres le reconnaissent aussi. Je n’était pas trésorier de l’association ». Pour lui, certains membres du CRAN redouteraient une vérification des dépenses. « Ce que les militants demandent, c’est un audit des comptes car il n’y a pas de comptabilité dans l’association. Mais M. Lozès ne veut pas entendre parler de cela. Il a préféré m’exclure de l’association », explique-t-il. Décidé à ne pas se laisser faire, Edouard Nduwa dépose plainte à son tour contre Patrick Lozès, pour diffamation. Pour lui, le problème du CRAN, c’est son président : « Patrick Lozès se sert du Cran pour assouvir ses ambitions personnelles. Il a tout fait pour m’éloigner de l’association parce qu’il savait que je me présenterais au poste de président lors des élections ».

D’autres adversaires de Patrick Lozès ont décidé de formaliser leur opposition au sein d’un Comité pour la refondation du CRAN (CRC). Leur combat ? Obtenir son départ. Leur stratégie ? Mobiliser les adhérents contre lui. Le CRC se montre ainsi particulièrement prolixe en communiqués numérotés. Dans le numéro 11 daté du 13 octobre et signé par Victor Kaptué Tokam et Komlan Rigobert Missinhoun ses deux porte-parole, le CRC s’alarme sur la situation au sein de l’association : « Le Cran se vide lentement et sûrement de ses forces vices et Patrick Lozès, loin de s’en inquiéter, accélère l’hémorragie, en excluant et en radiant à tour de bras pour des peccadilles ou des fautes imaginaires. Contre les plus déterminés, il organise des procès coûteux dans l’espoir de les réduire au silence »[[Afrik.com a été la victime, par contrecoup, de la guerre que se livrent membres et anciens membres du CRAN. Attaqué en justice par l’association et son président, Patrick Lozès, notre quotidien en ligne a été condamné pour diffamation après avoir publié, en avril 2007, une tribune du Comité pour la refondation du CRAN (CRC).]]

L’interminable assemblée générale

Le 18 octobre, jour de l’assemblée générale, tous les ingrédients sont réunis pour une réunion explosive. Les anti-Lozès ajoutent à l’ordre du jour une motion visant expressément à le destituer. Les débats sont houleux et interminables. L’ordre du jour est loin d’avoir été épuisé à la fin de la journée. La fameuse motion par exemple n’a pas été examinée. « Je me trouve donc obligée de suspendre la séance, pour pouvoir rendre la salle louée pour l’occasion », explique Mme Nathalie Daouda, membre du CRAN, qui préside l’assemblée générale. « On a convenu de trouver une nouvelle date dans un délai de trois semaines comme l’imposent les statuts », ajoute-t-elle. Entre temps, Patrick Lozès décide de la suspendre. Il dépose aussi plainte contre elle, pour « usurpation des fichiers informatiques du CRAN ». Ce qui ne l’empêche pas de convoquer une nouvelle réunion, le samedi 15 novembre. « L’AG que j’ai convoquée n’était que la suite logique de celle que nous avions organisée le 16 octobre et à laquelle tout le monde, y compris Patrick Lozès, avait participé. On ne peut pas valablement prétendre m’avoir suspendue du CRAN, car nous sommes demeurés en situation d’assemblée générale jusqu’à l’examen de tous les points inscrits à l’ordre du jour », soutient-elle. Dix huit membres ont répondu à sa convocation, mais seule une association, Tjenbé Rèd, est présente. Un huissier de justice vient constater la tenue de la réunion. Patrick Lozès n’est pas de la partie. La motion visant à le destituer est adoptée. Elle met en place un directoire de six membres qui doit organiser, dans un délai de six mois, un audit administratif et financier du CRAN, et procéder à de nouvelles élections.

Patrick Lozès nie la crise au sein du CRAN

Joint au téléphone, Patrick Lozès conteste la légitimité de ce directoire. « Je fais un seul commentaire : il n’y a eu aucune réunion officielle du CRAN samedi. Il n’y a d’ailleurs aucune crise au Cran », affirme-t-il. Et lorsqu’on lui parle de sa destitution, il ne cache pas sa colère : «Je ne connais pas ces gens. Ce sont des jaloux. Mme Daouda ne fait plus partie du CRAN, elle a été suspendue ». Il faut se rapprocher de Louis-Georges Tin pour obtenir plus de précisions. « Cette assemblée ne réunissait pas le quorum pour procéder au vote. Le directoire mis en place n’a donc aucune existence légale », estime-t-il. Un avis partagé par l’association Tjenbé Rèd représentée à la réunion, et dont le président David Auerbach Chiffrin dénie aux participants, personnes physiques, le droit de voter en assemblée générale, prérogative reconnue selon lui aux seules associations membres du CRAN. Patrick Lozès envisage d’organiser une assemblée générale extraordinaire ce dimanche. Mais le directoire censé le remplacer à déjà prévenu qu’il saisira la justice pour obtenir l’interdiction de cette réunion. La fin de la crise au CRAN semble bien loin…

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