Affaire du mariage musulman annulé: Rachida Dati se dédit


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Changement de cap pour la ministre de la Justice française qui a annoncé, lundi, qu’elle souhaitait que l’affaire du mariage annulé pour cause de non-virginité de l’épouse soit rejugée. Ce «retournement de veste» intervient alors que la polémique enfle au sein de l’opinion, de la magistrature, du milieu associatif et de la sphère politique – y compris à l’UMP.

Rachida Dati fait marche-arrière. La Garde des Sceaux française a en effet demandé au parquet de Douai d’interjeter appel de la décision d’annulation du mariage, rendue pour cause de non-virginité de l’épouse, le 1er avril par le tribunal de Lille. Un verdict qu’elle avait pourtant défendu la semaine dernière.

Alors que l’opinion s’insurgeait, Rachida Dati avait tenu tête en avançant que «l’annulation [était ] aussi un moyen de protéger cette jeune fille», et soulignant que «la décision civile, avec le consentement des deux parties, a été prise par un critère juridique, à savoir une erreur sur la qualité essentielle de la personne pour une des parties ». Ces propos avaient provoqué un véritable tumulte au sein de la classe politique et la résidente de la Chancellerie s’était retrouvée entre deux feux, devant composer avec son double-rôle de représentante de la justice française et de femme politique de premier plan.

Dans un communiqué du 2 juin, la Garde des Sceaux a changé son fusil d’épaule, arguant que «cette affaire privée dépasse la relation entre deux personnes et concerne l’ensemble des citoyens de notre pays, et notamment les femmes», et a donc demandé un nouveau procès au parquet de Douai. Sans douter de la bonne foi de Mme Dati, il est à se demander comment celle qui, au cœur de l’affaire, s’était opposée plusieurs jours durant à ses collègues pour défendre la décision de justice, a pu si brusquement faire volte-face. La polémique s’était tout d’abord cristallisée sur la question de savoir si le jugement portait sur le caractère religieux, voire traditionnel de l’affaire, ou plutôt sur la seule question du mensonge. La Ministre de la Justice avait tranché en ce sens, notant que le droit français annulait chaque année de nombreux mariages lorsque l’un des conjoints avait dissimulé à l’autre un caractère personnel contraignant. L’annulation, semblait-il, n’avait donc pas été prononcée sur la question de la virginité proprement dite.

La pression était trop forte

Pourtant, c’est bien cet aspect que beaucoup ont retenu et qui a provoqué tant de remous. Plusieurs membres de l’UMP, en particulier, ont estimé la décision rétrograde, insultante pour le statut de la femme. Martin Hirsch, le Haut-commissaire aux Solidarités Actives, a même parlé de «jugement inconcevable dans notre société», tandis que Fadela Amara, la secrétaire d’Etat chargée de la politique de la Ville a ironisé: «J’ai cru qu’on parlait d’un jugement rendu a Kandahar». Pour mettre fin au scandale, l’Elysée aurait soufflé à Rachida Dati de réviser son jugement. Tandis que François Fillon, le premier ministre, affirmait qu’un pourvoi en cassation serait à envisager si l’appel n’aboutissait pas, «car cette affaire est très délicate et choque beaucoup de Français», a-t-il expliqué. Vendredi déjà, Frédéric Lefebvre, l’un des porte-paroles de l’UMP, avait souhaité que la Chancellerie «déclenche un recours dans l’intérêt de la loi pour dire le droit».

Avec son intervention d’hier, Rachida Dati sauvegarde donc l’image d’une équipe gouvernementale unie et unanime. La controverse n’est pas pour autant terminée. Cet après-midi, la Garde des Sceaux a été huée par les parlementaires socialistes à l’Assemblée nationale. A une question de la socialiste Martine Martinel sur un éventuel projet de loi destiné à trancher la polémique déclenchée, elle a répondu que ces problèmes étaient nés des erreurs commises par les socialistes au pouvoir qui, selon elle, « avaient abandonné nombre de jeunes filles dans les quartiers difficiles entre les mains des grands frères ». « Vous m’avez attaquée, mais j’ai échappé à l’échec de votre politique, c’est ce qui vous dérange. Alors s’il vous plaît, de grâce, n’empêchez pas ces jeunes filles d’être libres», a-t-elle ajouté.

Dans l’attente d’un second procès, le milieu associatif est bien déterminé lui aussi à faire parler de l’affaire . La présidente de Ni Putes Ni Soumises (NPNS), Sihem Abchi, qui avait déclaré « Nous sommes trahies par notre propre justice, qui instaure une véritable fatwa contre la liberté des femmes», a rédigé aujourd’hui une longue chronique dans le quotidien Libération, par laquelle elle espère alerter les lecteurs sur «les situations dramatiques que vivent les femmes». Par ailleurs, NPNS a lancé mardi une pétition sur Internet intitulée « Ni vierges, ni soumises », et organisera une manifestation samedi, à Paris.

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