Didier Mbuku Mbanu : « ma famille, c’est ici »


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Didier Mbuku Mbanu
Didier Mbuku Mbanu

Didier Mbuku Mbanu a failli être reconduit en République démocratique du Congo, en septembre dernier, en vertu d’une interdiction du territoire français (ITF) datant de 2002. En France depuis 18 ans, il vit en concubinage et élève ses quatre enfants nés dans l’Hexagone. Le juge n’a pas abrogé son ITF, dans le cadre de la loi Sarkozy de novembre 2003, et il sera expulsable si cette peine n’est pas levée.

Par Saïd Aït-Hatrit, pour Afrik.com, et Eric Chaverou, pour Radio France. Ce reportage, qui fait partie de notre dossier « double peine », a été réalisé dans le cadre du programme « Mediam’Rad » de l’Institut Panos.

La dernière fois que Didier Mbuku-Mbamu a vu « Kinshasa la Belle », l’avenue « du 30 juin » – les Champs-élysées locales – et le fleuve Congo, c’était en 1988. A l’époque, Michel Platini emmenait les Bleus en demi-finale de la Coupe du Monde de football au Brésil, et Mobutu Césé Seko chassait les étudiants dans les campus universitaires. La capitale de la République démocratique du Congo comptait environ trois millions d’habitants contre une dizaine de millions qui ont aujourd’hui gagné la ville pour fuir, à la fin des années 1990, un conflit décrit comme le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale. C’est peu dire que le jeune homme ne connaît plus son pays.

« Je n’ai pas déballé mes bagages »

Il a pourtant manqué de peu d’y être reconduit, en compagnie de trois autres ressortissants congolais, en septembre dernier, via un vol communautaire européen. Interpellé pour défaut de papiers d’identité et placé au centre de rétention du Mesnil Amelot, tout près des pistes de décollage de l’aéroport de Roissy, il était expulsable en vertu d’une Interdiction du territoire français (ITF) datant de 2002. Il ne croyait plus en ses chances d’obtenir une assignation à résidence du procureur, seul document lui permettant en tant que sans-papier de tenter une nouvelle fois de faire lever son ITF, lorsqu’elle est tombée le jour prévu pour son départ.

« Je me voyais déjà à Kinshasa ! Ma femme m’avait apporté mes bagages et jusqu’à maintenant, je ne les ai pas déballés, sourit Didier. Les trois autres Congolais reconduits vivaient également en France depuis longtemps. L’un avait un enfant et sa compagne était enceinte. « Vous pouvez le suivre » en RDC, lui a dit le juge. Un autre a été cueilli chez lui, à Toulouse. Il avait trois enfants qu’il devait aller chercher à l’école», ajoute-t-il, assis à la table d’un café du XVIIe arrondissement de Paris en compagnie de sa compagne, Blandine, elle aussi congolaise, et de deux de leurs quatre enfants. La petite famille sort tout juste d’une réunion parents-profs. Jambes écartées, genoux fléchis, bras tendus, Kluivert, âgé de 8 ans et Joanio, 5 ans, mettent l’ambiance dans la salle en lançant un haka néo-zélandais. « Le directeur n’arrête pas de parler de lui, se flatte le jeune père, âgé de 38 ans, en montrant Kluivert :  » Ah, Kluivert est un élève brillant »… imite-t-il, pendant que Joanio tente de se faire entendre : « Moi aussi j’suis premier de la classe ! »

Didier Mbuku Mbanu a quitté l’ex Zaïre en 1988 pour le Rwanda. Il y obtient un visa belge et gagne la capitale de l’ex-empire colonial, où il reste deux ans avant de rejoindre la France, qu’il ne quitte plus. Débouté de sa demande d’asile, il vit en situation irrégulière jusqu’en 1998. Quelques mois plus tôt, la circulaire Chevènement (24 juin 1997) a accordé des possibilités de régularisation à titre exceptionnel aux étrangers vivant en France depuis au moins 5 ans et parents d’enfants de moins de 16 ans nés sur le territoire. C’est le cas de Didier, papa en 1992 d’une petite Giannelli.

ITF : la loi Sarkozy n’y a rien fait

La vie suit son cours et le jeune père de famille renouvelle régulièrement ses titres de séjour (de 3 mois puis d’un an), mais les ennuis ne tardent pas à commencer. Il est condamné à 16 mois de prison ferme et 10 d’interdiction du territoire, en 2002, par le tribunal de Nanterre, pour avoir utilisé les papiers d’identité de son beau-frère et pour des escroqueries au chéquier. Il parvient en appel à faire tomber la peine d’emprisonnement à 2 mois fermes mais rien à faire pour l’ITF…

« Nous avons tout tenté, même dans le cadre de la loi Sarkozy [du 23 novembre 2006], mais sans succès », confirme Me Sansal, qui a défendu Didier. Si cette loi permettait aux étrangers qui en avaient écopé de demander l’abrogation de leur ITF ou de leur arrêté d’expulsion, « cette possibilité rest[ait] soumise au bon vouloir du juge », explique l’avocat. Et le juge a dû motiver son refus par « l’exceptionnelle gravité des faits reprochés, quelque chose comme cela », tente-t-il de se souvenir.

Didier a bien un oncle à Kinshasa qu’il n’a pas vu depuis des années, mais le problème n’est pas là : « ma famille, elle est ici », explique-t-il en montrant sa compagne et ses deux garçons. Le couple en a d’autant plus lourd sur le cœur que pour accélérer la procédure d’expulsion, le ministère de l’Intérieur a selon lui court-circuité l’étape qui consiste à obtenir un laissez-passer consulaire du consulat d’origine de l’étranger reconduit. Un document indispensable quand ce dernier n’est plus en possession de ses papiers. « Ils ont directement demandé le laissez-passer au ministère des Affaires étrangères à Kinshasa, explique Blandine. Ca enlève le côté humain, ça évite le contact, personne ne vous demande : « qui êtes vous ? depuis combien de temps êtes vous en France ? avez-vous des enfants ? « … »

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