Taxe sur les bonus : la solution miracle ?


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Après le président Sarkozy et le premier ministre Brown, c’est autour du président Obama de présenter son projet de taxation des bonus des banquiers et des traders. Cette taxe est-elle le meilleur moyen d’éviter les prises de risque excessives par les banquiers et les traders ? Selon Guy Tchuente Nguembu, ingénieur statisticien et doctorant à l’Université de Montréal, même si les objectifs de cette taxation peuvent paraitre louables, leur efficacité reste à prouver. Dans une analyse limpide, l’auteur montre comment la taxation des bonus ne résoudrait en rien le problème de prise excessive de risque. Pire, il pourrait même l’aggraver.

Après le président français et le premier ministre anglais c’est le président américain qui a décidé de taxer les bonus des traders et autres acteurs du système financier. Avant la publication des résultats de JPMorgan, première des grandes banques américaines à révéler ses chiffres pour 2009 et le montant des primes annuelles attribuées à ses employés, le président américain a annoncé jeudi dernier un projet de taxation d’une cinquantaine de grandes banques. Même si les objectifs de cette taxation peuvent paraitre louables, la question de leur efficacité reste à démontrer. En d’autres termes est-il de l’intérêt général de taxer les bonus des banquiers? Cette taxe est-elle le meilleur moyen d’éviter les prises de risque excessives ? Ne serait-il pas préférable de chercher des mécanismes de responsabilité pouvant régler plus efficacement le problème de la prise de risque excessive des banquiers ?

A la question de savoir s’il faut ou non taxer les bonus des banquiers, il est évident que la réponse de la plupart de gouvernants sera oui. Selon eux, la crise que traverse le monde actuellement est l’œuvre du système financier (omettant ainsi les erreurs de politiques monétaire, sociale, foncière qui ont conduit à la crise). Ils dénoncent aussi l’injuste répartition des gains et des coûts entre les banques et les particuliers. « Lorsque se produisent des crises, ce sont les contribuables qui doivent en assumer le coût », relèvent-ils ainsi, alors que « les actionnaires et collaborateurs des établissements financiers bénéficient, eux, de tous les avantages dès que l’économie se redresse ». En effet, les bénéfices sont privatisés, les pertes mutualisées. De plus, il paraît logique que l’État récupère les fonds publics dépensés lors du sauvetage du système financier. Il faudrait donc en conclusion taxer les bonus des banquiers pour éviter les prises de risque et corriger les injustices. Pourtant, cette solution est loin d’être efficace et pourrait créer les effets contraires à ceux escomptés.

L’application d’une taxe sur les bonus des banquiers, au lieu d’éviter les prises de risque pourrait plutôt pousser les traders… à prendre plus de risques. En effet, anticipant que la l’application de la taxe réduirait son bonus, pour avoir au moins toujours le même bonus réel (net de la taxe), le trader devra prendre plus de risque.

Par ailleurs, l’annonce de cette taxe a déjà poussé plusieurs sociétés financières à augmenter les salaires fixes de leurs employés. Selon une étude internationale du cabinet Mercer auprès de 42 banques, 65 % d’entre elles ont augmenté les salaires de base, et 83% ont diminué la part des bonus dans les rémunérations. « Les champions de la banque d’investissement ont augmenté de 50 % en moyenne les rémunérations fixes dans les activités marchés de capitaux depuis l’été dernier », constate Éric Singer, chasseur de têtes dans la finance. Ces augmentations posent un problème de flexibilité et d’incitation car ces salaires ne peuvent êtres diminués en cas de mauvaises performances, d’où une perte de compétitivité des banques. Ce qui n’est en aucun cas de l’intérêt du client, ni des actionnaires, ni de l’État.

En fait, une taxe se répercute d’une manière ou d’une autre sur le client final, et élève ainsi le coût des services bancaires pour ce dernier, bien souvent emprunteur – alors qu’au même moment les États se plaignent du manque de crédits accordés. Ensuite, si l’application de cette taxe a un effet sur le revenu réel des banquiers, le capital humain ne se fera pas prier pour aller se vendre là où il est le mieux rémunéré, c’est une loi simple de l’économie. Déjà les grandes banques comme Goldman Sachs ou JPMorgan repensent leur stratégie d’implantation à Londres, et cherchent à se délocaliser : cette délocalisation entrainera une baisse des revenus fiscaux.

La crise actuelle a commencé avec la crise des crédits hypothécaires à risque, en 2007 aux États-Unis. Mais cette crise n’est pas due aux montants des bonus mais plutôt à leur structure qui prenait peu ou pas en compte les prises de risque. Selon Marcel Boyer de l’Institut économique de Montréal, les mécanismes incitatifs utilisés notamment dans l’industrie des services financiers rémunèrent les revenus générés de manière quasi indépendante des risques, avec comme conséquences prévisibles la mesure négligente et défaillante des risques et la prise injustifiée de risques. A titre d’exemple, les honoraires des courtiers hypothécaires sont basés uniquement sur le nombre de prêts hypothécaires qu’ils accordent, sans prendre en considération le risque de défaillance. Taxer les bonus, sans en modifier la structure, ne peut être qu’une entreprise infructueuse. (Et ce d’autant que la politique « sociale » du logement de l’administration américaine était précisément d’encourager le nombre de crédits hypothécaires accordés à des ménages « à risque » : promotion de taux d’intérêt bas et encouragement des prêts à taux variable, garantie toujours plus risquée par Fannie Mae et Freddie Mac de crédits hypothécaires, réduction de l’apport personnel par l’American Dream Downpayment Act).

La taxation des bonus des banquiers bien que semblant être revêtue de bonnes intentions ne résout aucun problème : elle incite à prendre plus de risques et affaiblit le marché financier. Il faut plutôt de remettre la responsabilité au cœur du système et laisser les banques mettre en œuvre des mécanismes incitatifs prenant en compte le risque. Pour cela, les États ne doivent plus compenser les entreprises ayant perdu de l’argent à la suite de l’échec de leur stratégie. C’est en effet l’épée de Damoclès de la faillite qui est la source d’une gestion responsable. La faillite ne représente pas un « risque systémique » : on remplace simplement l’équipe dirigeante et les activités de la banque sont vendues à de meilleurs gestionnaires. Sans la sanction de la faillite, l’anticipation d’un sauvetage fait qu’il est « moins risqué de prendre des risques » et n’incitera certainement pas les banquiers à être plus prudents à l’avenir.

L’absence de sauvetage rendrait plus responsables les banquiers qui trouveront eux-mêmes les meilleures pratiques en matière de bonus. A l’erreur des sauvetages ne doit pas se superposer l’erreur de la taxation.

Une analyse de Guy Tchuente Nguembu est économiste statisticien, doctorant à l’Université de Montréal, publiée en collaboration avec Un Monde Libre

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