Rachad Farah, le candidat de l’Afrique à la présidence de l’Unesco


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Depuis sa création en 1945, seul un Africain, le Sénégalais Amadou Mahtar Mbow, a accédé à la présidence de l’Unesco. Le Djiboutien Rachad Farah, ambassadeur de Djibouti en France, pourrait bien être le deuxième africain à prendre la direction de l’institution, d’autant qu’il est soutenu par les 54 pays du continent, qui l’ont choisi pour les représenter. Son but, faire bouger les lignes à l’Unesco qu’il définit comme la « diplomatie de la paresse ». Portrait.

Difficile d’aborder Rachad Farah. A peine la conférence de presse qu’il a organisée jeudi à l’ambassade de Djibouti pour présenter ses ambitions à l’Unesco s’est terminée, qu’il se dirige déjà vers une émission de télévision, avant de prendre son vol pour une nouvelle destination. Malgré ses 62 ans, les pas de l’ambassadeur de Djibouti en France sont toujours vifs. Le temps de l’homme aux chaleureux poignées de mains est compté. Il doit encore tenter de convaincre le plus grand monde qu’il est le meilleur candidat pour prendre la direction de l’Unesco. D’autant qu’il est soutenu par les 54 Etats africains, ainsi que par l’Union africaine et la Ligue arabe. Que les choses soient claires, « ce n’est pas une affaire de Rachad Farah ou de Djibouti. C’est une affaire de vision, d’engagement. Le plus important c’est que je suis soutenu par les pays africains. Je suis le candidat de l’Afrique », aime-t-il dire, le regard déterminé.

« C’est la première fois depuis 25 ans que l’Afrique a décidé d’avoir un seul candidat pour se présenter à la présidence de l’Unesco », tient-il à rappeler de sa voix posée. Depuis sa création en 1945, l’Unesco a été principalement dirigée par des occidentaux. Le Sénégalais Amadou Mahtar Mbow a été le seul Africain qui a pu accéder à la présidence de l’institution, de 1974 à 1987. Une situation qui n’est pas acceptable pour le Djiboutien, estimant que « l’Unesco doit représenter le monde entier et non pas qu’une partie de la planète. « S’il n’y a pas d’équité et de justice à l’Unesco, où peut-on en avoir dans ce cas ? », s’interroge-t-il. « L’Afrique ne peut pas être indéfiniment le continent oublié. Il est légitime qu’il y ait un Africain à la tête de l’Unesco, car c’est là où se déroulent les plus grands drames que connait notre époque.

Même si Rachad Farah est soutenu par les pays africains, encore faut-il qu’il ait le feu vert des pays qui pèsent, tels que les Etats-Unis ou Etats européens. Mais tout le remue-ménage qu’il faut faire pour avoir des voix lui importe peu. Rachad Farah est serein. En tous cas c’est l’image qu’il s’efforce de donner. Il pense aussi aux pays émergents : Brésil, Inde, Chine, qui ont toujours bénéficié du soutien de l’Afrique. « Il est temps qu’on nous rende l’appareil », dit-il. Le Djiboutien, qui fixe systématiquement ses interlocuteurs droit dans les yeux pour les convaincre lorsqu’il parle, est persuadé qu’il peut remporter ce challenge, dont il rêve depuis des lustres. Pour cela, il va devoir encore se confronter à deux concurrents, aussi en lice pour le fauteuil présidentiel de l’Unesco. En face, il y a la Bulgare Irina Bokova, l’actuelle dirigeante de l’Unesco, candidate à sa propre succession, qui s’accroche à son siège, et le Franco-Libanais Joseph Mayla.

« L’Afrique ne doit plus être le continent oublié »

Le Djiboutien ne sous-estime pas ses concurrents. Loin de là. Mais il sait que les différentes expériences de la vie qu’il a vécues l’ont forgé et lui donnent amplement les moyens de faire peau neuve de l’institution vieillissante. Né à Djibouti en 1950, issu d’une fratrie de neuf enfants, diplômés de lettres à la Sorbonne et de l’International d’administration publique à Paris, le diplomate chevronné a parcouru le monde entier. Surtout depuis qu’il travaille au ministère des Affaires étrangères dans son pays d’origine, après son indépendance en 1977. Il est alors chargé de mettre sur pied les premières ambassades de Djibouti à Paris, New York, Caire, Addis-Abeba. Chargé notamment des questions de la sécurité en mer rouge, il se rendra régulièrement en Egypte, Ethiopie et Yemen. En 1985, il coordonne l’aide humanitaire des différents pays dans la corne de l’Afrique, en proie à la famine et aux guerres. Un an plus tard, suite à la l’éclatement de la guerre civile au Yemen, il dirige le comité chargé d’évacuer lus de 300 000 personnes de diverses nationalités.

Le sexagénaire développe aussi les relations de son pays avec l’Asie pendant 15 ans, de 1989 à 2004. Une fois ses valises posées pour de bon à Tokyo où il épouse une Japonaise, à qui il est marié depuis 25 ans, il représente son pays au Japon, en Chine, à Singapour, aux Philippines, en Malaisie, en Inde, et Thaïlande mais aussi en Australie, avant de finalement s’installer en France. Où il représente également son pays au Royaume Uni, Italie, Tunisie, Algérie, Portugal, Espagne, Monaco et Islande. Rachad Farah est aussi très impliqué au sein de l’ONG Médecins d’Asie, qui interviendra dans les pays de la Corne de l’Afrique, mais aussi au Rwanda, Ouganda et Burundi. ONG dont sa femme Tazuko a participé à la création avant d’en être la première secrétaire générale.

Pour le Djiboutien, c’est important d’être engagé dans des causes, car celui qui est à « la tête de l’Unesco doit être un militant de la bonne cause ». Lui, estime justement qu’il porte en lui les valeurs de l’Unesco, dont la devise est de « construire la paix dans l’esprit des hommes et des femmes ». A sa création au sortir de la seconde guerre mondiale, elle avait pour but de combattre le racisme, le fascisme, le colonialisme qui avaient provoqué des conflits meurtriers impliquant le monde entier. L’objectif de l’institution était alors de promouvoir la paix, l’égalité, l’universalité, la tolérance, la solidarité et la protection du patrimoine mondial.

« L’Unesco, la diplomatie de la paresse »

Mais l’Unesco s’est éloignée de toutes ces valeurs qu’elle défendait à l’origine, note Rachad Farah, qui ne mâche pas ses mots à l’égard de l’institution, dénonçant une organisation agonisante qui, derrière les beaux discours, croule en réalité sous les difficultés financières, à cause d’une mauvaise gestion. Raison de plus pour que « l’Unesco revienne impérativement à ses fondamentaux ! », clame-t-il. S’il est élu, lui veut tout chambouler et donner un coup de pied dans la fourmilière. Moderniser l’Unesco. La faire sortir de sa somnolence, pour mettre un terme à cette « diplomatie de la paresse ». Tels sont ses objectifs. L’Unesco « ne doit plus rester entre quatre murs enfermée dans un bureau. Elle doit traverser la Méditerranée. Il faut être sur le terrain, auprès des populations les plus démunies », s’exclame le diplomate, élevant la voix. L’Unesco a aussi un autre gros problème, selon le candidat de l’Afrique. « C’est son manque de vision et de leadership ».

Et c’est précisément ce problème qu’il veut résoudre, en mettant dès le début les pieds dans le plat. Pour lui, l’éducation doit être au cœur des préoccupations de l’Unesco. Et dans ce domaine, ses projets, notamment pour l’Afrique sont ambitieux. « Je veux créer un électrochoc culturel en Afrique. Etablir une synergie entre les universités africaines. Mon but est de créer un mouvement, une fédération d’idées et créer des raccourcis entre les universités. L’Unesco a un rôle important à jouer, je pense, pour le continent ». Tant de projets, qui ne peuvent aboutir si on n’y inclut pas les femmes et ne leur donne pas les moyens de s’épanouir. « On ne peut pas construire une société pérenne sans elles, car l’avenir de l’humanité c’est la femme ».

Une société qui sera également construite autour des jeunes. L’Afrique est le continent qui comptera le plus de jeunes dans le futur, rappelle le sexagénaire. « Il faut apprendre aux jeunes à vivre ensemble. Le dialogue entre les cultures et religions est donc légitime. On ne pourra pas combattre le djihadisme par les armes seulement, mais par la culture », défend Rachad Farah. Le diplomate n’a aucun doute sur ce point : « Le message apaisé de l’humanité viendra de l’Afrique. »

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