Projet ambitieux de reconstitution de l’histoire de Porto-Novo : entretien exclusif avec le professeur Noukpo Agossou


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Professeur Noukpo Agossou
Professeur Noukpo Agossou

L’histoire du royaume de Xɔ̀gbónù/Ajacɛ/Porto-Novo, la capitale politique de la République du Bénin, la ville aux trois noms, bien que déjà étudiée par des spécialistes, mérite encore qu’on s’y penche pour apporter un halo de lumière sur de nombreuses zones d’ombre qui persistent dans cette histoire. En effet, des zones d’ombre, il en existe ; des controverses, il n’en manque point. C’est du moins l’avis du professeur Noukpo Agossou, l’initiateur d’un immense projet d’écriture de l’histoire de Porto-Novo en plusieurs volumes. Tel une graine mise en terre, l’idée de ce projet ambitieux a germé depuis 2016 pour donner vie au premier volume de l’ouvrage collectif intitulé Xɔgbonu, Ajacɛ, Porto-Novo : Une ville et son histoire, dont le lancement officiel est prévu pour le 25 mai 2024 dans cette même ville dont il retrace l’histoire. Afrik.com a sondé les profondeurs de la genèse de ce projet avec le professeur Noukpo Agossou qui s’est confié à nous, à cœur ouvert.

Entretien

Professeur, vous êtes le directeur et même l’éditeur d’un ouvrage collectif intitulé Xɔ̀gbónù, Ajace, Porto-Novo. Une ville et son histoire dont le premier volume vient de paraître et sera officiellement lancé, le 25 mai 2024, à Porto-Novo. Avant de nous présenter l’ouvrage, permettez que l’on vous connaisse davantage, vous-même.

Je suis Noukpo Agossou, professeur des universités, mais géographe à la retraite, depuis 12 ans. Il est vrai que durant les premières années de ma carrière, j’ai été employé comme professeur dans l’enseignement secondaire. Je suis passé professeur certifié comme on dit des lycées et collèges, comme on dit, quelques années avant mes différentes mésaventures sur lesquelles on n’a pas besoin de revenir. J’ai surtout travaillé dans le domaine de la Géographie régionale et du développement économique. Et j’ai enseigné dans plusieurs universités, notamment à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg-1, à l’Université Laval du Québec au Canada, à l’Université d’Abomey-Calavi avec ses différents démembrements. Et également comme professeur invité à l’Université de Provence Aix-Marseille. Voilà pour ce qui est de ma carrière.

Vous l’avez suffisamment dit, vous êtes géographe. Mais là, nous sommes sur le terrain de l’Histoire. Et vous avez dirigé un ouvrage dont le lancement doit s’effectuer le 25 mai 2024, comme je l’ai signifié plus haut. D’où est partie l’idée de cet ouvrage ?

J’ai été invité à coorganiser un colloque international à l’occasion de l’anniversaire du décès de Tè Agbanlin, le fondateur du royaume de Porto-Novo (il a régné de 1688 à 1729, ndlr). C’était en novembre 2016, et j’avais été invité à cet événement par le président des Xweɖutɔ – chefs de lignées familiales – de Porto-Novo. J’y étais convié à double titre. D’abord en tant qu’universitaire ; pour le président des Xweɖutɔ, je devais être un historien-géographe. Parce que la plupart des gens ne font pas toujours la différence entre historiens et géographes ; c’est surtout les professeurs d’Histoire-Géographie qu’ils connaissent. Mais aussi et surtout, j’ai été invité en tant que prince descendant de la lignée de Dè Lokpɔn – ce dernier étant le 3e roi de Porto-Novo, après Tè Agbanlin et Dè Hakpon (il a régné de 1739 à 1746, ndlr) –. Et donc, c’est à ce titre que Gnambodè Tè Agbanlin Zounkpototé – pour ne pas le nommer – le président des Xweɖutɔ à l’époque m’a invité et je n’ai pas manqué de lui dire ce que je suis.

Je m’étais alors rapproché du spécialiste historien du royaume de Porto-Novo à savoir le professeur Michel Vidégla, paix son âme. Ce dernier avait accepté de présenter à ce colloque une communication intitulée « La vie et l’œuvre de Tè Agbanlin ». Cette communication a suscité beaucoup d’intérêt et donc beaucoup de débats. Parce qu’à Porto-Novo, il ne faut pas l’oublier, nous avons quelques difficultés d’ordre historique, des mésententes persistent sur certains aspects de l’histoire de la ville. Il y a les Yoruba/Nago qui se considèrent comme les premiers occupants, ce qui n’est pas contestable. Mais de l’autre côté, il y a encore les Hwézènou. Ils ont même fait, il y a une dizaine de jours, une célébration pompeusement médiatisée pour dire qu’ils étaient les premiers occupants de Porto-Novo et qu’en gros, nous les descendants de Tè Agbanlin sommes des usurpateurs, etc.. Je ne reviendrai pas sur cette polémique qui, pour moi, n’a pas beaucoup de consistance.

Le Migan (dignitaire de Porto-Novo, il est le chef des Hwézènou, ndlr), qui a orchestré tout ça, prétend que ce sont eux les vrais détenteurs du royaume, qu’ils seraient venus de l’orient, d’où le nom Hwézènou, c’est-à-dire ceux qui sont originaires de l’orient, le côté où le soleil se lève. Selon les dires des défenseurs de cette thèse, ils seraient venus d’Éthiopie, auraient transité, entre autres, par le Nigeria, Alada (c’est une localité qui se trouve aujourd’hui sur le territoire de la République du Bénin. Alada a été une étape essentielle de la migration qui a conduit depuis Tado dans l’actuel Togo, les fondateurs des royaumes d’Alada, du Danxomɛ et de Xɔ̀gbónù encore appelé Porto-Novo, ndlr) pour finalement se retrouver ici à Porto-Novo, avant nous. Mais, ils n’ont pu exhiber aucune preuve historique qui sous-tend leur position. Ils se contentent de simples allégations.

Il y en a qui disent qu’étant donné que le Président Patrice Talon a voulu s’occuper sérieusement des royautés, eux aussi ils ont estimé nécessaire de s’insérer dans la danse. Est-ce qu’on va inventer l’histoire ? Un royaume, pour le peu que j’en sais, se caractérise par un territoire, une royauté, c’est-à-dire une succession de rois, un palais, et pas loin du palais, un marché où se déroulent les activités économiques sans lesquelles on ne saurait parler de royaume. Après tout cela, il y a d’autres éléments comme une armée, une administration, etc.. Donc la première question que je pose aux Hwézènou est celle-ci : quel est leur territoire ? Le Migan dans le royaume de Porto-Novo, c’est le bourreau au service du roi. En tant que tel, il était chargé d’exécuter la sentence. Les rois ont logé les Migan dans un quartier de Porto-Novo qu’on appelle Ouenlinda. Selon quelques investigations, le nom de ce quartier proviendrait de l’expression en gungbe (langue véhiculaire parlée à Porto-Novo, ndlr) « Hwlɛn ta ce » qui signifie : « Sauve ma tête ». Lorsque les Hwézènou sont arrivés à Porto-Novo, Tè Agbanlin et ses successeurs auraient pu se débarrasser d’eux. Mais, comme ils étaient des fugitifs, les rois de Porto-Novo leur ont offert refuge. Aujourd’hui, ils s’érigent en maîtres de terre.

Pour revenir à votre question, j’ai été le modérateur de cette conférence donnée par Michel Vidégla, et j’ai invité le professeur Alexis Adandé (un archéologue, ndlr) pour me seconder comme secrétaire de séance. C’est à partir de là que l’idée a commencé à germer dans mon esprit, compte tenu de tous les débats, de toutes les controverses qui ont surgi. Je me suis dit que notre histoire est à écrire. Parce que si des gens contestent de toutes parts comme c’est souvent le cas, il faudra bien continuer la recherche pour tenter de tendre vers la vérité historique. Tenez, par exemple, il y a des revendications royalistes chez certains Yoruba/Nago de Porto-Novo aujourd’hui. Alors qu’il est établi que si ces derniers sont bel et bien les présumés premiers occupants de Porto-Novo, ils n’ont pas un territoire ici, ils n’ont pas un palais, il n’y a quasiment rien qui matérialise leur royauté/royaume.

Le temple Abori Mɛsan à Porto-Novo
Le temple Abori Mɛsan à Porto-Novo

D’ailleurs, il y a un chapitre écrit par le professeur Léonard Jijoho Padonou dans le document qui aborde directement la question. Lui, il est Yoruba, et ce sont eux les tenanciers du temple Abi Mɛsan que les gens appellent communément Abɛsan ou Avɛsan (il s’agit d’une termitière monumentale en terre dédiée à la première divinité vodun de la ville de Porto-Novo, appelée Avɛsan ou Abori Mɛsan. Le temple a été érigé sur le lieu où la divinité était apparue aux trois chasseurs yoruba (Obagadjou, Anata et Ogbon) reconnus comme les premiers occupants des terres de Xɔ̀gbónù sous la forme d’un monstre à neuf têtes sorti d’une termitière, ndlr). C’est à la suite d’une décision de justice que les clés de ce temple ont été officiellement remises à la famille Padonou, et c’est précisément à Léonard Jijoho Padonou qu’est revenue la garde desdites clés. En réalité, accroché aux avantages qu’il tirait du temple, l’homme à qui la famille Padonou avait confié la gestion du site en avait, en quelque sorte, pris possession et ne voulait même plus quitter les lieux. L’intéressé a donc été dégagé suite à la décision de justice pour que la garde des clés du temple soit confiée à Léonard Jijoho Padonou jusqu’à sa mort. Ce dernier a écrit un chapitre – au lieu des deux qu’il m’avait promis – que j’ai publié en l’état en hommage à sa mémoire.

Donc, l’idée de l’ouvrage a commencé à germer. Mais, comme je dirigeais l’ISMA (Institut supérieur des métiers de l’audiovisuel, un établissement privé d’enseignement supérieur installé à Cotonou, ndlr) jusqu’en fin septembre 2021, je n’ai pas eu le temps de m’occuper sérieusement du projet. Le 1er mai 2021, cependant, j’ai pu réunir un certain nombre de ressources intellectuelles pour leur présenter mon idée. Ces personnes en étaient d’accord, et j’ai laissé libre cours à chaque participant de proposer un sujet ou plus sur le ou lesquels il aurait à travailler et à présenter pour le livre.

Comme je l’ai dit, « Ne faut-il que délibérer ? La cour en conseillers foisonne. Est-il besoin d’exécuter ? On ne rencontre plus personne », Jean de La Fontaine. C’est pour dire que beaucoup de gens sont restés, mais beaucoup d’autres n’ont pas poursuivi l’aventure avec nous. Ils ont laissé tomber pour différentes raisons. L’idée, c’est que ce soit nous-mêmes Béninois, Africains et Porto-Noviens qui écrivions notre histoire. L’écriture de l’histoire de la chasse doit cesser d’être l’apanage du seul chasseur. On s’est donc mis à l’œuvre couci-couça. L’objectif de départ était aussi d’ouvrir ce projet d’écriture non seulement aux spécialistes d’Histoire et sciences connexes – Archéologie, Histoire de l’art, etc. –, mais aussi à des non-historiens ou bien ceux qui ne sont même pas proches de l’Histoire, pourvu qu’ils aient compris la nécessité et le besoin de rédiger des pans d’histoire de Porto-Novo, et peut-être si ça peut servir de modèle à d’autres régions du pays, pourquoi pas ? C’est comme cela que je campe la problématique, si vous voulez.

Vous avez dit avoir convié un certain nombre de personnes à qui vous avez exposé votre idée. Pourriez-vous nous citer quelques-unes de ces personnes notamment celles qui ont tenu bon durant tout le parcours ?

La première de couverture de l'ouvrage
La première de couverture de l’ouvrage

Bien sûr. Il y a : le professeur Léonard Jijoho Padonou qui a écrit un chapitre sur deux promis, avant d’être fauché par la mort ; le professeur Didier Houénoudé qui a produit deux chapitres bien costauds ; Bakary Tidjani Saka, professeur certifié d’Histoire-Géographie ; le professeur Alexis Adandé. Voilà ceux qui étaient dans le noyau de départ et qui sont restés jusqu’à la finalisation du volume 1 de l’ouvrage. En dehors de ceux-là, il y a le cas particulier de Michel Vidégla à qui j’avais adressé une invitation pour participer à la séance du 1er mai 2021. Je n’ai pas eu de réponse de sa part. Si j’ai bonne mémoire, il est décédé quelques jours avant le 1er mai 2021. Donc, il était déjà malade au moment où je lui envoyais l’invitation. Cela justifie l’absence de réponse de sa part. Mais, j’ai publié sa communication donnée le 12 novembre 2016 en guise d’hommage.

Il y a ensuite ceux qui ont pris le train en marche. Il s’agit de : Roger Ahouansou, un ingénieur physicien, spécialiste du génie mécanique qui, avec la collaboration de Régina Dèdji, a écrit un chapitre sur la musique et la danse Ajogan ; Jean Laourou, un de mes anciens étudiants, professeur certifié d’Histoire-Géographie, que j’ai associé à la rédaction d’un des deux chapitres que j’ai écrits parce qu’il a travaillé sur les transports lagunaires ; le professeur Nouréini Tidjani Serpos, l’ancien directeur général adjoint de l’UNESCO chargé du Département priorité Afrique qui m’a laissé un chapitre. Enfin, il y a le professeur Sébastien Sotindjo, le dernier arrivé, mais qui a fait diligence et a rédigé un chapitre qui est le dernier de l’ouvrage. Voilà ainsi nommés les collaborateurs « finalistes » de ce premier volume.

Vous avez dit qu’il était nécessaire que nous écrivions nous-mêmes notre histoire. Mais, Porto-Novo ne manque pas d’études historiques réalisées par des nationaux. Je veux parler notamment de l’ouvrage intitulé citer Contribution à l’étude de l’histoire de l’ancien royaume de Porto-Novo publié en 1953 par Akindélé et Aguessy ou encore de la thèse d’État de Michel Vidégla soutenue en 1999 sur un sujet libellé ainsi qu’il suit : Un État ouest-africain : le royaume goun de Hogbonou (Porto-Novo) des origines à 1908. Pourquoi jugez-vous encore nécessaire une autre étude sur Porto-Novo ?

Vous le savez tout aussi bien sinon mieux que moi que l’Histoire est une science, je pourrais même dire dynamique, une science constamment réécrite et même réinterprétée de temps en temps ou de temps à autre. Elle n’est pas coulée dans du béton, pour ce que j’en sais. En dehors de ces œuvres que vous avez citées, il y en a même d’autres, mais qui comportent parfois des biais. Même l’ouvrage de Akindélé et Aguessy comporte des lacunes certaines. Ensuite, Michel Vidégla, c’est le grand spécialiste. J’en conviens, raison d’ailleurs pour laquelle je l’avais invité à tenir cette conférence, et même pour l’amener à participer à la rédaction de cet ouvrage. Néanmoins, le jour où il a présenté sa communication, il y a eu beaucoup de controverses qu’il n’a pas réussi, me semble-t-il, à trancher.

Nonobstant l’existence de ces documents que vous avez invoqués, il y a beaucoup de pans, beaucoup d’aspects, beaucoup d’éléments de notre histoire qui n’ont pas encore été abordés ou pas suffisamment, et qu’il faudrait aborder et présenter. Je ne sais pas si je vais trop vite en besogne, nous les princes, mes cousins proches ou éloignés, les descendants des différentes lignées de Dè Lokpɔn au même titre que celles des autres descendants de l’ancêtre fondateur, nous avons en projet de présenter non seulement les différents panégyriques de chacune de nos lignées, mais également de recueillir des éléments d’histoire pour les porter à la connaissance des Béninois, des Africains, enfin du public. C’est également une initiative qui va s’intégrer dans le cadre de mon projet d’ouvrages d’histoire. Bien évidemment, il faut du temps, il faut des gens, mais il est clair que nous nous rapprocherons des gens susceptibles de nous apporter des éléments pertinents, avant que toutes les bibliothèques ne brûlent !

Vous avez évoqué les controverses qui surgissent lorsqu’on aborde l’histoire de Porto-Novo. Il y en a eu à l’occasion de la présentation de la communication du professeur Michel Vidégla en 2016. Vous en avez parlé tout à l’heure. Mais, nous savons tous que ce genre de controverses est récurrent lorsqu’on parle de l’histoire des peuples de l’oralité comme les nôtres. Ma question, c’est de savoir si votre ouvrage a vocation à régler toutes ces controverses.

Oh, mais non. Ce serait vraiment prétentieux de ma part et de la part des autres. Nous n’avons pas du tout cette prétention. Mais, l’idée c’est que plus nous aurons réuni de la documentation, plus nous aurons une certaine chance d’évacuer les mythes ou les controverses. Parce qu’il reviendra aux historiens véritablement avertis, la tête froide, de rassembler tous ces documents et de les soumettre à la critique, afin de réaliser une œuvre peut-être plus hautement scientifique. Nous, nous n’avons pas les compétences scientifiques ou académiques requises, et en dehors de quelques deux ou trois qui sont des historiens avérés, la plupart des auteurs de ce volume sont des non-historiens. Mais, je pense que c’est une œuvre pionnière qui sera toujours utile aux historiens avertis.

Après ce tour d’horizon sur le contexte ayant conduit à son écriture, présentez-nous succinctement l’ouvrage.

Moi, en tant que géographe, j’ai écrit le chapitre 1er intitulé « Introduction géographique à l’étude de l’histoire de Porto-Novo ». Le chapitre 2 intitulé « Les origines de Porto-Novo : légendes et réalités » est l’œuvre de Léonard Jijoho Padonou. Vient ensuite la communication de Michel Vidégla plantée en troisième position dans l’ordre de numérotation des chapitres, pour suivre la chronologie. Ce troisième chapitre a pour titre : « La vie et l’œuvre de Tè Agbanlin ». Le chapitre 4 rédigé par Didier Houénoudé porte sur la construction du palais Hɔnmὲ. Le cinquième chapitre s’intitule « L’enceinte de Xogbonou » et porte la signature de Alexis Adandé et Bakary Tidjani Saka. Le sixième chapitre, écrit par Roger Ahouansou et Régina Dèdji, porte sur le Ajogan. Le septième chapitre que j’ai corédigé avec Jean Laourou s’occupe de l’importance et du déclin du port lagunaire de Porto-Novo en souhaitant sa réhabilitation pour différentes raisons. Parce qu’il y avait à Porto-Novo un port lagunaire qui était fonctionnel de la fin du XVIIIe jusqu’au début du XXe siècle, mais qui a aujourd’hui complètement disparu.

Or, et c’est pour ça que je fais comme une espèce de plaidoyer, le transport lagunaire comme tout transport par voie d’eau a énormément d’avantages sur le transport terrestre. C’est plus économique, plus écologique, et les quantités transportées sont énormes par rapport à celles transportées dans le transport terrestre routier et même ferroviaire. Ça permet de créer des emplois également. Malheureusement, on a laissé ce type de transport alors que dans les pays que nous essayons d’imiter souvent, le transport lagunaire ou fluvial est en vogue. Et le transport par voie d’eau n’use pas la voie d’eau ; tout au plus, peut-on procéder au dragage, ce qui rapporte encore des matériaux. Malgré tout ça…

Didier Houénoudé est revenu une deuxième fois pour écrire un chapitre sur le patrimoine historique de Porto-Novo. Vient ensuite le neuvième chapitre écrit par Nouréini Tidjani Serpos. C’est ce chapitre qui risque de susciter beaucoup de controverses le jour de la présentation de l’ouvrage. Il y a enfin le dernier chapitre sorti de la plume du professeur Sébastien Sotindjo.

Professeur, nous sommes en plein dans l’Histoire pour le géographe bon teint que vous êtes. Vous aviez commencé par l’évoquer au début de notre entretien. Pourquoi cet intérêt des géographes béninois pour l’histoire nationale ?

Je ne peux répondre que de moi. Pour les autres, je peux dire que de façon générale, nous avons tous reçu une petite formation d’historien à la base, en plus de notre formation de géographe. Et d’ailleurs, les plus anciens que nous – la génération des Jean Pliya et autres Alfred Mondjannagni – étaient encore un peu plus historiens-géographes, parce que dans la tradition universitaire française, c’était Histoire et Géographie. C’est progressivement que la Géographie a été complètement détachée de l’Histoire. Mais, à l’université, les géographes font un peu d’Histoire comme les historiens font un peu de Géographie. Évidemment, cette petite formation en Histoire ne confère pas aux géographes une compétence d’historien. Il y a ce premier élément.

L’autre élément, c’est que la plupart des gens de ma génération ont eu l’occasion de passer par l’enseignement secondaire. Et donc, de ce point de vue, nous étions tenus de faire les deux : Histoire aussi bien que Géographie, et également. C’était à quotient horaire égal, ce qui, me semble-t-il, nous obligeait à aller fouiller un peu plus en Histoire afin de nous documenter et être à la hauteur de la mission. En outre, parlant toujours des gens de ma génération, nous animions un creuset appelé Association nationale des Historiens et Géographes du Bénin (ASNAHG), précédemment ASDAHG (Association dahoméenne des Historiens et Géographes). Dans ce creuset, les échanges se faisaient de façon transversale d’Histoire à Géographie.

C’est dans un tel creuset que nous avions lancé en 1976 si j’ai bonne mémoire, une opération de sauvegarde des documents aux services des Archives nationales, en déboursant sur nos bien maigres revenus pour acquérir des chemises dossiers et classeurs pour faire le travail, histoire d’attirer l’attention des autorités sur le danger qui guettait nos archives (je peux citer pour mémoire Michel Vidégla alors directeur des Archives, Alexis Adandé, Sébastien Sotindjo, Noukpo Agossou, et j’en n’oublie…). Voilà un certain nombre d’éléments. Mais, en ce qui me concerne tout particulièrement, je suis un militant. Ça, c’est plus que de la science, un militant passionné de Porto-Novo.

Vous l’assumez…

Oui, je l’assume entièrement. Il faut voir tout ce que j’ai déjà fait sur Porto-Novo. Étant donné qu’en plus, je suis prince – sans trop le revendiquer, mais les gens me font appel, mes cousins, les autres princes, estimant que dans le lot, je suis celui qui émerge un peu, parce qu’à ma connaissance, nous n’avons pas d’historien de rang universitaire dans la dynastie de Tè Agbanlin. Je n’en connais pas. Il y a quelques historiens professeurs certifiés des lycées et collèges, certains ayant le Diplôme d’études approfondies (DEA). Mais, quand on recherche des historiens du niveau des Michel Vidégla et autres, je n’en connais pas, ou s’il en existe, immense serait ma joie de les connaitre –. C’est une raison de plus pour que notre histoire ne soit pas complètement noyautée ou qu’elle ne disparaisse pas. Alors, s’il peut se trouver parmi nous des gens pour recueillir des éléments de notre histoire, nos traditions et autres, quitte à les mettre à la disposition des historiens plus calibrés, pourquoi pas ? Surtout que moi, je suis à la retraite et que je dispose d’un peu de temps pour contribuer à faire ce travail avec d’autres.

À quoi tient ce militantisme pour Porto-Novo ?

Je suis de Porto-Novo par mes origines lointaines. Mes grands-parents se sont établis à Adanmayi, localité actuellement située dans la commune d’Ifangni (une commune se trouvant dans le sud-est du Bénin, ndlr). Mon père s’est installé à Porto-Novo, dans les années 1950. Et c’est dans cette ville que mes frères et moi avons tous grandi. J’y ai fait l’essentiel de ma scolarité primaire et secondaire, et j’ai vu – c’est peut-être ça la raison de mon militantisme – Porto-Novo être dépouillée de tous ses attributs de capitale. Je suis toujours révolté par rapport à ça. Je ne vois pas de raisons objectives qui ont amené les dirigeants à ce genre de forfait vis-à-vis de Porto-Novo. Et j’observe aussi que les Porto-Noviens ne disent rien, ils ne réagissent pas ; ils sont là, on leur chie sur la tête sans qu’ils ne bronchent. Vous connaissez l’adage : « Ye xo tomɛ na Xɔgbonutɔ e ɖɔ e ko mami ». Ce qui, traduit, veut dire : « On a administré une gifle au Porto-Novien. Et pour toute réaction, il se contente de répliquer : nous en avons l’habitude ». Si vous connaissez des gens qui sont prêts à se battre, qui militent comme je le fais là pour Porto-Novo, je suis disposé à me rapprocher d’eux. Les Porto-Noviens sont un peuple pratiquement amorphe, très peu prompt à la réaction. Moi, je ne suis pas d’accord, car « Indignez-vous ! », recommandait Stéphane Hessel. Ça sera mon mot de conclusion. Je vous remercie.

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Historien, Journaliste, spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne
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