Travail des enfants en RDC : plainte aux États-Unis contre les géants de la technologie


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Travail des enfants dans les mines en RDC

Après une minutieuse enquête conduite pendant plusieurs mois sur le travail des enfants dans les mines de cobalt en République démocratique du Congo, l’ONG International Rights Advocates (IRAdvocates) a décidé de porter plainte ,aux Etats-Unis, contre cinq firmes américaines dominant le secteur de la High Tech : Microsoft, Apple, Google, Dell et Tesla. Cette plainte, qui constitue une première, fait écho aux nombreuses actions menées, depuis plusieurs mois, par une autre ONG, Transparency International, pour éradiquer le phénomène.

Depuis plusieurs années, de nombreux rapports émis par des ONG internationales ou des organismes onusiens attirent l’attention sur la situation des enfants congolais travaillant dans les mines de cobalt, dans des conditions inhumaines. En 2014 déjà, l’UNICEF évaluait à 40 000 le nombre d’enfants travaillant dans les mines du Katanga. En janvier 2016, c’est au tour de Transparency International, de concert avec Afrewatch (African Resources Watch), de publier un rapport intitulé « Voilà pourquoi on meurt, les atteintes aux droits humains en République démocratique du Congo alimentent le commerce mondial du cobalt ». Le rapport décrit les conditions dangereuses dans lesquelles les enfants sont exploités dans les mines de cobalt.

La plainte de IRAdvocates : une première en la matière

Il s’agit de résultats d’enquêtes, réalisées entre avril et mai 2015, sur cinq sites miniers du sud de la RDC et au cours desquelles 90 mineurs dont 17 enfants ont été interrogés. Morceaux choisis : « L’exposition chronique à la poussière contenant du cobalt peut éventuellement en résulter une maladie pulmonaire mortelle connue sous le nom de « fibrose pulmonaire aux métaux durs ». L’inhalation de particules de cobalt peut également causer « une sensibilisation des voies respiratoires, des crises d’asthme, un essoufflement et un affaiblissement des fonctions pulmonaires » ». Le même rapport poursuit : « un contact cutané prolongé avec ce minerai peut aboutir à des cas de dermatite. Cependant, les chercheurs ont découvert que la majorité des mineurs travaillant de longues heures, chaque jour, au contact du cobalt, ne disposaient pas de l’équipement de protection le plus élémentaire, à savoir des gants, des combinaisons ou des masques ».

Ce rapport montre clairement les risques auxquels sont quotidiennement exposés les mineurs dont des enfants obligés de creuser à la main des mines s’étendant parfois sur des dizaines de mètres sous terre. Dans ces conditions, les accidents sont fréquents puisque, très souvent, les tunnels s’écroulent, entraînant des morts. Entre septembre 2014 et décembre 2015, plus de 80 mineurs morts dans ces accidents ont été répertoriés. Mais la réalité est sans aucun doute bien pire, puisque beaucoup meurent dans l’anonymat et leurs corps restent enterrés sous les décombres. Les risques de mutilations sont également énormes. Pour un ou deux dollars, les enfants mineurs travaillaient dans ces conditions parfois 24 heures d’affilée.

IRAdvocates, qui a mené ses propres enquêtes ayant abouti aux mêmes conclusions, a déposé, lundi, une plainte devant la Cour fédérale américaine aux noms de 14 plaignants. Cette plainte vise les mastodontes de la High Tech : Microsoft, Apple, Alphabet (Google), Dell et Tesla qui sont les importateurs du cobalt récolté dans ces conditions. Si l’ONG IRAdvocates a l’habitude de défendre les droits humains face aux firmes internationales, c’est bien la toute première fois que le cas des enfants mineurs congolais est porté devant les plus hautes juridictions américaines.

Le cobalt, une matière première fortement sollicitée par la High Tech

Le cobalt est un élément essentiel entrant dans la fabrication des batteries rechargeables de type lithium-ion utilisées dans les téléphones et ordinateurs portables, les tablettes, les appareils photo et même les véhicules électriques. La RDC est le premier producteur mondial de cobalt, détenant plus de la moitié des réserves mondiales du minerai (au moins 60%). Selon les chiffres fournis par le gouvernement congolais lui-même, 20% du cobalt exporté proviennent de mineurs artisanaux, ceux-là même qu’on appelle sur place les « creuseurs » dont l’effectif est estimé entre 110 000 et 150 000 individus et parmi lesquels de nombreux enfants dont les plus jeunes sont âgés de sept ans.

« La réalité est que le secteur de l’extraction du cobalt en RDC dépend des enfants, avec des hommes et des femmes effectuant les travaux dans des conditions primitives. C’est un terreau fertile pour les géants de la technologie qui cherchent du cobalt à moindre coût et l’utilisent en connaissance de cause », explique Roger-Claude Liwanga, spécialiste du travail des enfants dans les mines congolaises, un des auteurs de la plainte de IRAdvocates.

Puisqu’elles ont fortement besoin du cobalt, les multinationales américaines apportent un soutien total aux entreprises exploitant les enfants pour extraire le minerai. La plainte de IRAdvocates identifie clairement deux de ces entreprises fournissant le cobalt aux firmes américaines. Il s’agit de la chinoise Huayou Cobalt et de la suisse Glencore.

Des actions en trompe-l’œil

Les différents appels des ONG militant pour les droits humains dénonçant ce scandale en RDC avaient poussé les firmes à mener des enquêtes sur leurs chaînes de fournisseurs de cobalt. Apple par exemple est devenue la première firme à avoir publié, en 2017, la liste de ses fournisseurs parmi lesquels Huayou Cobalt, avec qui elle a commencé des actions pour lutter contre le travail des enfants dans les mines du Congo. Mieux, en février 2019, la société à la pomme a publié un document intitulé « Apple Rapport 2018 ».

Dell et HP avaient également montré des signes d’une certaine bonne volonté en initiant des enquêtes sur leurs filières d’approvisionnement auprès de Huayou en vue de détecter des risques liés aux droits humains et des atteintes à ces droits dans leurs chaînes d’approvisionnement en cobalt. Par contre, Microsoft et d’autres firmes avaient choisi d’entretenir le mythe sur leurs filières d’approvisionnement.

En somme, si la majorité des firmes ont préféré garder le secret, les quelques-unes qui ont mené des actions comme Apple ne l’ont fait que de façon superficielle, sans grands effets sur la situation des mineurs. Or, il est établi qu’une entreprise qui contribue au travail d’enfants ou au travail d’adultes dans des conditions dangereuses, ou qui en tire profit, a alors la responsabilité de réparer le préjudice subi. C’est ce que réclame aujourd’hui IRAdvocates à ces sociétés américaines.

Une incapacité de l’Etat congolais

La situation des enfants mineurs du Congo dure depuis des années et traduit une incapacité de l’Etat congolais à juguler le problème. En 2011, un plan d’action national pour éradiquer le travail des enfants en RDC avait été élaboré ; mais il n’a jamais été officiellement adopté par l’Etat. En 2017, le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende, annonçait qu’« une campagne nationale va être lancée avec l’appui des médias publics et, si possible, des médias privés. Le gouvernement continuera son travail avec la communauté locale ». Ces actions participeraient de la nouvelle stratégie du gouvernement visant à éliminer le travail des enfants dans le secteur minier d’ici à 2025.

A l’époque déjà, le directeur exécutif d’Afrewatch, Richard Ilunga Mukena, estimait « qu’aucune action concrète n’a été menée sur le terrain par le gouvernement, tant au niveau national que des provinces. Et tous les efforts se situent encore au niveau de la planification et de la campagne de sensibilisation des acteurs comme les ONG, les services de l’État ou des enfants eux-mêmes ».

Deux ans plus tard, presque rien n’a bougé. Cette plainte portée par IRAdvocates devant la justice américaine est peut-être l’élément qu’il fallait pour corriger cette situation qui va de mal en pis.

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Historien, Journaliste, spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne
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