Polémique autour de tests humains pour des médicaments anti-sida au Cameroun


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Un reportage diffusé sur France 2, le 17 janvier dernier, insinue que le virus du sida aurait été inoculé à des prostituées séronégatives au Cameroun afin de tester un médicament prophylactique, le Viread, produit par le laboratoire Gilead. Une association camerounaise, le Réseau éthique droit et sida et Act-up avaient déjà remarqué des anomalies dans le protocole dès mai dernier. Les chercheurs nient, pour leur part, avoir pris des décisions non conformes à l’éthique.

Par Valentine Lescot

Les prostituées de Douala au Cameroun ont-elles été encouragées à n’avoir que des rapports sexuels non protégés contre 4 euros pas mois (1 250 fcfa) ? Le laboratoire américain Gilead se sert-il de femmes africaines “ saines ” à bon prix pour déterminer si son médicament, le Viread (ou Ténofovir), peut prévenir du sida ? Un reportage diffusé sur France 2, le 17 janvier dernier, “ Ce que les laboratoires ne disent pas ”, a mis le feu aux poudres dans la presse camerounaise et internationale sur une affaire jugée “ scandaleuse ” par les associations de lutte contre le sida, mais “ partiale ” par les organisateurs des essais. Rappel des faits.

Financée par la fondation Bill et Melinda Gates (BMG) à hauteur de 6,5 millions d’euros, l’Organisation non gouvernementale (ONG) américaine Family health international (FHI) conduit un test sur 1 200 hétérosexuelles très exposées au VIH, en particulier des prostituées, au Ghana, au Cameroun, au Nigeria et au Cambodge, afin de vérifier l’efficacité et l’innocuité du Viread. Celui-ci est produit et donné gratuitement pour les besoins de l’expérience, qui va durer 12 mois, par le laboratoire Gilead. Au Cameroun, 400 filles de Douala se prêtent à cette expérience, confiée par la FHI à l’ONG Cameroun Health Programm (CHP). Selon un récent communiqué du ministère de la Santé du Cameroun, “ l’essai n’a été autorisé en janvier 2003 qu’après un long processus de vérification attestant que tous les principes éthiques régissant toute recherche impliquant l’être humain étaient respectées dans le protocole, notamment sur le conseil aux volontaires, la prise en charge et le suivi des volontaires ainsi que l’utilisation d’un placebo (produit substitut sans effet, ndlr) ”.

Le REDS et Act Up enquêtent

Les associations ne semblent pas d’accord quant à la conformité dudit protocole. “ Le problème dans cette étude est la question de la prise en charge financière des femmes séroconverties au cours des essais ”, explique Jean-Marie Talom, président du Réseau éthique droit et sida (REDS) établi à Yaoundé. C’est le REDS qui, le 1er décembre 2004, lors de la journée internationale de lutte contre le sida, a divulgué dans la presse locale cette anomalie. “ En février 2004, nous avons appris que des essais d’un anti-rétroviral allaient se dérouler à Douala. Nous avons essayé d’obtenir des informations sur le suivi des tests auprès du CHP. L’ONG n’a pas voulu nous répondre. Nous avons alors contacté l’association anti-sida Act-up à Paris qui est venue faire une enquête avec nous en mai dernier. Le CHP a alors bien voulu nous donner des documents, en particulier le protocole de recherche[[<*>C’est le promoteur de l’étude, en l’occurrence la FHI, qui a la responsabilité du protocole. Celui-ci passe ensuite par le laboratoire, les comités d’éthique et institutions liées à la santé du pays qui reçoit l’essai. Le protocole expose tout le dispositif mis en place pour le déroulement des tests.]] et les fiches de consentement remises aux prostituées (acceptation de se faire dépister et de suivre les tests). Nous nous sommes alors aperçus qu’il n’était pas spécifié que les femmes ayant contracté le sida pendant les tests seraient soignées. D’autre part, l’ONG ne distribue que des préservatifs masculins et pas de préservatifs féminins, lesquels sont plus facilement négociables pour les prostituées qui ne sont pas en rapport de force avec leurs clients ”, raconte Jean-Marie Talom.

Celui-ci rencontre le Professeur Doh Anderson Sama, directeur de l’hôpital pédiatrique de Yaoundé et investigateur principal des recherches, et lui fait part de ses préoccupations et solutions. Selon le président du REDS, le médecin ne veut pas distribuer le préservatif féminin, arguant qu’il n’est pas plus stratégique qu’un autre. Par ailleurs, il lui assure que les femmes contaminées seront envoyées dans les hôpitaux et non laissées à l’abandon. “ La prise en charge des femmes contaminées à la suite des tests n’est pas une obligation éthique. Nous devons seulement traiter les personnes malades à cause de complications liées au médicament ”, explique à Afrik.com le professeur Doh, qui confirme par ailleurs que le protocole initial ne spécifiait pas de soigner les personnes contaminées. “ Mais depuis quelques temps, après concertations avec la FHI, nous prenons en charge les malades. Ce matin (mardi, ndlr) nous avons envoyé une femme dans un établissement agréé. Par ailleurs, nous expliquons bien aux filles qu’elles doivent avoir des rapports protégés et leur distribuons des paquets de 48 préservatifs à chaque fois qu’elles viennent ”, ajoute-t-il. Au Cameroun, le traitement tri-thérapique, subventionné par l’Etat, coûte au malade 3 000 fcfa par mois, auxquels il faut ajouter 18 000 fcfa d’examens préalables. Pour le programme de recherche sur le Viread lancé par la FHI, le Cameroun health program aurait reçu un budget de 800 000 dollars.

“ On cherche à frapper une mouche avec une mitraillette ”

De son côté, le président du Comité national d’éthique du Cameroun, le professeur Lazare Kaptue, qui a participé à la vérification du protocole de recherche, assure également avoir demandé aux chercheurs de faire soigner les personnes contaminées par le sida au cours de l’expérience. Tout en se plaignant que, dans cette affaire, “ on cherche à frapper une mouche avec une mitraillette ”. Le professeur fait partie d’une mission d’évaluation et de suivi commise récemment par le ministère de la Santé, suite aux pressions médiatiques pour travailler sur la recherche clinique à Douala concernant le Viread. Dirigée par le professeur Peter Ndumbé, elle devrait publier son rapport dans une dizaine de jours. Pour sa part, le REDS dit ne rien attendre de cette enquête menée par des médecins qui “ ne tireront pas dans les pattes de leurs collègues ”.

Au sein d’Act Up, à Paris, on parle de conflit d’intérêt entre éthique et économie. “ Pour des raisons financières, le laboratoire a fait le choix d’organiser les essais dans les pays du Sud plutôt qu’au Nord, où la probabilité d’être exposé au VIH est plus faible. Le laboratoire aurait dû inclure 100 fois plus de personnes au Nord qu’au Sud pour avoir des résultats significatifs (si le test s’était déroulé au Nord, ndlr). Comble du cynisme, Gilead a choisi d’inclure les personnes les plus vulnérables, des prostituées fortement exposées au virus ”, relève l’association dans un communiqué daté du 20 janvier dernier. Et même si toutes les précautions préventives sont prises, les laboratoires tablent toujours sur un pourcentage statistique de personnes qui ne se protègeront pas pour valider leurs expériences. A condition que l’échantillon pris soit très important, ce qui n’était pas le cas au Cameroun. Une situation compensée par le recours à une population particulièrement à risque. En juillet 2004, Act Up remarquait, suite à son enquête avec le REDS, que “ la prise en charge psychologique et les moyens mis en œuvre pour favoriser l’usage du préservatif étaient très insuffisants : 5 conseillers et 4 médecins pour 400 prostituées. “ Mais ”, conclut Act Up, “ il faut des contaminations pour que les résultats de l’essai soient intéressants ”… Affaire à suivre.

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