Mali : faut-il engager le dialogue avec les djihadistes ?


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Le désormais ex-Président du Mali, Ibrahim Boubacar Kéïta
Le désormais ex-Président du Mali, Ibrahim Boubacar Kéïta

Alors que les différentes stratégies de lutte contre les djihadistes ont échoué au Mali, le gouvernement souhaite changer « son fusil d’épaule » et tenter des négociations. Les négociations peuvent être une bonne voie mais dans un cadre bien défini !

Dans son article, Adoumadji Madjastan Magloire explique que le dialogue peut amener les Djihadistes à avoir plus de visibilité et à négocier des postes juteux, ce qui donnerait envie à d’autres groupes de se lancer dans l’aventure. L’auteur conseille alors un cadre de dialogue qui éviterait les effets trop négatifs.

International Crisis Group, dans son Rapport Afrique n°276, intitulé « Parler aux djihadistes au centre du Mali : le dialogue est-il possible ? », appelle à un changement de perspective stratégique dans la résolution des conflits au centre du Mali. Mais, le gouvernement et ses partenaires extérieurs demeurent réticents quant à engager un dialogue avec les groupes extrémistes dans la perspective de lutter contre l’extrémisme violent. Ont-ils raison ?

Quels avantages de dialoguer avec les djihadistes ?

Une étude de la RAND Corporation a montré, que dans les cas de conflits chroniques, il est toujours plus avantageux d’engager un processus politique pour arriver à une solution. En effet, sur 648 groupes terroristes très actifs examinés entre 1968 et 2006, si l’on observe la manière dont ils se sont éteints, seulement 7% l’ont été sous l’effet des actions militaires. Souvent même, ces actions contribuent à aliéner la population locale et donc à se montrer contre-productives. Dans 43% des cas, les redditions des groupes terroristes sont dues à leur implication dans un processus politique (négociations, amnisties, etc.). La décision d’adhérer à ce processus est la résultante d’une analyse coût-rentabilité et efficacité. Si ces groupes estiment que la continuation de leurs luttes sur le plan politique est moins coûteuse que le recours à la violence, alors ils s’y engageront.

L’Algérie des années noires a su casser la dynamique des groupes extrémistes en les incorporant dans un processus politique. Au Mali, plusieurs accords de paix ont été signés au cours des 30 dernières années. Les trois périodes de soulèvement, de 1990 à 1996, de 2006 à 2009 et de 2012 à aujourd’hui ont à chaque fois donné lieu à des accords de paix. Mais, la multiplicité de ces accords est la preuve que le dialogue n’a pas abordé les vraies causes de ces différents soulèvements qui sont politique, économique et sociale. C’est pourquoi, un dialogue mal préparé peut représenter des risques énormes pour la paix.

Quels risques de dialoguer avec les djihadistes?

Le dialogue avec les groupes djihadistes peut présenter des risques. Il peut s’en dégager une certaine légitimation institutionnelle des groupes avec une idéologie extrémiste remettant en cause même la laïcité, pilier de la République du Mali. Un dialogue avec la Katiba du Macina reviendrait à reconnaître sa légitimité et, par là même confirmer tacitement celle de la Jamaat Nosra al-islam wal muslimin (une alliance djihadiste) auquel appartiennent les groupes Ansar Eddine, Al Mourabitoune et AQMI. La conséquence serait de porter atteintes à des alliances sous régionales en matière de lutte contre les groupes extrémistes. Plusieurs pays fournissent un contingent important aux opérations de maintien de la paix dont le Burkina Faso, le Sénégal, le Tchad, la Guinée et le Niger. Ces pays sont très actifs et impliqués à plusieurs échelles tant sur le plan militaire qu’au niveau du processus de négociation via leur participation au comité de suivi à la CEDEAO ou à l’UA. C’est pourquoi, une initiative individuelle venant du Mali risquerait de les mécontenter, surtout qu’ils sont réticents à l’idée d’engager un dialogue avec les djihadistes. Une telle initiative conduirait à la fragilisation des groupes restés loyaux au gouvernement. Il existe au Mali, une plateforme pro-gouvernementale appelée « Mouvements du 14 Juin d’Alger » qui essaie d’appuyer l’État dans la recherche des solutions à la paix. Par ailleurs, un tel processus politique peut constituer un effet d’aubaine incitant d’autres groupes au djihadisme de façade afin de profiter d’une prime à la paix.

La facilité avec laquelle les groupes djihadistes se créent, fusionnent puis disparaissent au Mali montre qu’à un moment, ils deviennent des instruments de captation financière et de positionnement politique. En plus, une légitimation institutionnelle des groupes djihadistes risquerait de conduire à une recrudescence des conflits communautaires entre milices Dogon et Peuls ou entre Peuls et Bambaras. Enfin, il y a un risque de revivre le scénario du Nord, après la signature d’un Accord de Paix avec les groupes insurgés du centre. L’Etat malien a fait des concessions au Nord pour la mise en place de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA). Malgré les termes de l’Accord, la CMA tente de s’affranchir de la tutelle de Bamako dans la région de Kidal.  Au centre du Mali, bien que le contexte soit différent, l’Etat malien ne peut pas se permettre de faire deux fois la même erreur, au risque de conduire au morcellement du pays.

Quelle est l’issue ?

L’État malien doit pouvoir choisir quelle forme donner au dialogue. Cela peut se faire sous le format d’un dialogue inter-communautaire et intra-religieux (entre milices et chefs religieux). Cette option permettrait, d’une part de sortir du piège de la légitimation de groupes extrémistes, et d’autre part, d’essayer de changer la perception de la majorité des membres de ces milices qui ne sont pas à la base férus d’idéologie. Ces derniers, si l’on arrive à répondre à leurs doléances via le dialogue, quitteront ces groupes djihadistes, ce qui conduira à terme à une implosion interne de ces groupes.

L’État malien devrait éviter de se montrer trop faible dans les négociations avec ces groupes djihadistes. Pour cela, il doit garder l’initiative en définissant le format du dialogue et mener le jeu. Ce dialogue devrait non seulement prendre en compte les doléances des groupes extrémistes mais aussi et surtout, comprendre les facteurs qui ont conduit à l’insurrection au centre du Mali afin de les solutionner. Les réformes à faire concerneront probablement la gouvernance, l’État de droit en rapprochant la justice des justiciers, le développement de politiques économiques plus inclusives axées sur l’autonomisation des jeunes et des femmes. Le désarmement effectif des groupes djihadistes via le processus de cantonnement et de DDR doit constituer cependant, la première exigence à toutes négociations.

La négociation est une option politique à explorer au Mali. Seule l’incorporation des groupes armés terroristes du centre et les communautés en conflits dans un cadre de dialogue politique permettant de régler pacifiquement leurs différends, à condition de choisir la forme idoine pour ce dialogue.

Adoumadji Madjastan Magloire, Expert en défense et sécurité.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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