Sur la trace du poliovirus


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Nicksy Gumede-Moeletsi, virologue, dirige le service de séquençage de la Cellule d’études moléculaires sur les poliovirus, à l’Institut national des maladies transmissibles (NICD), en Afrique du Sud ; comme un agent du FBI, elle piste son « criminel », en l’occurrence un virus, en étudiant les variations des « génotypes », au lieu des empreintes.

Le service de séquençage sud-africain est un des sept centres du monde où des scientifiques s’attachent à déterminer l’origine des épidémies de polio. En déterminant la composition génétique du poliovirus concerné, Nicksy Gumede-Moeletsi a ainsi découvert que l’épidémie de 2005 en Angola (un pays qui était à l’abri de la polio depuis 2001) avait été causée par une souche de polio courante en Inde.

D’Angola, la souche indienne du virus s’est déplacée vers le sud, en Namibie voisine, vers le nord, en République démocratique du Congo (RDC), et de là, elle a atteint la République centrafricaine (RCA) en 2008.

La polio, une maladie incurable extrêmement contagieuse qui peut entrainer une paralysie générale en l’espace de quelques heures, se transmet assez facilement d’homme à homme, par contact. Le virus se transmet également par voie féco-orale, et il a été prouvé que les mouches pouvaient le transférer passivement des matières fécales aux vivres consommés par l’homme.

Selon l’Initiative mondiale pour l’éradication de la polio, menée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Rotary International, les Centres américains de contrôle des maladies (CDC) et l’UNICEF, la plupart des personnes touchées par le poliovirus ne présentent aucun signe de la maladie, et ne sont pas conscientes de l’avoir contracté.

Deux vaccins permettent d’éviter l’infection : le vaccin Sabin (du nom d’Albert Sabin, le scientifique qui l’a créé à partir du virus vivant atténué de la polio), administré par voie orale aux enfants de moins de cinq ans ; et le vaccin Salk (inactivé), qui doit être injecté par un travailleur de la santé qualifié.

Déterminer le cheminement du virus est crucial : les épidémies de polio peuvent être causées soit par un poliovirus sauvage, soit par un poliovirus dérivé du vaccin (VDPV).

Il arrive en effet, à de rares occasions, que les souches de virus vivant contenues dans le vaccin contre la polio par voie orale (OPV) administré aux enfants évoluent, reprenant une forme capable de circuler, et d’entraîner une paralysie chez l’homme.

Selon Nicksy Gumede-Moeletsi, il est essentiel pour les pays frappés par des épidémies de savoir à quoi ils s’exposent, et le séquençage permet de détecter une nouvelle souche potentielle, et de déterminer s’il s’agit d’un poliovirus sauvage ou d’un VDPV.

Le séquençage permet également de déceler les failles du pays touché en matière de couverture vaccinale. Par exemple, si le séquençage a permis de détecter une forme de virus mutante qui semble plus récente que la souche prévalente avant la dernière campagne nationale de vaccination, cela peut signifier que la couverture du programme de vaccination n’a pas été si efficace, a expliqué le docteur Adrian Puren, directeur adjoint du NICD.

Finir le travail

Ce travail de détection de la polio a également permis d’encourager activement l’Afghanistan, l’Inde, le Pakistan et le Nigeria (les quatre seuls pays où la polio reste endémique) à « finir le travail d’éradication complète » de la polio, a indiqué Mark Pallansch, directeur du laboratoire de recherche sur la polio des CDC. Mark Pallansch, qui travaille dans le cadre du programme d’éradication de la polio depuis 1985, a découvert que de nombreuses épidémies avaient été provoquées par un virus provenant de ces quatre pays.

En août 2003, les dirigeants musulmans radicaux de trois Etats du nord du Nigeria, donnant foi à des rumeurs selon lesquelles le vaccin contiendrait des agents pathogènes du sida et de la stérilité, ont suspendu les campagnes d’immunisation de la polio.

Une nouvelle épidémie s’est alors déclarée, d’abord dans l’Etat de Kano, puis dans plusieurs régions du Nigeria auparavant à l’abri de la polio ; elle s’est ensuite propagée dans huit pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, qui étaient eux aussi à l’abri de la maladie.

La souche s’est ensuite déplacée du Soudan à l’Arabie saoudite, « probablement pendant le haj », le pèlerinage annuel des musulmans à la Mecque, selon M. Pallansch, et en 2005, elle s’est propagée au Yémen ainsi qu’en Indonésie, un pays qui ne connaissait plus la polio depuis 10 ans.

Ces épidémies montrent bien combien il est important d’être vigilant. « Il faut mettre en place un bon système de surveillance et un programme d’immunisation régulier », a recommandé M. Pallansch. « Tant que la polio est endémique, même dans un seul pays, tout le monde doit continuer de mener son programme de vaccination ».

Le Cameroun, pays voisin du Nigeria, a ainsi réussi à prévenir les épidémies de polio grâce à une campagne d’immunisation efficace, a-t-il fait remarquer, contrairement à d’autres voisins, notamment au Soudan, frappé par le conflit.

La polio peut être éradiquée, « si l’on en a la volonté », a expliqué M. Pallansch. « Si un pays en voie de développement tel que le Bangladesh (qui a une population importante et d’énormes difficultés) l’a fait, n’importe qui peut le faire ».

Le VDPV constitue néanmoins une menace de plus en plus grave : en 2008, Nicksy Gumede-Moeletsi en a décelé 18 cas en RDC et quatre en Ethiopie.

Inquiète, elle appelle à un usage plus général du vaccin antipoliomyélitique inactivé pour éliminer le risque de VDPV (ce vaccin ne contenant pas de virus vivant), une fois que le virus sauvage a été éradiqué. Toutefois, selon Sona Bari de l’OMS, « seul l’OPV s’est avéré capable d’empêcher le virus de la polio de circuler au sein d’une communauté ». Le débat sur le vaccin à utiliser reste donc ouvert.

La polio – Faits et chiffres

Tant qu’un seul enfant sera infecté, les enfants de tous les pays du monde risqueront de contracter la polio.

Entre 2003 et 2005, le virus a été importé de nouveau dans 25 pays auparavant à l’abri de la polio.

Une infection sur 200 entraîne une paralysie irréversible (généralement des jambes).

Parmi les personnes paralysées, cinq à 10 pour cent meurent d’une paralysie des muscles respiratoires.

Source: OMS

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