Mali-Jacques Hogard : « Les otages sont le seul gage de survie des islamistes »


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L’offensive de l’armée française s’intensifie au Mali. Les soldats français combattent au sol, notamment dans la ville de Diabali. Les troupes, au nombre de 800 actuellement, vont également être renforcées pour atteindre 2.500 hommes. Si l’intervention française a été saluée unanimement par la communauté internationale, néanmoins des questions se posent : La France a-t-elle les moyens de mener une telle guerre ? Quelles seront les conséquences de son intervention ? Combien de temps le conflit risque-t-il de durer ? Jacques Hogard, ex-colonel de l’armée française, spécialiste des questions sécuritaires au Sahel, analyse la situation.

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Ancien cadre de l’armée française, Jacques Hogard est le président d’EPEE, société de conseil en intelligence stratégique. Il a effectué un stage de sept mois au centre de perfectionnement des affaires (CPA) après avoir une pris sa retraite anticipée en 1999. Jacques Hogard s’est engagé très tôt dans l’armée. Il a suivi les traces de son père, le général Hogard, qui a combattu durant la Seconde Guerre mondiale. Le président d’EPEE a aussi été l’un des dirigeants de l’opération Turquoise au Rwanda en 1994. Le 13 mai 2009, il est promu au grade d’officier de la Légion d’honneur en même temps qu’un certain nombre d’anciens officiers de l’armée française ayant servi au Rwanda entre 1990 et 1994.

Afrik.com : La France a décidé d’envoyer des troupes au sol. En quoi est-ce stratégique pour battre les islamistes ?

Jacques Hogard : Une guerre se gagne au sol. Il est tout à fait normal que la France renforce son dispositif terrestre. Ce n’est pas un scoop. Je dirai même que c’était prévu car l’armée malienne est actuellement incapable de mener les combats au sol. Et les troupes de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) ne sont pas encore opérationnelles. Donc pour le moment, seule la France est disposée à fournir des troupes au sol. D’ailleurs, cela aurait été inutile que la France se contente de frappes aériennes sans occuper le terrain avec le volume de forces terrestres suffisant. Cette opération était déjà planifiée depuis longtemps. Actuellement, on ne fait donc que mettre en œuvre cette planification. Il faut des troupes au sol car ce sont elles qui parachèvent l’opération militaire et qui emportent la décision ! A partir du moment où la France a décidé de s’engager au Mali, elle doit le faire jusqu’au bout.

Afrik.com : La France a-t-elle eu raison d’intervenir au Mali ?

Jacques Hogard : Oui la France a eu raison d’intervenir ! La chute de Bamako était sans cela inéluctable. Si elle n’avait pas agi, la situation aurait été désastreuse. L’armée malienne défaite n’aurait pas fait le poids face aux islamistes. Depuis la fin du conflit libyen, la France a pris très au sérieux le problème du Mali. François Hollande qui ne connaissait pas l’Afrique, a appris à la connaître dans un temps très bref. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, il était inexpérimenté sur les questions africaines. Je dois avouer qu’il m’a surpris favorablement en décidant d’engager les troupes françaises au Mali. Il a été très bien conseillé par les militaires qui l’entourent, qui ont dû lui dire que la situation au Mali était critique et qu’il fallait agir rapidement pour mener un coup d’arrêt contre la progression des islamistes vers Bamako. Désormais, il s’est positionné en vrai président. Il en a revêtu le costume. Les islamistes étaient déterminés à prendre Bamako. Voyant que l’armée malienne ne ferait pas le poids et que les troupes africaines n’intervenaient pas, ils se sont dit qu’il fallait exploiter cette situation et cueillir le fruit pendant qu’il était encore mûr.

Afrik.com : Mais ils ne s’attendaient pas à ce que la France envoie des troupes au Mali ?

Jacques Hogard :C’est une grave erreur que les chefs islamistes ont commis en voulant prendre Bamako. Ils espéraient qu’aucun pays ne se trouverait en face de leur chemin. Mais ils ont été surpris par l’intervention rapide de la France pour stopper leur progression. Comme on le dit en langage militaire, l’armée française a effectué un coup d’arrêt afin de leur interdire Bamako. L’opération française a sauvé Bamako. Elle a jeté un dispositif d’urgence sur le terrain. L’aviation de chasse et surtout les hélicoptères sont très efficaces. Par ailleurs , l’attitude nouvelle de l’Algérie est un élément très important. Cette dernière a envoyé un signal fort en autorisant le survol de son territoire. Aurait-elle choisi son camp ? On ne peut que s’en féliciter.

Afrik.com : Toutefois, les islamistes aussi sont bien équipés. Quels sont leurs atouts ?

Jacques Hogard : Leur mobilité. Leur légèreté. Ils peuvent se déplacer très rapidement avec 3 ou 4 véhicules. Leur deuxième atout, c’est leur connaissance parfaite du terrain. Ils savent utiliser la nuit à leur avantage et peuvent se fondre au sein de la population pour être plus difficiles à repérer. Les atouts de la France sont l’expérience et la valeur de ses soldats, mais aussi ses capacités de renseignement, en particulier techniques, dont les écoutes électroniques et l’acquisition d’images. Ces technologies de pointe nous permettent d’être très efficaces et précis pour frapper l’adversaire. La France a ainsi une puissante force de frappe que les islamistes n’ont pas et bien sûr la supériorité numérique.

Afrik.com : La France a-t-elle les moyens de réussir seule cette intervention ? Quelle stratégie va-t-elle employer pour mettre les islamistes hors d’état de nuire ?

Jacques Hogard : La France a les moyens de réussir seule son intervention au Mali. Elle est capable de régler son compte à Aqmi et d’Ansar Dine. Mais j’insiste à nouveau pour dire que la donne a changé avec l’implication de l’Algérie dans le conflit. C’est un élément très important qui change puissamment la donne en faveur de la France et de ses alliés africains. La stratégie que la France va mener est simple. Elle va infliger des pertes aux islamistes, en les coupant progressivement de leurs bases d’approvisionnement, afin de les isoler et les soumettre à un blocus total. Il y aura un moment donné où ils ne pourront plus tenir. Ils seront à bout de souffle et privés de toutes ressources. Avec le concours de l’Algérie la défaite des islamistes n’est qu’une question de temps. La France va encore monter en puissance en envoyant d’autres troupes. Il faut qu’elle aille jusqu’au bout de sa logique. Il faut se donner les moyens de gagner tout en préservant au maximum la vie de nos soldats. La peur va changer de camp.

Afrik.com : C’est-à-dire ?

Jacques Hogard : Auparavant c’est l’armée malienne qui avait peur qu’on la frappe n’importe où. Maintenant ce sont les islamistes qui vont avoir peur d’être la cible à tout moment. Il y a un basculement du rapport de force. Sauf évidemment si les négociations l’emportent. C’est à dire que les chefs islamistes « raisonnables » réclament des négociations car, même en guerre, il faut toujours laisser place à la négociation.
Afrik.com :Combien de temps pourrait durer ce conflit ?
Jacques Hogard : Compte tenu de la nature de l’ennemi, qui n’est pas un ennemi considérable, même s’il est bien équipé, la France prendra le temps qu’il faut pour mener à terme cette opération. A mon avis, l’intervention durera au moins plusieurs mois. On a déjà perdu beaucoup trop de temps avant de nous engager. Et le temps permet toujours à l’adversaire de se renforcer.

Afrik.com : Quels sont les risques de cette intervention pour la France ?

Jacques Hogard : Il y a évidemment beaucoup de risques, notamment pour nos otages. Les islamistes pourraient s’en prendre aux intérêts français dans les pays africains mais aussi en France et en Europe. Toutefois, je ne pense pas que les islamistes aient intérêt à exécuter les otages. Les otages sont en effet leur seul gage de survie.

Afrik.com : Y a-t-il des risques que le Mali devienne un deuxième Afghanistan ?

Jacques Hogard : Je ne pense pas. Le Mali et l’Afghanistan ne sont pas sur la même échelle, ni au plan géographique, ni au plan économique, ni au plan humain. D’autre part, tous les pays de la sous-région comme la Mauritanie ou le Niger sont aujourd’hui engagés dans la lutte contre les islamistes. Le Mali étant le maillon faible, la France a le devoir d’intervenir pour ce pays ami. Nous avons une histoire commune avec ce pays confronté aujourd’hui à la barbarie. Les islamistes coupent des mains, des pieds, voilent de force les femmes ! Il faut que la France tienne son rang face à ses obligations morales ! Elle doit aussi aider nos alliés africains à assumer leurs responsabilités et à prendre la relève.

Afrik.com : Si la France remporte la victoire, que gagnera-t-elle en retour ? S’installera-t-elle durablement au Mali ?

Jacques Hogard : La France n’a pas vocation à s’installer au Mali. Qui est un pays indépendant et souverain. Mais en agissant ainsi elle consolidera ses positions, son influence en Afrique francophone. Cette guerre est le grand retour de la France en Afrique francophone. C’est un retour vertueux, je dirai. Car, dans cette situation, elle vient aider et non pour imposer sa politique. Elle en attend la consolidation de ses liens historiques avec l’Afrique. Mais elle ne devra pas non plus partir trop vite une fois l’intervention terminée. Car la solution n’est pas que militaire pour le Mali. On ne règle jamais définitivement un problème par les armes. Il faudra régler la question de l’ « Azawad ». Pour cela, il faudra instaurer un dialogue constructif avec les populations du nord disposées à rétablir la paix dans la région.

Afrik.com : Donc le gouvernement malien aura intérêt à négocier avec le MNLA ?

Jacques Hogard : Le gouvernement malien aura tout intérêt à négocier avec le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). D’ailleurs le MNLA a décidé de combattre les islamistes au côté de la France. Mais ce soutien n’est pas gratuit. En gros, c’est : « On veut bien vous aidez à déloger les islamistes mais écoutez nos revendications ». Il faudra donc absolument établir une paix juste au Mali. Une paix qui prendra en compte toutes les populations du nord : Touareg, Peuhl, Sonrai, etc. Personne ne doit se sentir ignoré ou laissé pour compte. Sinon, le problème ne sera pas vraiment résolu et contiendra en germe une nouvelle poussée de violence !

Afrik.com : Les armées africaines font régulièrement face à des rébellions qu’elles sont incapables de neutraliser. Pourquoi sont-elles si inefficaces ?

Jacques Hogard : C’est selon moi un problème de gouvernance qui est la principale cause de la faiblesse des armées africaines. Les chefs d’Etats africains ont en général tellement peur de leur propre armée qu’ils ne les équipent pas, ne leur donnent pas les moyens nécessaires. Cela affecte grandement et leurs capacités opérationnelles et leur moral. Or, un Etat n’est rien sans une armée solide.

Afrik.com : Quelles sont les solutions pour éviter qu’à l’avenir des groupes armées s’installent au Sahel ?

Jacques Hogard : Il faut restaurer l’état de droit. Il faut un corps préfectoral digne de ce nom, une gendarmerie solide, qui fassent leur travail. Une armée puissante qui intervienne pour surveiller les points de passage, les frontières et contrôler le territoire. Pour y arriver, il faut une volonté politique, des moyens humains et matériels. Les pays de la sous-région comme le Niger et la Mauritanie ont compris qu’il fallait renforcer la surveillance et le contrôle de leurs territoires, et sécuriser leurs frontières : c’est une très bonne chose. Il faudra faire de même pour le Mali. Mais il faut aussi y restaurer une économie profitant directement aux populations de la région. Car sans niveau de vie suffisant, sans éducation ni santé, sans infrastructures, le pays est une proie facile pour tous les extrémismes.

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