S.O.S femmes célibataires


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Les Sénégalaises peinent à trouver un mari. Premières touchées : celles qui ont fait des études et travaillent. Certains hommes ont en effet du mal à accepter cette évolution pour des raisons se rapprochant du machisme. Mais le taux de chômage, qui frappe la moitié de la population, est un autre facteur expliquant le célibat prolongé des femmes.

« Femmes de Saint-Louis recherchent mari ». Voilà, en substance, le message que l’on pouvait lire sur les pancartes qu’un petit groupe de Sénégalaises arboraient, le 4 avril dernier, jour de la Fête nationale, dans les rues de la ville côtière (nord-ouest). Beaucoup s’accordent à dire que ce mouvement surprenant et inédit, aussi bon enfant qu’il ait été, reflète un véritable problème de société national : le célibat prolongé des femmes. Un mal lié à l’évolution sociale de la gent féminine, mais aussi à la conjoncture économique.

La manifestation des Sénégalaises de Saint-Louis a été orchestrée, selon Le Soleil, par Alioune Badara Diagne, dit ‘Golbert’, « polygame-comédien » de la troupe Bara Yego. Même si seulement quelques dizaines de femmes ont défilé, elles sont tout de même parvenues à faire de l’ombre aux autres démonstrations prévues pour le 44e anniversaire de l’Indépendance du pays. La marche, retransmise à la télévision, a généralement fait sourire les téléspectateurs, qui n’ont pas manqué de s’en faire l’écho.

Avoir la paix sociale

Un événement qui témoigne du mal-être et de l’inquiétude des Sénégalaises célibataires. Et pour cause. « Dans la tradition, la promotion de la femme ne se fait que lorsque cette dernière est mariée. Le concubinage ne remplace en rien cette institution car la société ne l’accepte pas », explique Gora Mbodj, sociologue spécialiste des relations hommes-femmes. « Alors, quand une jeune fille atteint les 20-25 ans, voire la quarantaine, une forte inquiétude s’installe. Intérieurement, les filles sont très préoccupées », ajoute Binta Sarr, présidente de l’Association pour la promotion de la femme sénégalaise (Aprofes).

« Certaines sont tellement désespérées et supportent si mal la pression sociale qu’elles acceptent même d’être deuxième ou troisième épouse. Mais quelques-unes le font par choix. Elles savent qu’un polygame doit s’occuper d’elles seulement deux jours par semaine, ce qui leur laisse le champ libre pour vaquer à leurs occupations. Dans les deux cas, les femmes ne souffrent plus du doigt accusateur de la société et sont en conformité avec leur environnement », renchérit Mouskéba Fofana, une thésarde sénégalaise de 35 ans qui enquête sur le célibat féminin face à la domination masculine.

Les hommes boudent les « intellectuelles »

Parmi les causes de cette situation, la scolarisation et la libéralisation des femmes. Les Sénégalaises font de plus en plus d’études, raflent des diplômes et travaillent. « Elles refusent de rester à la maison en attendant le retour de leur mari. Elles veulent tenir un foyer et poursuivre leurs activités professionnelles », souligne Mouskéba Fofana. Une volonté d’indépendance qui bouscule quelque peu la coutume. « Le choix du conjoint se fait par rapport à un certain nombre de critères que doit remplir l’homme. Il doit être prêt à toute éventualité et maîtriser la vie du couple. Or, avec la scolarisation des femmes, la donne a changé parce que certaines sont plus diplômées que leurs prétendants. Ce qui ne plaît pas à ces derniers. Ils préfèrent se tourner vers des femmes moins ‘intellectuelles’ », commente Gora Mbodj. « Les hommes que j’ai interviewés me disent qu’ils ne veulent pas que ce soit la femme qui porte la culotte. Ils craignent que leur mainmise sur les femmes disparaisse », ajoute Mouskéba Fofana.

Autre frein au mariage : le climat économique peu favorable. « Beaucoup d’hommes, mariés ou non, ont quitté Saint-Louis pour travailler à Dakar, là où sont les usines. Ici, les perspectives d’avenir sont trop réduites pour ceux qui visent autre chose que la pêche ou encore l’agriculture, activités qui ne permettent pas de gagner suffisamment de quoi se marier », précise-t-on à la mairie de Saint-Louis. Conséquence de cet exode vers la capitale, « les femmes ont encore plus de mal à se marier parce qu’elles sont bien plus nombreuses que les hommes », poursuit la municipalité. Un déséquilibre démographique qui n’est pas propre à Saint-Louis. Toutes les villes et villages qui se vident au profit de Dakar connaissent une situation presque similaire, selon Binta Sarr.

Le mariage au chômage

Pour ceux qui souhaitent se marier, certains constatent que quand on veut, on ne peut pas toujours. Selon Index Mundi le taux de chômage était de 48% au 1er janvier 2003. Pas de travail, pas d’argent. Et pas d’argent, pas de dot. Donc pas de femme. « Certaines familles, conscientes des problèmes économiques du pays, ne demandent rien pour faciliter le mariage. D’autres, se contentent de la dot symbolique de 3 000 FCFA, comme il est écrit dans le Coran. Mais certains modifient cette somme en fonction des confréries ethniques, ce qui peut l’amener à varier de 3 500 à 50 000 FCFA », explique Gora Mbodj. Sans compter les frais d’organisation du mariage, qui peut durer jusqu’à une semaine. Des sommes très importantes que les plus mal lotis mettent parfois plusieurs années à réunir.

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