« Les indivisibles » face aux préjugés


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Les indivisibles en action
Les indivisibles en action

Rokhaya Diallo en avait assez qu’on la considère « avant tout comme une Noire ». Constatant qu’elle n’était pas la seule à être résumée à sa couleur de peau, elle a créé « Les indivisibles » fin 2006. L’association sensibilise, avec humour, les Français aux préjugés et clichés véhiculés sur leurs compatriotes dits « de couleur ». Une initiative citoyenne.

« Les Indivisibles » sont on ne peut plus clairs : ils sont « Français, sans commentaires ! ». Le slogan accrocheur apparaît sur le site de la petite association parisienne, née fin 2006 sous l’impulsion de la jeune Rokhaya Diallo. Cette jeune Française d’origine sénégalaise a eu l’idée de monter « Les indivisibles », qui compte aujourd’hui une douzaine de membres, pour qu’on ne la regarde plus comme « Rokhaya la Noire », et éviter à d’autres d’être catalogués contre leur gré comme « noir », « arabe » ou « asiatique »[Selon la Charte des « Indivisibles », les termes « Blanc » « Arabe » « Asiatique » ou « Noir » sont considérés comme « les catégories sociopolitiques construites par l’Histoire, et non comme de véritables appartenances ethniques »]]. Cette association lutte avec humour contre les préjugés et autres clichés, qui sont source de divisions chez les enfants de la France. Pour ce faire, elle se base notamment sur sa [Charte et un petit clip dénonçant le remplacement du mot « Noir » par « Black » ou « personne de couleur ». Avec une bonne humeur agréablement contagieuse, Rokhaya Diallo nous explique comment sont nés « Les indivisibles » et revient sur l’un de leurs projets : les Indivisibles Awards.

Afrik.com : Comment sont nés « Les indivisibles » ?

portrait-rokhaya-petit.jpgRokhaya Diallo : J’ai commencé à réunir des personnes autour de cette idée au milieu de 2006. Le concept de l’association s’est monté autour d’anecdotes tirées de situation que j’ai vécues et partagées avec mes amis. A force d’échanger, je me suis rendue compte que nous avions des vécus similaires. C’est cette caractéristique anecdotique qui nous a très rapidement orientés vers le choix d’une tonalité humoristique.

Afrik.com : Pourquoi ce nom d’« Indivisibles » ?

Rokhaya Diallo : Il est inspiré de l’article premier de la constitution française qui énonce que la France est une République laïque et indivisible. Nous nous sommes dits qu’il devait en être de même pour les Français. On peut être français et mettre en avant une origine culturelle étrangère, mais il ne faut pas qu’on nous impose cette étiquette sur la simple base d’une supposition liée au faciès. On n’est pas moins français que les autres en raison d’une « francité » moins ancienne.

Afrik.com : Parlez-nous de votre Charte des indivisibles…

Rokhaya Diallo : Nous avons créé une Charte balayant toutes les thématiques autour desquelles nous avons vocation à agir, tout en conservant le ton humoristique qui nous caractérise. C’est notre base de réflexion, lorsque nous agissons, nous nous y référons. Par exemple, le concept d’identité nationale est contraire à la section qui explique que l’identité française n’est ni figée, ni monolithique.

Afrik.com : Vous avez ressenti le besoin d’intensifier votre action lorsque Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, a parlé de la création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale. Pourquoi ?

Rokhaya Diallo : Notre réflexion a commencé bien avant qu’il soit question d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale. Mais le fait que cette idée soit portée au cœur du débat nous a fait réaliser l’urgence de notre action. Nous estimons qu’opposer « immigration » et « identité nationale » est dangereux, et contraire aux valeurs que nous défendons : l’immigration ne menace en rien l’identité nationale, qui est par ailleurs en constante évolution.

Afrik.com : Vous envisagez de créer des Indivisibles Awards. Quel sera le concept ?

Rokhaya Diallo : Notre action est fondée sur l’humour et l’idée de ces Awards est orientée en ce sens. Il y a beaucoup de publicités qui sont porteuses de clichés et de préjugés. Je pense par exemple à la publicité pour le fromage Leerdammer, où on voit une femme noire en boubou s’exprimant avec un pseudo accent africain et lisant l’avenir dans une boule de cristal. Il y a quand même de quoi s’indigner ! La publicité française met peu de personnages noirs en scène et, quand elle le fait, c’est malheureusement souvent pour exposer des caricatures. C’est pourquoi nous souhaitons créer un véritable mouvement de vigilance chez les citoyens et les invitons à nous signaler toutes les publicités ou les anecdotes qu’ils ont vécues ou dont ils ont été témoins pour que nous les publions ou les mettions en scène sur notre site et qu’ils aient une réelle audience.

Afrik.com : Pourquoi n’aimez-vous pas que l’on vous catalogue comme « noire » ?

Rokhaya Diallo : Pour ma part, il est arrivé que, d’emblée, certaines personnes me perçoivent avant tout comme une Noire au lieu de me considérer dans ma complexité. Attention, je suis noire, c’est un fait et je n’ai pas de problème avec ça, mais, dans l’imaginaire de certains, « être Noir » comme être « Arabe » ou « Asiatique » suppose des goûts, des défauts et des aptitudes bien particulières. En fait, il s’agit d’une assignation identitaire.

Afrik.com : De quels préjugés avez-vous été victime ?

Rokhaya Diallo : La question la plus récurrente est : « Tu viens d’où ? ». J’ai pour habitude de répondre par mon lieu de résidence ou de naissance, mais il y a des gens qui ne s’en satisfont pas et insistent en me demandant de quel pays je viens, sous-entendant par là qu’en France je ne suis pas tout à fait dans mon milieu « naturel ». Autre anecdote récurrente : il arrive, lorsque j’indique mes origines, que des personnes se sentent obligées de me dire tout le bien qu’elles pensent de l’Afrique, de me parler pendant une heure des voyages qu’elles y ont fait, voire d’évoquer des pays qui n’ont rien à voir avec celui dont je suis originaire. Un peu comme si l’Afrique était une entité abstraite. Dans la même série, on m’a déjà fait remarquer que je parlais bien le français, ou alors on s’est étonné que je n’aie pas d’accent, comme si j’étais miraculée ! Lorsque j’étais en école de commerce, il arrivait souvent qu’on me confonde avec la ou les autres filles noires de la promotion (vous savez, on se ressemble tou(te)s !) La plupart du temps, je reste sans voix, mais j’essaye de réagir avec humour. Je demande : « Qu’est ce qui vous fait penser que je devrais avoir un accent ? », pour mettre le doigt sur l’incohérence du discours.

Afrik.com : Vous expliquez que certaines personnes entretiennent les préjugés…

Rokhaya Diallo : Notre société construit un « costume » pour chaque catégorie. Dans leur « costume », la société s’attend à ce que le « Noir », l’« Arabe » ou l’« Asiatique » se comportent d’une certaine manière. Certains n’ont pas la distance nécessaire et s’approprient ces préjugés, voire les revendiquent. Des Noirs vont ainsi soutenir que les Noirs dansent bien, qu’ils ont ça dans le sang. Or, affirmer que les Asiatiques sont intelligents ou que les Noirs sont bons en sport, ce n’est pas un compliment, c’est problématique ! Les personnes potentiellement victimes de préjugés doivent aussi se montrer critiques.

Afrik.com : Pensez-vous que le problème de la France est le racisme ou les préjugés ?

Rokhaya Diallo : Je pense que le problème, c’est l’ignorance, qui fait le nid des préjugés. Nous ne voulons pas fustiger les « méchants racistes », mais les sensibiliser. Les médias et les personnalités publiques ont une grande part de responsabilité dans la création et l’entretien de ces préjugés. Ils devraient participer à ce mouvement de sensibilisation en évitant de recourir à des clichés pour désigner des personnes non-blanches.

Afrik.com : Quels sont vos objectifs ?

Rokhaya Diallo : En premier lieu, nous souhaitons faire évoluer les mentalités. A terme, nous voudrions travailler avec des institutions telles que l’Education Nationale : les préjugés sont construits tôt, alors si on sensibilise les enfants tôt cela permettra de déconstruire les préjugés en amont et d’éviter qu’ils ne soient répétés. Par ailleurs, nous sommes ouverts à des partenariats visant à créer et participer à des initiatives concrètes.

Afrik.com : Comment êtes-vous financés ?

Rokhaya Diallo : Sur nos fonds propres ! Pour l’instant, nous n’avons pas de financement, tout repose sur le bénévolat et la motivation des membres. Nous sommes d’ailleurs ouverts pour accueillir toutes les personnes motivées pour nous soutenir et/ou militer à nos côtés.

Crédits photos : Valentine Vignault

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