Médecins d’Afrique au chevet des malades du continent


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C’est aux communautés africaines de lutter pour bénéficier de soins médicaux de qualité. C’est le constat qu’ont fait les fondateurs de Médecins d’Afrique, une organisation à vocation panafricaine, née en 1995. Théophile Bansimba, secrétaire général de la structure, revient sur le fonctionnement et les aspirations de l’ONG.

ooooooooooo.jpg« Contribuer à ‘une meilleure santé en Afrique’ en favorisant la pleine participation des organisations locales de base et des bénéficiaires dans la gestion de leurs problèmes de santé ». C’est l’objectif que s’est fixé Médecins d’Afrique, une organisation à vocation panafricaine montée en 1995 à Brazzaville (Congo) par deux médecins et un économiste congolais. Le bon déroulement de cette mission, assurée même en temps de « conflits, épidémies ou catastrophes », passe par l’implication des communautés et, en particulier, de la femme. Explication de Théophile Bansimba, secrétaire général de l’Organisation non gouvernementale.

Afrik.com : Sur votre plaquette de présentation, on peut lire que vous vous décrivez comme une organisation internationale. Vous n’agissez pourtant qu’en Afrique…

Théophile Bansimba :
Si nous nous qualifions d’organisation internationale, ce n’est pas parce que nous avons envie d’étendre notre action en dehors du continent, ce qui n’aurait pas de sens puisque nous nous appelons Médecins d’Afrique. L’idée est en fait d’impliquer et de fédérer non seulement les Africains du continent, mais aussi ceux de la diaspora. Nous voulons également interpeller tous ceux qui ne sont pas africains mais qui veulent nous aider dans notre initiative. Nous avons par ailleurs un bureau à Paris, en plus de celui de Brazzaville, qui est chargé de chercher des contacts et de créer des synergies. La tâche qui nous attend en Afrique est vraiment colossale et il faut que les Africains se serrent les coudes pour s’en sortir.

Afrik.com : Vous avez plusieurs correspondants en Afrique. Quel est leur rôle ?

Théophile Bansimba :
Nous avons un correspondant dans treize pays d’Afrique, chacun étant secondé par deux ou trois personnes, ce qui fait une moyenne de quarante correspondants. Nos relations consistent principalement en échange d’informations. Les correspondants nous tiennent au courant en temps réel de tous les problèmes d’ordre sanitaire qui se passent dans leur pays et nous leur faisons remonter des informations pour qu’ils puissent plus tard monter des antennes de Médecins d’Afrique, qui n’opère pour le moment qu’au Congo. Mais le montage d’antennes demande beaucoup de fonds, or les bailleurs n’acceptent pas toujours de financer. Il y a malgré tout beaucoup d’énergie et d’espoir.

Afrik.com : Quels problèmes rencontrent les populations africaines ?

Théophile Bansimba :
Il y a clairement en Afrique un manque évident de volonté politique en ce qui concerne la santé. Il faut savoir qu’en moyenne 5% du budget national des pays africains est dédié à la santé, alors qu’ils connaissent une forte mortalité infantile et maternelle. Il y a par ailleurs le problème de la gratuité des soins. Il n’y a pas de système de sécurité sociale ou de système de recouvrement des coûts. Les gens paient donc les médicaments ou se fournissent dans les endroits où ils sont gratuits, comme cela peut être le cas dans les situations d’urgence. Mais quand l’aide est terminée, les gens se retrouvent livrés à eux-mêmes. C’est pourquoi il est important de développer des soins de santé primaires. Mais ces soins primaires ne doivent pas être synonymes de soins primitifs. Il faut que les agents en charge de la santé soient compétents et que leur qualité soit prouvée.

Afrik.com : Estimez-vous pallier les lacunes du gouvernement en matière de santé ?

Théophile Bansimba :
Chaque pays a un plan national de développement sanitaire. Quand on dit plan national, cela ne signifie pas plan étatique. Et qui dit nation, dit gouvernement (pour la coordination), société civile, entreprises… Nous devons tous participer. L’Etat peut coordonner l’action, qui sera menée, par exemple, par les services publics décentralisés ou les ONG. L’Etat ne peut pas tout faire seul, alors lorsqu’il a une défaillance on peut le soutenir. Ce qui ne veut pas dire que l’on devient un sous-produit du gouvernement pour autant. Par ailleurs, dans ces interventions communes, il est important que tous suivent le plan national édicté pour éviter un éparpillement de l’action qui conduira à un gaspillage des ressources.

Afrik.com : Vous plaidez pour un système de recouvrement des coûts. Faites-vous payer les consultations et les médicaments aux malades ?

Théophile Bansimba :
Oui. Nous discutons du prix avec les communautés pour ce qui est des médicaments, mais aussi pour ce qui est des agents de santé quand ils ne travaillent pas pour l’Etat et que c’est nous qui les mettons en place. Cela nous permet notamment d’amortir le coût du matériel que nous achetons.

Afrik.com : Votre action se concentre sur l’implication des communautés. Pourquoi ?

Théophile Bansimba :
Nous avons constaté que les communautés s’impliquaient faiblement dans questions relatives aux problèmes de santé. Elles avaient surtout une attitude de « parasitage » : elles attendaient tout du gouvernement et des bailleurs et reposaient sur les programmes de l’Etat et sur ceux que la communauté internationale leur parachutait sans toujours connaître vraiment les problèmes de fond. Parce que chaque communauté a des problèmes différents, nous avons pensé qu’il fallait que les communautés s’impliquent dans l’identification et l’évaluation des besoins prioritaires afin de contribuer à l’amélioration de la situation.

Afrik.com : Comment impliquez-vous les communautés dans votre combat ?

Théophile Bansimba :
Nous organisons une évaluation des problèmes qu’a mis en lumière le rapport d’enquête initial. Puis nous mettons en place un comité local de développement auquel appartiennent des membres de la communauté. Ensemble, nous établissons un diagnostic communautaire où nous faisons un état des problèmes généraux de santé et des problèmes prioritaires. De là, nous planifions une action et mobilisons les ressources auprès des bailleurs à qui nous avons présenté notre projet. Une fois les fonds levés, nous montons un centre de santé communautaire intégré. Intégré, car toutes les actions essentielles sont réunies au sein de la même structure, un dispositif qui permet d’améliorer les soins, que ce soit au niveau curatif, promotionnel (éducation sanitaire, par exemple) ou préventif (vaccination, assainissement…). Nous pensons en effet qu’il ne faut pas s’occuper que du paludisme, puis du sida… mais de tous les problèmes de la communauté, que cette dernière doit hiérarchiser. Lorsqu’un enfant tombe malade, il faut le soigner, mais aussi déterminer les causes de sa maladie, qui peuvent être dues à un problème d’hygiène ou encore de malnutrition.

Afrik.com : Votre action au sein de la communauté cible beaucoup les femmes. Pourquoi ?

Théophile Bansimba :
Les femmes sont les plus impliquées quand il se pose un problème de santé dans le foyer. Parce qu’elles sont souvent à la maison alors que leurs maris travaillent ou sont absents. Elles sont les premières au courant lorsqu’un enfant est malade, par exemple. C’est donc sur elles que repose tout le poids. C’est pourquoi, nous voulons en faire les premiers agents de santé dans les ménages. Pour cela, nous les alphabétisons et les formons par le biais de dix modules qui leur donnent les notions de base : Quels sont les premiers gestes à avoir lorsqu’un enfant est malade ? Comment se protéger du sida ? Ne pas contaminer son partenaire ? Comment contrôler les naissances ? Et cette dernière question est essentielle car la non maîtrise de la croissance démographique provoque un déséquilibre au niveau de l’économie, qui n’arrive pas à suivre. Les Etats sont alors débordés, ce qui participe au fort taux de mortalité infantile et maternelle. Si nous impulsons un changement de comportement chez les femmes, elles transmettront ce changement à leurs enfants, les adultes de demain.

Afrik.com : Votre organisation est dotée d’un code moral. Quelle est sa fonction ?

Théophile Bansimba :
Il jette les bases de notre éthique, concernant notamment le respect de l’être humain. Au Congo, nous avons connu trois grandes guerres, sans compter les soubresauts, lors desquelles des femmes, des enfants, des personnes non armées ont été tués, violés… Les humanitaires ne pouvaient même pas les aider. Nous avons décidé que notre organisation aiderait tout le monde, sans discriminations de sexe, de religion ou encore d’appartenance politique. C’est ça le code moral : il faut respecter l’Homme.

Afrik.com : Vous avez également un système de qualité. Est-ce pour vous un gage de transparence ?

Théophile Bansimba :
Le reproche que l’on fait souvent aux Africains est qu’ils ne gèrent pas bien les fonds qui leur sont alloués. Si nous ne faisons pas d’efforts de transparence par rapport aux financiers et que nous ne prouvons pas la qualité de nos interventions, nous n’aurons pas d’appui. C’est pourquoi nous avons décidé de mettre en place un système de qualité qui garantira la traçabilité de nos interventions et notre transparence, qui existe depuis deux ans et que nous cherchons à certifier. Quand un bailleur de fonds arrive, il doit pouvoir consulter toutes les informations classées. Médecins d’Afrique doit être au même niveau que les autres ONG (organisation non gouvernementale, ndlr) du Nord, comme MSF (Médecins sans frontières, ndlr). Ce système de qualité est aussi un préalable à toute ouverture d’antennes, qui devront elles-mêmes l’appliquer.

Afrik.com : Vous évoquiez Médecins sans frontières. N’avez-vous pas l’impression que vos actions font doublons ?

Théophile Bansimba :
Quand nous avons créé Médecins d’Afrique, on nous a notamment dit que nous voulions nous débarrasser des ONG du Nord. Ce qui est archi-faux ! Nous aurons toujours besoin d’elles, car nous n’avons pas toujours tout ce qu’il faut pour fonctionner. Les ONG du Nord ont plus de moyens que nous, mais agissent dans l’urgence. Lorsque leur travail est terminé ou qu’elles n’ont plus de financements, elles s’en vont, laissant les Africains, comme je l’ai déjà dit, à leur propre sort. Nous, nous partons du fait qu’après l’urgence il faut mener des actions de développement. Dans ce cadre, les ONG pourraient s’appuyer sur les compétences des ONG locales. Mais il est vrai qu’il faut que les Africains se montrent à la hauteur.

Afrik.com : Quelle est la place de la médecine traditionnelle dans votre action ?

Théophile Bansimba :
Tous les médicaments viennent de plantes dont les chimistes ont reproduit les molécules de façon synthétique. En Afrique, nous n’avons pas les moyens de passer par un tel processus de rationalisation de la médecine. Il nous faut donc prendre les médicaments traditionnels qui ont fait leurs preuves et les transformer en médicaments traditionnels améliorés, qui auront sur le marché un prix imbattable. Nous avons une base de données de la flore africaine, qui constitue 60% des ressources des plantes médicinales de la planète, sans compter l’Amazonie. Des chercheurs travaillent avec nous sur ce dossier.

Afrik.com : Quelle est votre action en temps de guerre ?

Théophile Bansimba :
Nous avons été présents lors des trois guerres du Congo de 1995, 1997 et 1998. Lorsqu’il y avait des troubles dans une région, nous établissions un plan de contingence. Une équipe se rendait très rapidement sur les lieux pour une évaluation initiale rapide et complète sur les problèmes d’hygiène, de santé ou d’éducation rencontrés. Nous étudiions quelle pouvait être une porte de sortie possible des gens. Nous mettions en place ensuite un plan d’intervention : nous ouvrions un poste de secours d’urgence, assurions un plan de vigilance nutritionnelle et l’installation d’un système de surveillance et d’alerte épidémiologique.

Afrik.com : Agissez-vous toujours aujourd’hui au Congo ?

Théophile Bansimba :
Dans la région du Pool, il reste encore de gros problèmes à régler, même si la sécurité revient peu à peu. Nous avons deux wagons dispensaires tractés par une locomotive qui circulent et soignent les habitants gratuitement. Nous pouvons mener cette initiative grâce à l’aide du Fonds de coopération français.

Afrik.com : Quels sont vos autres partenaires ?

Théophile Bansimba :
Nous avons notamment reçu l’aide de l’Unicef, de MSF France (qui nous a donné beaucoup de médicaments en 2002), l’Ordre de Malte (médicaments et matériel) et la Fondation Raoul Follereau, qui nous ont, entre autres, donné des fonds pour prendre en charge des orphelins. raoul.jpg

Afrik.com : D’où proviennent vos fonds ?

Théophile Bansimba :
Ils proviennent à 50% des dons, en argent ou en nature, car nous donnons une valeur économique à ce que nous recevons en nature. Les principaux bailleurs étrangers sont principalement européens. Mais les financements ne sont pas faciles à avoir, car ils demandent des preuves de notre sérieux, mais ils ne nous donnent pas l’occasion de le faire s’ils ne nous donnent rien. Nous titillons d’ailleurs la Banque africaine de développement pour qu’elle s’implique. Mais c’est à nous aussi de communiquer et de faire des efforts.

 Télécharger la plaquette de présentation de Médecins d’Afrique (document PDF)

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