Sir Salman Rushdie contre Ben Laden « l’épée d’Allah »


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La Grande-Bretagne refuse de revenir sur la décision d’honorer l’écrivain Salman Rushdie du titre de chevalier, comme l’Iran et le Pakistan le lui demande depuis la semaine dernière. En réponse, un Conseil pakistanais de théologiens musulmans a décerné à Oussama Ben Laden sa plus haute distinction, « l’épée d’Allah ».

« Nous avons un système de valeurs qui permet de distinguer des gens pour leur contribution à la littérature même quand ils ne partagent pas notre point de vue », a expliqué mercredi le ministre de l’Intérieur britannique, John Reid, pour justifier le maintien de la distinction de chevalier accordée à Salman Rushdie. Buckingham avait annoncé samedi dernier que l’auteur des Versets sataniques, un livre qui lui a valu des années de clandestinité en raison d’une fatwa lancée contre lui, allait être fait chevalier (Sir) à l’occasion des 81 ans de la reine.

Depuis, les réactions dans les hémicycles politiques comme dans la rue se sont multipliées en Iran et au Pakistan. Deux pays avec lesquels le Royaume-Uni assure chercher à se rapprocher et qui pressent Londres de revenir sur cette décision. Sans succès. John Reid, qui s’exprimait depuis New York, s’est voulu très clair : « Nous avons le droit d’exprimer des opinions et une tolérance pour des points de vue différents, et nous ne nous en excusons pas», a-t-il insisté, citant en exemple le tôlé soulevé dans son pays lorsque les Monty Pythons ont réalisé La vie de Brian (parodie de La vie de Jésus) en 1979.

Qu’il en soit ainsi : un « Conseil pakistanais des oulémas » (théologien musulman) a annoncé jeudi avoir décerné à Oussama Ben Laden le titre de Saifullah, ou « l’épée d’Allah ». « C’est le titre le plus élevé pour un combattant musulman », a assuré à l’AFP Maulana Tahir Ashrafi, son président.

« Chaque religion a droit au respect »

Sans aller aussi loin, les députés pakistanais, qui ont voté lundi à l’unanimité une résolution contre l’honneur fait à l’écrivain d’origine indienne, expriment le même sentiment d’offense. « Le titre « Sir » accordé par la Grande-Bretagne à Salman Rushdie le blasphémateur blesse les sentiments des musulmans dans le monde. Chaque religion a droit au respect. », a déclaré le ministre des Affaires parlementaires Sher Afgan Khan Niazi, qui a présenté la résolution. Le ministre aux affaires religieuses Mohammed Ijaz ul – Haq s’était voulu plus belliqueux, semblant en appeler au meurtre de l’écrivain en déclarant que « quelqu’un qui ferait exploser une bombe sur son corps aurait raison de le faire ». Il a depuis assuré que ses propos avaient été mal interprétés.

Dans une interview au journal français Le Figaro daté du 20 juin, Nazir Ahmed, premier britannique musulman anobli par la reine, en 1998, explique lui aussi ne pas comprendre l’honneur fait à Salman Rushdie : « pourquoi l’avoir anobli lui quand aucun autre écrivain – et le pays en compte pourtant de talentueux – ne l’a été?? Demande-t-il. C’est un homme controversé qui a insulté à la fois l’islam, la chrétienté et le peuple britannique. Il ne mérite pas cet honneur. »

Pourtant, le quotidien britannique The Guardian, qui décrypte dans son édition du 20 juin le processus de sélection des candidats à l’anoblissement, assure que la décision ne peut être politique. Le « Comité Arts et Média » qui a validé la candidature de Salman Rushdie explique même avoir été surpris par les réactions en Asie, pensant qu’honorer un écrivain né à Bombay aurait pu être positif pour les relations entre l’Asie et la Grande-Bretagne.

Mercredi soir, après la sortie de son collègue, la ministre britannique des Affaires étrangères, Margaret Beckett, s’est dite « évidemment désolée pour les gens qui ont pris très à cœur cet honneur ». De leur côté, les théologiens du fameux Conseil pakistanais des oulémas ont appelé le président pakistanais Pervez Musharraf à demander une réunion d’urgence des 57 pays membres de l’Organisation de la conférence islamique, dont 27 sont africains, pour pousser la Grande-Bretagne à retirer la distinction accordée à Salman Rushdie. Au cas où ils n’y parviendraient pas, Rushdie pourrait devenir Sir Salman à la fin de cette année ou au début de la prochaine.

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