Réflexions sur la constitution du Conseil National de la Communication


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Enfin le décret vint ! Son contenu surprend peu. On se demande bien pourquoi. Les personnalités nommées sont plutôt consensuelles et semblent refléter la variété et la richesse des médias camerounais. Il n’y a rien à redire sur le vice-président, Peter Essoka, dont Henri Bandolo appréciait particulièrement l’anglais. Je devais avoir dans les huit ans et mon vocabulaire n’était pas particulièrement étoffé… Aussi quand, lors d’une conférence de presse télédiffusée, le ministre de l’information utilisa l’épithète « sophistiqué » au sujet de la langue du journaliste Peter Essoka qui lui posait une question, ce mot eut une résonnance particulière dans mon esprit.

Et toute cette semaine-là, je mis du « sophistiqué » partout, dans chaque commentaire, dans chaque anecdote. J’aimais beaucoup ce mot, je le trouvais… sophistiqué. « Sophistiqué » et puis « catastrophique ».

Un instituteur malveillant avait mis l’appréciation « baisse catastrophique » dans mon bulletin. Je m’étais tellement fait tirer les oreilles à la maison que mes copains eurent tous droit les jours d’après à des « retardataire catastrophique », « erreur catastrophique », « tentative catastrophique », que je distribuai généreusement… Nadia, connue dans le tout-Mbandjock pour être ma « femme », eut aussi droit à la même épithète, faute de mieux : elle avait un « sourire catastrophique ». Il était en réalité sophistiqué, mais à force, je m’emmêlais les pédales. C’était des mots à effet, j’étais sûr en les utilisant de me donner un genre.

Enfin bref… Enfin, la nomination de monsieur Ottou m’a fait plaisir, elle a titillé mon goût des feuilletons. Ce jeune retraité a une expérience reconnue dans la communication et les télécommunications. Il y a quelques mois, à la suite d’attaques répétitives de Michel Michaut Moussala à son encontre, il avait écrit des tribunes qui ont été vite oubliées. Désormais Aurore Plus devra se chercher une autre tête de Turc, je crois. Jean Claude Ottou est désormais armé et peut devenir dangereux.

Professeur Nadine Machikou Ngameni est une universitaire. C’est dans le monde des diplômes qu’elle a surtout fait ses preuves. Sur le terrain et le terrain des publications, elle n’est pas évidemment la plus connue, mais c’est aussi tout l’intérêt de ce décret, de ne pas se contenter de confirmer les personnalités les plus vues, les plus entendues, ou les plus lues.

D’ailleurs Alpha Abdou Haman, peut-être un cousin éloigné de Issa Tchiroma Bakary, est pour moi un illustre inconnu. Qu’il me pardonne de n’avoir pu trouver son pedigree : les enfants de mon siècle n’ont plus qu’Internet et les bibliothèques de Yaoundé (c’est-à-dire rien) pour accoler une œuvre à un nom cité dans le journal de 20 heures.
Pour ce qui est de Jean Tobie Hond, l’autre « professeur agrégé », il est dans la haute fonction publique et semble bien l’homme qu’il faut à la place de Secrétaire Général. Le ministre de la communication aurait essayé en vain de le nommer ailleurs il y a quelques mois. Comme quoi la patience est une vertu…pour ceux qui ont la bonne idée de vivre longtemps.

Deux membres, aux profils opposés, méritent à mes yeux une mention particulière et ont à eux seuls suscité l’envie de ce papier : Suzanne Kala Lobé et Jean-Bruno Tagne.

La présence africaine de Kala Lobé

Chroniqueuse au quotidien La Nouvelle Expression, animatrice d’un talk-show sur Equinoxe TV, journaliste dans la radio du même groupe, c’est surtout dans une émission dominicale de la mi-journée qu’elle me séduit même sans toujours me convaincre. Cette émission est certes potable (inodore, incolore et sans saveur) à chacune de ses absences, mais le talent de celui qui l’anime n’est jamais aussi visible que lorsque Suzanne est « panelisée ».

Suzanne Kala Lobé est la fille du journaliste Iwiyè Kala-Lobé, lui-même parfois présenté comme un cofondateur de la maison d’édition parisienne Présence Africaine. Elle n’a pas, comme son illustre père qui avait refusé d’être le premier directeur de l’Ecole Supérieur de journalisme de Yaoundé (premier avatar de l’ESSTIC que dirigera Hervé Bourges), hésité à quitter la France pour servir à sa façon son pays.
S’il fallait la marquer politiquement, on pourrait raisonnablement soutenir que Ma’ Su est une divers droite, une alliée objective du Gouvernement camerounais. Sans militer dans les rangs du parti au pouvoir ni travailler pour l’administration camerounaise, elle a toujours su les défendre ou les comprendre. Ses positions iconoclastes (sa lettre à la diaspora), son anticonformisme assumé (se rappeler l’affaire Vanessa où elle a été critiquée pour avoir refusé de hurler avec la meute), son talent de polémiste, sa pertinence en tant qu’analyste, ses facilités d’oratrice, et toutes ses qualités artistes, font avancer le débat public camerounais, tout en élevant le niveau de la réflexion dans les médias nationaux.

La première fois que je l’ai vue faire, c’était dans une émission diffusée sur Canal 2 où elle interviewait Calixthe Beyala qui est une sacrée cliente comme chacun sait. J’étais tombé des nues, je n’en revenais pas de voir l’immense Calixthe aussi facilement déstabilisée par cette « anonyme » qui la tutoyait. Le souvenir de leur confrontation fut la plus belle image que j’emportai du pays cet été-là.

Méchante comme une teigne par moments, Suzanne Kala Lobé fait penser à Eric Zemmour par certains côtés. C’est quelqu’un qu’il est possible d’apprécier, alors même qu’on le prendrait en flagrant délit d’inexactitude. Le bon Homère sommeillait quelquefois ? L’excellente Suzanne, comme tous ceux qui sont dans l’action, s’est souvent trompée, mais a toujours été d’une sympathique originalité et d’une impertinence à peu près sans égale dans le paysage audiovisuel camerounais.

Suzanne Kala Lobé prépare bien ses émissions, c’est une qualité fort commune aux bons journalistes. Son confrère Valentin Zinga est lui imbattable pour ce qui est de préparer ses émissions, mais ce qui fait d’elle une grande journaliste d’idées, inégalable dans son genre, c’est sa puissance de repartie, la difficulté qu’il y a à la convaincre de quoi que ce soit. Quand elle a une idée en tête, il faut bien être sûr qu’elle ne l’a pas ailleurs (entêtée elle est, entêtée elle restera).

Cette dame grisonnante et résolument au-dessus du lot est une belle mécanique cérébrale, c’est la dépositaire la plus en vue de ce que j’ai choisi d’appeler le bon sens camerounais. Tout le monde se plaît à dire que « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». On croit citer Descartes, mais on tronque sa pensée parce que la suite de son propos prouve bien qu’il n’en est rien (il dit que « tout le monde s’en croit pourvu » non que tout le monde en soit pourvu !).

Si du reste le bon sens est commun à tous, aux parfaits imbéciles comme aux intelligences les plus pénétrantes, il faut chaque fois poser la question de savoir de quel bon sens il est question. Celui des savants ? Celui des étudiants ? Ou le bon vieux sens commun ? Le sens commun est-il bon ? J’inclus dans l’ordre de cette question le sentiment que j’ai chaque fois que j’écoute madame Kala Lobé que l’évidence, la bonne foi (heu, attendez que je réfléchisse à ce que je viens d’écrire !), la pertinence, ça c’est sûr, ou au minimum la cohérence sont de son côté. Le bon sens camerounais désigne les hautes aptitudes, les grilles de lectures préfabriquées, que la journaliste adapte avec succès aux cas qu’elle analyse.

J’ai une conception très pragmatique de la réflexion critique, je me sens des affinités intellectuelles avec cette grande journaliste de conviction, les effets sur les Camerounais et les usages que les politiques et les spécialistes peuvent faire de notre apport m’importent au premier chef. Suzanne kala Lobé nous tire vers le haut et ce n’est pas parce qu’on ne voit pas les répercussions de son travail que celles-ci n’existent pas.

Lors des débats de la présidentielle de 2011, je l’ai vue un rien intimidée par Ben Muna (il faut reconnaître qu’il a de ces yeux !), ou se moquant avec art et subtilité de l’inénarrable Njeunga, contribuant ainsi à cristalliser l’un des moments cultes de la télé camerounaise. Cette femme est capable d’une telle acuité, d’empathie, d’humanité, de « gentillesse » si j’ose le mot (j’ai été surpris et particulièrement fier de la voir inviter, dans son talk-show, mon petit-frère, alors en deuxième année à l’Université), capable encore d’indifférence et de mépris, mais aussi d’ignorance superbe (elle affirmait par exemple avec une assurance meurtrière que Mabanckou, ancien directeur littéraire de L’Harmattan où il a publié trois ouvrages à ses débuts, avait commencé son activité littéraire chez Présence Africaine)…
Jamais en tout cas Suzanne n’est ridicule parce que ses dons de dialecticienne, sa virtuosité formelle de fine rhétoricienne, celle avec laquelle elle présente et défend ses idées, ou pulvérise ses contradicteurs, la fait toujours sortir par le haut des échanges les plus difficiles, quand ne l’y aident pas les limites de ces mêmes contradicteurs.

Suzanne, on n’arrive pas toujours à la suivre : même ceux qui l’aiment savent qu’il est difficile voire impossible de l’aimer tout le temps ; les autres conviennent de ce qu’il est surtout impossible de ne pas la respecter.

Jean-Bruno Tagne, l’inventeur de la jeunesse dans ce Renouveau déclinant

Si chez Suzanne Kala Lobé, cette nomination est une sorte de consolation (elle pourrait prétendre à plus), chez Jean-Bruno Tagne elle est une sorte de consécration… Si tu me lis, je te redis mes félicitations. Cette nomination ajoute moins à ton mérite qu’à celui de ceux qui l’ont initiée. Ils ont plus besoin de toi que tu n’as besoin d’eux. Quant à ceux qui, dans les réseaux sociaux, ont relevé une incohérence entre tes positions politiques et ton entrée dans cette prestigieuse institution, laissons-les braire. Ce régime agit en permanence contre ce que tes principes te permettent d’accepter, soit. Mais reconnaissons avec tes dénigreurs que les principes n’ont de pertinence et, finalement, de raison d’être que lorsqu’on est vivant…et nourri !

La trentaine à peine sonnée, le chef desk du quotidien Le Jour m’a souvent semblé un bambin dans certains des plateaux qu’il partageait avec de prestigieux aînés comme Joseph Antoine Bell, Owona Nguini, etc. Sa jeunesse n’est qu’une apparence : ce regard m’est inspiré par un ancien « hit » de Aaliyah : Age aint nothing but a number. L’auteur de Programmés pour échouer a du métier et sait montrer une grande maîtrise des sujets sur lesquels il travaille. Il est d’une sérénité qui n’a pas eu à se construire au fil des émissions. Dès ses premières apparitions à la télé, avec ce stylo fétiche qui lui donne une contenance, il avait une telle clarté dans la présentation, son discours est percutant quand il est assuré. Je n’ai jamais rien vu rien chez lui qui fasse croire à du cabotinage (le métier de ceux qui se donnent un genre quand ils passent à la télé).

Quand même, il manque à ce décret davantage de personnalités féminines, davantage de personnalités qui aient fait leur preuve dans des domaines de la communication comme Internet, la publicité et l’édition. Je n’aime pas particulièrement parler de moi, qui ai des compétences transversales éprouvées en communication, mais je crois que Paul Biya a manqué l’occasion de réaliser un décret parfait. « Il manque » disais-je… Reste que ceux qui ont été nommés sont suffisamment nombreux et compétents pour que l’efficacité du CNC ne se ressente pas de ces manques.

En tout état de cause… Grâce à Jean-Bruno Tagne, les jeunes savent qu’ils n’ont plus besoin de soutenir bêtement, aveuglément, et amoureusement Paul Biya pour être distingués ou nommés. J’ai passé la première partie de ma vie à tresser des couronnes de laurier à Paul Biya…en vain ! De belles pages de critiques impitoyables s’ouvrent donc…jusqu’à ce qu’un décret s’ensuive !

Le fait est qu’il y a foule parmi les militants et sympathisants de Biya, il ne peut tous les contenter. Regardez le pauvre Ateba Eyéné, avec son talentueux populisme ! Lui qui n’osait jamais blesser la majesté de Paul Biya n’hésite plus à le tacler de temps en temps et s’essaie dans un pari pascalien d’un nouveau genre, décidé qu’il est à tout miser sur René Emmanuel Sadi.

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