Piedad Cordoba : « Je suis femme, je suis noire, je fais de la politique »


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Piedad Cordoba n’en doute pas : obtenir la libération des 45 otages aux mains de la guérilla est un défi de taille. Cette Colombienne de 52 ans, sénatrice du Parti libéral, s’est juré de réussir là ou tant d’autres ont échoué. Parmi les échaudés, la France qui tente depuis plus de cinq ans de faire libérer l’ex-candidate à l’élection présidentielle et Franco-Colombienne, Ingrid Betancourt. Piedad Cordoba continue de croire qu’un accord humanitaire entre le gouvernement et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) est possible. « Les familles des otages ont trop attendu. J’ai peur de décevoir », soupire-t-elle.

Adepte de la révolution bolivarienne et soutien convaincu du président vénézuélien, Hugo Chavez – dans un pays de 45 millions d’habitants où ils sont rares -, la sénatrice a décidé le 12 août de faire appel à ses services. « Je connais Hugo Chavez depuis longtemps, mais il ne savait pas que j’allais le prendre à partie en direct, au cours de son émission télévisée », raconte Piedad Cordoba. A la surprise générale, le président colombien Alvaro Uribe a accepté que sa plus féroce opposante et son turbulent voisin jouent les « facilitateurs » en vue d’un accord avec les FARC. « Uribe est convaincu que cette nouvelle démarche est vouée à l’échec », affirme un fonctionnaire de la présidence.

« Hugo Chavez et Piedad Cordoba ont un point commun. Ils suscitent des réactions tellement virulentes qu’on ne sait dire lequel des deux a les ennemis le plus viscéraux », explique l’éditorialiste du quotidien El Tiempo, Roberto Posada. Il rappelle que les détracteurs de la parlementaire libérale lui reprochent « jusqu’à la couleur de sa peau ».

« Je suis femme, je suis noire, je fais de la politique. J’ai l’habitude de me faire traiter de tous les noms », résume Piedad Cordoba. Elle s’inquiète du climat actuel où « celui qui n’est pas d’accord avec la politique militariste du président Uribe est soupçonné de sympathie pour la guérilla et les terroristes ». Mère de quatre enfants, dont le plus jeune est âgé aujourd’hui de 23 ans, elle se souvient en souriant : « Quand j’ai présenté le premier projet de loi concernant les droits des couples homosexuels, j’ai été traitée de lesbienne parce que je venais de divorcer. »

Les choix assumés de Piedad Cordoba

Féministe radicale, Piedad a revendiqué et défendu publiquement son choix de recourir à la chirurgie esthétique. Son éternel turban, ses grandes robes bariolées et ses bijoux clinquants détonnent dans le milieu compassé de la politique colombienne. Elle habite aujourd’hui un bel appartement, dans le centre de Bogota. Encore une originalité, l’immense majorité de ses collègues a depuis longtemps émigré vers les beaux quartiers du nord de la capitale.

Depuis douze ans au Congrès, « Cordoba la Noire », comme l’appellent plus ou moins gentiment ses collègues, a été de tous les combats. « C’est une vraie dure », tous en conviennent. « Piedad a contribué à moderniser le débat politique et la législation colombienne, en introduisant les grandes questions sociétales, du droit des femmes à celui des Afro-descendants ou des homos », rappelle la cinéaste Clara Riascos.

Son franc-parler, ses positions impulsives, les accusations personnelles qui émaillent son discours valent à Piedad de se faire détester ou craindre, y compris par ses proches. « Piedad a du mal à se faire aimer, c’est un obstacle en politique », note une de ses amies.

C’est dans la ville de Medellin, dont elle est originaire, que Piedad démarre sa carrière politique après des études de droit dans une université catholique. Ses parents étaient tous deux instituteurs, sa mère blanche, son père noir. « Une bonne façon de savoir très tôt ce que c’est que la discrimination et de vouloir changer les choses », résume-t-elle. Elle rejoint pourtant le Parti libéral, alors au pouvoir. D’aucuns lui reprochent son adhésion à une formation politique qui « pallie l’absence de cohérence idéologique par la force des pratiques clientélistes ».

Elue au conseil municipal en 1987, puis à l’assemblée régionale du département d’Antioquia, Piedad Cordoba entre à la Chambre en 1992 et au Sénat quatre ans plus tard. En 1994, la parlementaire, qui a toujours maintenu des liens étroits avec son département, soutient la candidature d’Alvaro Uribe, élu gouverneur d’Antioquia. « J’étais convaincue qu’il fallait jouer la carte de la rénovation politique contre tous les caciques qui dominaient alors le jeu politique », explique-t-elle. Mais Piedad prend rapidement ses distances avec le nouveau gouverneur.

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A Bogota, elle se bagarre pour empêcher la légalisation des coopératives « Convivir », ces milices privées qui prétendent lutter contre la guérilla. A Medellin, le gouverneur Uribe les défend avec enthousiasme. A l’ombre du narcotrafic, le paramilitarisme s’épanouit en Antioquia, avec son cortège de massacres et d’horreur.

Piedad Cordoba n’a de cesse de dénoncer le phénomène. En 1999, elle est séquestrée pendant vingt et un jours par les hommes de Carlos Castano, le grand chef paramilitaire de l’époque. « Je me disais que j’allais mourir. J’étais terrorisée à l’idée d’être torturée », raconte la sénatrice. Elle se souvient, reconnaissante : « A l’époque, Ingrid Betancourt avait intercédé pour moi auprès des chefs paramilitaires. »

Une fois libérée, Piedad Cordoba se réfugie au Canada avec sa famille. Mais l’appel de la politique est plus fort. Dix-huit mois plus tard, elle laisse ses enfants, qui vivent toujours à l’étranger, et rentre à Bogota, où les menaces reprennent immédiatement.

Piedad Cordoba ne baisse pas le ton. Depuis qu’Alvaro Uribe est au pouvoir, elle n’a pas de mots assez durs pour critiquer le processus de paix engagé avec les paramilitaires et « les compromissions inadmissibles du pouvoir avec la mafia et les criminels ». Invitée à Mexico, en mars, elle affirme en public que « les gouvernements progressistes d’Amérique latine devraient rompre leurs relations diplomatiques avec la Colombie ». Piedad Cordoba n’aime pas se dédire : « Je pensais ce que je disais », précise-t-elle.

Ses positions radicales la rapprochent du Pôle démocratique, le parti politique de gauche en pleine ascension. Mais Piedad reste fidèle au vieux Parti libéral : « Dans ce pays très raciste même s’il ne veut pas l’avouer, je suis noire aux yeux des Blancs, mais les Noirs hésitent à me faire confiance parce que je ne suis que métisse. En politique, c’est pareil. Mes collègues du Parti libéral me jugent beaucoup trop à gauche. Mais je reste suspecte aux yeux des gens de gauche parce que je n’ai jamais été marxiste, ni trotskiste ni rien du tout. » Juste une femme qui fait de la politique pour tenter de changer les choses.

Marie Delcas

Article paru dans l’édition du 12.09.07.

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