Pour la réconciliation


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Ewart Forde est le président de Radcorp, l’Organisation non gouvernementale pour la réconciliation et le développement qui travaille sur la réconciliation entre l’Afrique et sa diaspora. II a écrit ce texte, traduit de l’anglais, après la deuxième édition du Festival international Gospel et Racines, au Bénin. Il s’exprime, entre autres, sur le sens et l’objet de la troisième édition de ce festival, qui a débuté dimanche 1er août : la réconciliation.

Par Ewart Forde

Du plus loin que remontent mes premiers souvenirs, un incident reste gravé dans ma mémoire. Un jour de classe, dans mon pays natal, à Trinidad et Tobago. J’ai sept ans et notre maître d’école demande à tous les « Nègros » de se lever. Tandis que tous les élèves d’ascendance africaine se lèvent, moi je reste assis sur ma chaise, n’ayant aucune idée de ce qu’est un Négro et ignorant que j’en suis éventuellement un. Mes compagnons de classe sont plus qu’heureux de rapporter au maître que je suis
resté assis. Quand l’enseignant me demande pourquoi je suis encore assis, je lui réponds avec insistance que je ne suis pas un Négro et je ne vois, par conséquent, aucune raison de me lever. Ce fut la première confrontation avec mon identité raciale et, depuis, cette problématique ne m’a jamais quitté.

Plus tard, en Amérique, j’apprendrai que j’étais Noir et que cette couleur de peau représentait un enjeu culturel et politique. Grandir, c’est en découvrir un peu plus sur son histoire personnelle et celle de son peuple. Pour ma part, j’ai découvert la souffrance qui s’est transmise de génération en génération et le fait de ne pas avoir le droit d’être considéré comme un être humain à part entière sur cette planète. Vous reconnaissez alors cet arrière-goût amer dans votre bouche quand vous êtes confrontés à la dure réalité de la Traite négrière.

Il y a un fossé dans le cœur et l’âme de chacun des membres de la Diaspora africaine et c’est un gouffre dans lequel nous mettons toutes les contrariétés de notre existence puisqu’elles sont liées au racisme et aux préjudices inhérents. Retrouver ses racines est une aspiration, un désir si vif, si profond et douloureux que la seule manière de survivre est de la supprimer. Cela provient exclusivement d’une perte totale de notre identité culturelle. Cette problématique des racines est
cruciale. Nous ne sommes pas un cas unique dans le monde, ni dans l’Histoire. Le besoin de connaître ses origines existe depuis les temps bibliques. Quand les enfants, qui on été adoptés en bas âge, sont confrontés à cette situation, ils vont à la recherche de leurs géniteurs contre l’avis de leurs parents adoptifs. Ce n’est pas facile à expliquer mais le phénomène est réel et bien connu.

Au plus profond de nous, nous sommes un peuple perdu. Nous ne pouvons pas aller au tréfonds de nous-mêmes parce que nos racines sont trop éloignées. Le plus douloureux,
c’est que personne d’autre au monde ne semble comprendre
pourquoi nous sommes ce que nous sommes. Pourquoi nous
ressentons cette peine aussi vivement ! Pourquoi nous désirons si ardemment ce que les autres ont, par déduction, jugé peu important ou inutile. Même les Africains du continent n’en ont aucune idée et ont peu de sympathie pour la Diaspora. J’ai
expliqué ce sentiment – cette peine qui est inhérente à nos
vies d’enfants d’Afrique issus de la Traite négrière – dans une
église au Bénin. A la fin de mon discours, l’un des
responsables de l’église m’a demandé de donner la preuve de mon
amour en expédiant des dons des Etats-Unis. Je l’aurai fait
de toute façon mais ce n’est pas la manière dont je souhaitais
être reçu par les miens, c’est-à-dire comme quelqu’un dont on
espère seulement pouvoir tirer profit. Pas un mot sur mon
chagrin ou la façon de m’aider à le surmonter. Je ne sais pas
ce que j’espérais mais je ne l’ai pas obtenu de mon audience.
Pour eux, je vivais en Amérique, j’étais donc à l’aise et je
n’avais aucune raison de me plaindre.

Depuis notre dernier séjour au Bénin, des natifs du continent ont vécu avec nous aux Etats-Unis. Ils étaient constamment dans leur monde. Il n’y a eu aucune tentative de leur part de faciliter l’échange avec nous en termes de langage et de culture. Au contraire, ils étaient plus enclins à nous faire savoir pourquoi l’Afrique était un endroit si terrible et les raisons qui ont motivé leur départ du continent. C’est la même chose que j’ai entendue sur les campus et les endroits où l’on trouve des Africains. Nous ne sommes pas intéressés par ce genre d’opinions parce que nous les avons entendues toutes nos vies d’autres personnes et dans les médias.

Pour, nous l’Afrique est une promesse de bien-être et c’est le berceau de notre identité. Nous portons en nous l’espoir
de ceux qui ont été dérobés à leur terre et sauvagement placés
dans des bateaux dans de mauvaises conditions, soumis aux pires
brutalités et qui, pendant tout ce temps, devaient se jurer de
retourner chez eux. Cela est profondément enfoui et vécu comme un juste retour des choses. C’est cette souffrance et cette promesse de lendemains qui chantent qui nous ont poussé vers le Gospel qui a été pendant plus de 400 ans la pierre angulaire de notre existence et la raison pour laquelle nous chantons.

C’est ce que nous chantons et avons chanté pour faire passer le temps dans les champs de canne à sucre et de coton. Notre vison de l’Afrique est héritée de personnes qui ne devaient jamais voir ce que l’Afrique deviendrait après des années de domination par l’Europe et de décolonisation. Ils ont été arrachés à leur vie mais leurs rêves sont restés intacts et c’est ainsi qu’ils ont tout surmonté. La haine et le dégoût de l’Afrique moderne pour elle-même sont loin de l’héritage plein d’espoir que nous ont légué nos pères.

Mais la complicité n’est pas seulement historique, elle est aussi contemporaine. La peur de devoir s’acquitter d’un lourd tribut financier a empêché tous ceux qui, en ces temps modernes, auraient dû se mettre en avant et clamer haut et fort que l’esclavage n’aurait jamais dû exister, de prendre position. Même l’Eglise est restée silencieuse ou a fait semblant de se préoccuper de cette chose diabolique qu’un peuple a fait subir à un autre ainsi qu’a lui-même. Même les Etats-Unis ne se sont pas démarqués positivement de cette attitude.

Même le soi-disant « Président noir » (Bill Clinton) est parti sans rien faire dans ce sens. Nous sommes tellement heureux, en tant que peuple noir, que quelqu’un nous dise qu’il nous aime et compatit à notre douleur, que nous nous contentons de mots, de la banale affirmation que notre combat est compris. Pour cette passion éphémère et pour satisfaire notre besoin de sécurité, nous nous sommes bradés. On nous fait croire que ce sentiment, notre état d’esprit est un pur produit de notre imagination, une chose qui n’a aucun fondement, ni aucune base réelle.

En Amérique, on nous a dit que la guerre civile n’était pas une
guerre fondée sur le caractère moral de l’esclavage mais sur les principes des droits civiques et de la liberté. Evidemment
cette liberté renvoyait à celle des Blancs. Dire les choses
autrement aurait obligé la nation américaine à se remettre en
question et à admettre qu’il y a un prix à payer. Autrement, il reste la solution de ces îles et de ces nations, qu’on a laissées à elles-mêmes et où trouver des personnes à blâmer est impossible.

La réparation qui est due n’apparaît pas aujourd’hui comme une démarche à adopter. Il semble impossible de trouver une solution juste. L’Histoire devra retenir que nous,
au nom de nos pères qui n’ont pas survécu pour pardonner,
avons transformé la peine de nos aïeux en opportunités pour nos
enfants.

Au nom de tous mes pères que je ne connais pas, dont
il n’y a pas trace, dont la peine et la douleur m’ont été
transmises, j’accepte de relever le challenge actuel de transformer les défis de l’Afrique en opportunités pour les générations futures. En leur nom, je demande également au monde et à tous ceux qui ont profité de leur vie et de leur souffrance de reconnaître la dette incalculable qu’ils ont
envers eux. Enfin, moi, en leur nom, je vous absous et vous
demande de changer votre comportement vis a vis de leurs
enfants. J’exige d’être respecté maintenant en tant qu’Homme,
en tant que membre à part entière de la race humaine, fait à
l’image de Dieu comme n’importe quel autre homme. C’est le prix
que vous devrez payer pour mon pardon. C’est la condition sine qua none à laquelle je vous pardonne pour la peine et la
souffrance de mes pères. Sur ce point, il n’y aura pas de
compromis. Faire autrement, serait faire encore des victimes et se moquer de leur noble sacrifice.

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