Maroc, Israël et gaz sahraoui : une concession qui fait des vagues jusqu’en Espagne


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Carte Sahara occidental Boujdour

Le Maroc vient d’accorder un permis d’exploration gazière proche des Iles Canaries, au large du Sahara occidental, à un consortium israélo-marocain. Cette décision ravive les tensions diplomatiques avec l’Espagne et souleve d’importants questionnements juridiques internationaux. Ce partenariat maroco-israélien, qui s’inscrit dans le sillage des Accords d’Abraham, pourrait transformer la géopolitique régionale tout en soulevant de sérieux défis légaux et environnementaux.

Rabat vient d’accorder à NewMed Energy (ex-Delek) et à la société marocaine Adarco un permis d’exploration de 28 935,3 km² dans le bloc « Boujdour Atlantique », au large du Sahara occidental. L’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) précise que les deux partenaires détiennent chacun 37,5 % du permis, l’État gardant 25 % via l’ONHYM, pour une durée initiale de 8 ans.

Une zone ultrasensible… à 150 km des Canaries

Le rectangle offshore s’étire du cap Boujdour jusqu’aux abords de Dakhla, soit à peine une centaine de kilomètres des premières côtes espagnoles. Aux Canaries, la coalition nationaliste canarienne (CC) et le gouvernement régional redoutent « une escalade maritime » : la délimitation des zones économiques exclusives (ZEE) entre Madrid et Rabat n’est toujours pas réglée, et le gisement visé frôle la dorsale volcanique du Tropic Seamount, très riche en minerais critiques.

Madrid avait déjà gelé un projet Repsol en 2014 pour raison environnementale ; aujourd’hui, c’est l’absence de frontière claire et la crainte de fuites d’hydrocarbures qui ravivent les tensions. Mais aussi une question de respect du droit international.

Un territoire non autonome selon l’ONU

Le bloc concédé se situe, en effet, intégralement dans les eaux adjacentes au Sahara occidental, territoire que l’ONU considère toujours comme « non autonome ». En 2002, le conseiller juridique Hans Corell rappelait qu’aucune exploitation ne peut avoir lieu sans prendre en compte « les vœux et intérêts du peuple sahraoui ». Cette exigence vient d’être réaffirmée par la Cour de justice de l’UE (CJUE).

Lire aussi : Sahara occidental : la CJUE confirme le droit exclusif du peuple sahraoui à décider de son avenir

Par des arrêts du 4 octobre 2024, la CJUE a annulé les accords agricole et halieutique UE-Maroc parce qu’ils s’appliquaient au Sahara occidental sans consentement explicite du peuple sahraoui : un coup de semonce qui, de facto, dissuade toute société européenne d’investir dans la zone au risque de contentieux et de sanctions commerciales.

Pourquoi faire appel à un partenaire israélien ? En s’alliant à NewMed Energy, Rabat contourne le vide laissé par les majors européennes. Tel-Aviv soutient la souveraineté marocaine depuis 2020 ; l’accord énergétique s’inscrit donc dans l’alliance scellée après les Accords d’Abraham. Pour le Front Polisario et les ONG (Western Sahara Resource Watch, Human Rights Watch), il ne s’agit rien de moins que d’un « pillage légal des ressources sahraouies ».

Des batailles juridiques en perspective

Les parties prenantes au projet d’exploration gazière s’exposent à une véritable guérilla juridique sur plusieurs fronts. Au niveau européen, le Front Polisario et diverses ONG pourraient s’appuyer sur les récents arrêts de la CJUE pour obtenir la saisie des cargaisons dans les ports européens ou l’exclusion des entreprises impliquées des marchés publics.

Sur la scène internationale, le Conseil de sécurité de l’ONU pourrait exercer des pressions diplomatiques en rappelant le principe d’autodétermination et l’avis Corell de 2002. Les tribunaux espagnols, français ou néerlandais pourraient également être saisis sur la base du droit international coutumier, tandis que des procédures d’arbitrage investisseur-État demeurent possibles. Les précédents concernant l’exploitation des phosphates montrent que les armateurs et assureurs tendent à se retirer rapidement lorsque la légalité des opérations est contestée. Mais la jurisprudence Trump dans la gestion commerciale et son soutien sans faille à Israël inquiète les partisans du droit.

Un baril de poudre géopolitique

Cette concession gazière cristallise trois niveaux de tensions. Sur le plan géopolitique, l’annonce met en porte-à-faux la diplomatie espagnole, déjà fragilisée par son soutien au plan d’autonomie marocain. D’un point de vue juridique, la CJUE a établi une ligne rouge infranchissable : aucune exploitation ne peut avoir lieu sans le consentement explicite du peuple sahraoui. Enfin, sur le plan éthique, ce partenariat Maroc-Israël symbolise pour de nombreux observateurs le passage d’une « normalisation » diplomatique à une normalisation de l’exploitation économique d’un territoire considéré comme occupé. Une confirmation du soutien de Mohammed VI à l’État hébreu, dans la continuité de l’accueil des navires militaires israéliens dans le port de Tanger.

Entre recours juridiques imminents, campagnes de boycott potentielles et incertitudes environnementales, l’exploration du bloc Boujdour Atlantique s’annonce comme un dossier explosif.

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Ali Attar est un spécialiste reconnu de l'actualité du Maghreb. Ses analyses politiques, sa connaissance des réseaux, en font une référence de l'actualité de la région.
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