Notre étrangère : éloge de la femme et de l’acculturation


Lecture 7 min.
Affiche du film
Affiche du film

Elle avait signé un très beau documentaire sur les métis orphelins de la colonisation avec Les enfants du Blanc en 2000. Un recueil de nouvelles sur le métissage, Métisse Façon, en 2003. Avec son premier long-métrage intitulé Notre étrangère, la réalisatrice franco-burkinabè Sarah Bouyain signe un portrait de femmes battantes tout en subtilité. Grand prix du Festival International du Film d’Amiens 2010, en sélection officielle de la 22e édition du Festival Panafricain du Cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), le film sort sur les écrans français le 2 février 2011.

Qu’est-ce que le métissage si ce n’est la quête constante de sa double culture ? Amy (Dorylia Calmel), jeune métisse franco-burkinabè élevée en France, part à la recherche de sa mère après le décès de son père. Le Burkina Faso qu’elle a quitté à l’âge de 8 ans lui est maintenant étranger. Codes vestimentaires, culturels et linguistiques sont à (ré)apprendre. Et les retrouvailles avec sa tante Acita (Blandine Yaméogo) seraient frustrantes si la bonne Kadiatou (lumineuse Nadine Kambou Yéri) ne jouait l’interprète. Cette acculturation, Mariam (Assita Ouédraogo) la vit aussi en France. En se liant d’amitié avec une collègue de travail (Nathalie Richard) à qui elle enseigne le dioula, Mariam quitte sa solitude et transmet la culture qu’elle n’a pu offrir à sa fille. Sarah Bouyain, réalisatrice de Notre étrangère, revient pour nous sur cette quête identitaire et culturelle entre la France et l’Afrique.

Afrik.com : Comment êtes-vous venue au cinéma ?

Sarah Bouyain : Je voulais faire de la peinture mais mes parents étaient un peu paniqués à cette idée. J’étais en Terminale, j’habitais en banlieue parisienne à Montgeron dans l’Essonne et il y avait un cinéma, Le Cyrano, où j’allais souvent. Le cinéma avait un côté technique qui pouvait être rassurant alors j’ai tenté l’École Louis Lumière [l’une des deux plus prestigieuses écoles de cinéma publiques en France, ndlr] en tant que chef opérateur. J’ai mis trois ans à réussir le concours. En attendant, j’ai fait une licence de Mathématiques à Jussieu. Comme j’étais dans le quartier des cinémas, j’ai passé beaucoup de temps à regarder des films. Et assez rapidement durant ma formation, je me suis rendu compte que ce n’était pas tellement la lumière qui m’intéressait mais la réalisation.

Afrik.com : Quel a été le point de départ de Notre étrangère ?

Sarah Bouyain : J’ai voulu faire ce film pour parler de l’apprentissage de la langue dioula. Lorsque j’ai perdu mon père en 2000, j’ai eu l’impression que la seule façon de prouver que j’étais burkinabè – au-delà de ma pièce d’identité – c’était de parler cette langue. Ce qui me fascinait vraiment, c’était de comprendre enfin les mots que j’avais très souvent entendus et qui n’avaient pas toujours le sens que je leur avais donné. Je voulais faire une série de courts-métrages sur cette question et j’ai remporté la Bourse Louis Lumière en 2002. Serge Toubiana [célèbre critique de cinéma français actuellement directeur de la Cinémathèque Française à Paris, ndlr] qui était dans le jury, m’a proposé d’en faire plutôt un long-métrage et c’est parti de là.

Afrik.com : La maternité est un thème transcendant de Notre étrangère. Pourquoi laisser si peu de place (physique) aux hommes dans ce film ?

Sarah Bouyain : Il y a eu un tournant au moment de l’écriture du film. Depuis le début, j’étais persuadée de faire un film sur l’identité et la langue. Un jour, ma productrice m’appelle et me dit : « Bon écoute Sarah, il faut absolument réécrire ta note d’intention parce que ton film tourne surtout autour de la maternité ». J’ai mis un jour ou deux à me remettre de ce choc et admettre l’évidence. Donc oui, mon film parle de maternité. Je n’avais pas l’impression d’être travaillée par ce thème mais apparemment, je le suis. C’est vrai que quand me vient une idée d’un personnage d’homme immédiatement après j’essaie de le remplacer par une femme parce que je trouve cela plus intéressant. Je suis peut-être plus fascinée par les femmes. Et pour les hommes, effectivement ils ne sont pas présents physiquement dans le film, mais beaucoup de choses tournent autour d’eux. C’est cela qui va déterminer l’action ou le ressenti des femmes.

Afrik.com : Parlez-nous du casting africain, comment avez-vous choisi les actrices ?

Sarah Bouyain : J’avais rencontré Assita Ouédraogo (Mariam) il y a très longtemps lorsque je travaillais sur Afrique mon Afrique d’Idrissa Ouédraogo (Burkina Faso, 1994) puis j’avais eu un grand plaisir à la voir jouer dans La promesse des frères Dardenne (Belgique, 1996). Je pensais à elle pour le rôle mais elle avait arrêté le cinéma depuis une dizaine d’années. Lorsque nous l’avons rencontrée avec la productrice Sophie Salbot, elle était vraiment ravie. Cela fait presque mal de voir une personne qui aime à ce point jouer et à qui l’on offre aussi peu de rôles. Nadine Kambou Yéri qui joue la bonne (Kadiatou), c’est le producteur burkinabè Sékou Traoré qui nous l’a envoyée. C’est une comédienne qui a le sens du jeu et qui a des rôles très en-dessous de ses compétences dans des séries télévisées burkinabè. Blandine Yaméogo (Acita), je l’avais vue dans Delwende de S. Pierre Yaméogo (Burkina Faso, 2005). Durant le casting, nous hésitions entre deux actrices mais c’est elle qui s’est imposée lors des essais. Elle nous a émue et n’avait aucun problème avec le fait de jouer une femme alcoolique. Quant à Dorylia Calmel (Amy), je l’avais rencontrée à l’époque où le personnage que j’avais écrit n’était pas métis mais noir. La productrice m’a un jour fait remarquer qu’elle faisait métisse et m’a demandé si ça n’allait pas semer le trouble. Finalement, à trois ou quatre mois du tournage, j’ai décidé que le personnage serait métis parce que cela me paraissait plus juste. La raison de ma réticence est que je ne voulais pas que ce soit trop proche de mon histoire.

Afrik.com : À travers vos trois œuvres – Les enfants du Blanc, Métisse Façon et Notre étrangère – la question du métissage se décline toujours par l’absence de l’une des figures parentales. Pourquoi ?

Sarah Bouyain : C’est amusant parce que mes parents ont toujours été ensemble. Mon père n’est décédé que récemment, pendant le montage du documentaire, donc je ne me l’explique pas. C’est peut-être déjà tellement difficile la relation avec un parent que de raconter le rapport aux deux… C’est comme si c’était trop dense et que j’avais besoin d’isoler une filiation. Je trouve ça aussi assez bouleversant, le manque d’un parent. Les gens qui ne connaissent pas leur père ou leur mère ont quelque chose de fort dans leur vie que j’ai du mal à appréhender mais auquel je suis sensible.

Afrik.com : Le thème de l’adoption est abordé à travers le personnage d’Esther (Nathalie Richard). En touchant à la question du déracinement des enfants adoptés, vous nous renvoyez à l’affaire Arche de Zoé qui a secoué la France et le Soudan en 2007.

Sarah Bouyain : On me demande souvent si je suis pour ou contre l’adoption. Je n’ai pas d’opinion générale sur la question puisqu’elle doit plutôt se voir au cas par cas. En ce qui concerne le personnage d’Esther qui apprend le dioula pour adopter un petit garçon du Burkina, je trouve qu’elle fait un effort. Oui l’enfant sera déraciné mais sa mère aura fait un pas vers lui et ne rejettera pas sa culture. Est-ce qu’il vaut mieux grandir dans un orphelinat de son pays natal ou dans un autre pays avec deux parents ? Je ne sais pas. Dans le cas de l’Arche de Zoé, nous étions en recherche de financements lorsque l’affaire a éclatée. Elle avait un côté crapuleux que l’on retrouve forcément dès lors que l’on a affaire à des gens très pauvres et à des gens qui peuvent allonger beaucoup d’argent pour obtenir l’impossible comme des enfants, des organes, des esclaves… Cela touche à la marchandisation de l’être humain.

Afrik.com : Dans les séquences de rencontre entre Amy et sa tante Acita, vous avez fait le choix de ne pas intégrer de sous-titres pour mettre le spectateur à la place de l’héroïne francophone. Comment réagiront selon vous les spectateurs qui comprennent le dioula ?

Sarah Bouyain : J’ai hâte de le savoir ! Quand le film est passé à Toronto [dans le cadre du Festival International du Film 2010, ndlr], j’ai invité une amie burkinabè qui parle anglais, français et dioula. Elle riait à des moments où les autres ne riaient pas et elle avait vraiment une autre compréhension du film. Cela va être intéressant de connaître le point de vue d’autres spectateurs. Je pense qu’ils auront une autre perspective qui ne les mettra pas forcément à la place de la tante qui parle dioula mais dans une certaine omniscience que n’ont pas les spectateurs qui ne comprennent pas cette langue.

Afrik.com : Les enfants du Blanc avait été entièrement tourné au Burkina Faso, Notre étrangère en partie en France. Est-ce que votre prochain film sera entièrement tourné en France ?

Sarah Bouyain : Je ne crois pas. Je me suis souvent demandé pourquoi j’avais très peu d’idées en France. Le Burkina est un pays qui stimule mon imaginaire car je n’y vis pas, tout comme la ville de Bobo Dioulasso qui est un peu laissée à l’abandon. Je pense qu’il sera important un jour de faire un film uniquement tourné en France. Actuellement, j’essaie de me remettre à écrire mais comme il est difficile de se détacher d’un film que l’on a porté pendant longtemps, j’ai du mal à tourner la page.

Notre étrangère, un film de Sarah Bouyain. Produit par Athénaïse (France) et Abissia Productions (Burkina Faso). Durée : 82 min. Sortie nationale française le 2 février 2011.

Suivez Afrik.com sur Google News Newsletter