Steve Shehan, musicien touareg dans l’âme


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Steve Shehan est un homme à la curiosité insatiable pour ses frères musiciens du monde entier, riches de traditions millénaires, qu’il contribue à faire connaître en Occident. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie de son dernier album Assikel, de Bali à Baly.

Steve Shehan est né d’un père indien cherokee, mais son âme est touareg. Son instrument de prédilection est le djembé. Percussionniste et multi-instrumentiste, Steve est passionné par les instruments du monde entier: il en possède un millier, rapportés de ses voyages, et il les utilise. Il mixe aussi des sons pris sur place : marchés, chants, klaxons… Son dernier album est un hommage au oudiste touareg avec lequel il a joué pendant 15 ans, Baly Othmani, décédé en 2005 (Steve Shehan & Baly Othmani, Assikel, de Bali à Baly, Safar Productions).

Afrik.com : Vous êtes amoureux de beaucoup de pays, mais vous avez un lien particulier avec l’Afrique: pourquoi ?

Steve Shehan : C’est la richesse musicale, l’instrumentation, les méthodes de fabrication, la mémoire collective. Il y a encore quelque chose d’ancestral, et un savoir-faire au niveau des matières, qui me plaît. Le bois, la peau, même la récupération… Et puis il y a l’étendue de possibilités musicales qu’on retrouve en Afrique. On dit que l’Afrique est la mère du jazz, du blues… Je suis arrivé à la musique par des artistes comme Coltrane, qui avaient une quête identitaire sur l’Afrique. Et au travers de ces musiciens, j’ai ressenti au niveau de l’âme la douleur liée au manque de racines, à l’esclavage, et en m’y intéressant j’ai commencé à comprendre ce qu’est la ceinture africaine du blues. Elle irait de la Mauritanie à l’Ethiopie. Et ça m’a bouleversé. Je retrouvais quelque chose qui m’expliquait ma douleur, quelque part. Je trouvais soudain quelque chose qui résonnait en moi. Du coup j’ai eu envie d’aller plus loin, de découvrir les instruments africains comme l’inanga, qu’on trouve au Burundi, et qui est l’ancêtre de la basse, puis les ngoni, et d’autres instruments…. En fait, je suis arrivé à l’Afrique par le jazz, et la musique latino et brésilienne, que je jouais. Par exemple, la dynamique du rythme bahiao du nord du Brésil, c’est les gnawa, exactement.

Afrik.com : Quand vous voyagez, vous arrivez dans un pays avec quel instrument ?

Steve Shehan : Rien ! Parfois une boîte d’allumettes, pour le rythme ! J’écoute. Je regarde ce que les gens font de leurs instruments, et ce que je peux en faire. Du coup ça me fait rencontrer des gens, et ça me met au contact des matières: du bois, de la ferraille… Tout de suite, j’ai senti qu’il y avait une générosité dans les instruments africains. Leur musique est généreuse, et au niveau des instruments, j’ai trouvé une liberté que je n’avais pas trouvé sur des instruments occidentaux. Dans les sonorités des tambours, il y a une âme. Ce que j’aimais chez Elvin Jones (batteur afro-américain de jazz, 1927-2004), j’ai compris que je pouvais l’aimer aussi chez des tambourinaires d’un village au Mali ou au Sénégal….

Afrik.com : Mais votre premier grand choc musical a été l’Asie, avec Bali…

Steve Shehan : Avant Bali, il y a eu des voyages qui n’étaient pas pour la musique, mais où la musique était présente. En Afghanistan, à 15 ans, les joueurs de rebab m’ont bouleversé. Je me suis rendu compte que la musique était le vecteur pour me faire accepter, et rencontrer des gens. Mais c’est Bali qui m’a révélé que je pouvais faire quelque chose avec la musique. A Bali, les instruments et l’incompréhension de leur musique ont attisé ma curiosité. Quand j’ai découvert ça, pour moi c’était la lune, Mars… Mais avec des sonorités tellement magiques que j’ai eu envie de comprendre comment on pouvait faire des musiques comme ça avec des instruments de métal, des sonorités étranges: le gamelan, le gong, le terompong… . Ca a été le premier grand voyage où j’ai eu le désir de rapporter des instruments.

Afrik.com : A ce moment, vous êtes déjà percussionniste, dans des groupes…

Steve Shehan : Oui, je jouais latin, brésilien, et un peu africain, puisque j’écoutais beaucoup de disques africains. Mais je jouais des congas, il n’y avait pas encore eu l’appel du djembé. J’ai découvert le djembé au Sénégal et au Mali, j’avais une vingtaine d’années, et ça a été une révolution pour moi. J’ai découvert un instrument qui a tout à la fois. C’est une âme, un personnage, un esprit, et surtout une richesse harmonique. Et on peut l’approcher de tellement de façons : avec des balais, avec des mains, en le caressant, en frottant, c’est un instrument complet ! Et on peut l’adapter à toutes les formes de musiques : ça peut sonner moyen-oriental, asiatique, indonésien… Il est devenu central pour moi. C’est l’axe autour duquel je mets des congas, des tambours, on peut mettre tout ce qu’on veut. Le djembé est devenu pour moi le père, ou la mère….

Afrik.com : Le djembé n’était pas encore très connu à l’époque…

Steve Shehan : Non. Mais j’avais commencé à travailler sur les musiques pygmées dans les années 80. A cette époque, personne n’écoutait ça. J’ai la chance d’avoir rencontré Simha Arom, musicologue qui a rapporté la musique pygmée. Il m’a dit: « tu viens chez moi, tu te sers au niveau des bandes ». Et là, je suis tombé sur des trésors ! Ca a été une révélation. J’ai commencé à travailler autour des musiques pygmées, peuls, bantoues, avec ses bandes… A l’époque on ne faisait pas trop de remixage. Mais j’ai pris des bouts, que j’ai inclus dans des compositions. Et dans mes premières maquettes, il y avait des chanteurs pygmées, des musiciens…. Evidemment, les maisons de disques n’ont rien compris ! Dans les années 60-70, les musiques du monde, c’était très docte… Dans « Awaz », mon second album, il y a des choses qui viennent de Simhra, mais il a fallu attendre les années 90 pour qu’il sorte. Mais très vite j’ai senti que dans la captation de ces musiques de la mémoire collective, il y avait une source inépuisable d’inspiration. Et mieux encore, aller à la rencontre de ces gens ne pouvait qu’être enrichissant, humainement et musicalement.

Afrik.com : Quelles musiques africaines vous ont frappé ?

Steve Shehan : Par exemple la musique des Hallélil, qui vient d’un seul endroit en Algérie, de Timimoun. On dirait de la musique pygmée, mais c’est chanté par des chœurs de 50, 60 hommes. On retrouve ça en Indonésie, ce sont des musiques cycliques, où chacun se complète en chantant un bout de phrase musicale. Ca m’a terrassé ! Donc c’est cet ensemble de choses qui petit à petit ont constitué pour moi une sorte de terreau, dans lequel je pouvais créer, mais aussi partir à la rencontre de ces gens. Et ça été merveilleux ! Ils me l’ont rendu au centuple ! Je suis tombé sur des gens merveilleux!

Afrik.com : De vos voyages, vous rapportez des instruments, mais aussi des sons enregistrés sur place, et vous remixez ça…

Steve Shehan : Oui, des sons, des ambiances, ça peut être des grenouilles, des hirondelles,… C’est la vie ! J’aime bien les signatures sonores de lieux. Les vendeurs d’eau au Caire, qui se baladent, « pouet-pouet », avec une petite corne, tu entends ça, et on est à Khan Khalili ! Et tant qu’il y a ça, il y a de l’espoir !

Afrik.com : Vous êtes donc autodidacte de la musique? Intuitif, comme les musiciens traditionnels finalement…

Steve Shehan : A 1000 % ! C’est pour ça que j’ai reconnu quelque chose, et que ça m’a parlé. J’ai un amour démesuré pour le piano et la musique classique. Mais je n’ai pas pu prendre des cours classiques dans mon enfance, donc c’est devenu un apport qui enrichit ma sensibilité, et que je mets au service d’autre chose.

Afrik.com : Vous aviez rencontré de nombreux musiciens avant Baly Othmani. Pourquoi le déclic avec lui ?

Steve Shehan : C’est un tout. C’est l’humanité. Ce que j’aurais cru trouver dans mes racines indiennes, que je n’ai pas trouvé, je l’ai trouvé chez les touaregs. Dans leur musique, leurs rituels, leur aspect. Quand on voit les femmes, elles pourraient être sioux, ou cherokee. Et j’aime les peuples du désert, parce que l’essentiel a une vraie importance. Il y a une vraie entraide. Ils sont dans l’essentialité, du fait de l’environnement. Les choses ne sont pas prises à la légère. Dans les rapports humains, c’est pareil. La chose est essentielle, ça ne peut pas être du superflu. Parce que si quelqu’un meurt de soif devant toi, ou toi-même, tu sais que c’est par l’autre que tu survivras. Donc il y a tout ça, leur langue que j’aime, leur musique. Il y a une dynamique rythmique que j’aime, qu’on retrouve dans d’autres endroits en Afrique : un 6/8 mais avec un retard sur le troisième temps, comme une retenue, j’adore ça. Et c’est aussi un lieu chargé d’un passé : il y a des gravures préhistoriques partout. Il y avait des girafes, des lions, de la forêt vierge. C’est ce qui nous pend au nez aujourd’hui: on a la luxuriance, ça peut devenir très sec, et il ne nous restera que les hommes qui ont la mémoire. Et elle se perd très vite du fait de la télé, qui est une calamité là-bas. Ils arrivent à peine à écrire encore leur langue, c’est tragique ce qui est en train de se passer. J’ai aimé ça, j’ai aimé l’extrême du désert. Et l’accueil qu’ils m’ont fait. Donc Baly c’est tout ça.

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