Libye : une révolte politique


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Luis Martinez

La bataille entre opposants et défenseurs du régime libyen fait toujours rage. Les forces de sécurité de Mouammar Kadhafi ont mené une contre offensive ce mercredi à Ajdabiya, ville située au sud-ouest de Benghazi, qu’elles ont bombardée. Elles auraient aussi repris la ville de Marsa el Brega, qui abrite un important terminal pétrolier. L’opposition peut-elle venir à bout du « Guide »?

Luis MartinezMouammar Kadhafi est toujours sourd aux cris de son peuple. Le dirigeant libyen a réitéré son intention de rester à la tête du pays, lors d’une cérémonie marquant le 34e anniversaire de l’établissement du « pouvoir des masses », retransmise sur la télévision publique ce mercredi. Après avoir accusé Al Qaida d’attiser l’insurrection, il a prévenu que « des milliers de Libyens mourront en cas d’intervention militaire de l’Amérique ou de l’Otan ». Alors que la sanglante répression contre le soulèvement aurait fait à ce jour 6000 morts, selon le porte-parole de la Ligue libyenne des droits de l’homme, Ali Zeidan, le « Guide » a déclaré qu’il « n’y a pas de manifestations en Libye, du tout. » Il a en revanche soutenu que des « manifestations immenses » ont eu lieu pour le soutenir, accusant les télévisions satellitaires de ne pas les montrer. Malgré son isolement sur la scène internationale, il est bien décidé à se cramponner au pouvoir. Luis Martinez politologue au CNRS, spécialiste de la Libye nous apporte un éclairage sur la situation.

Afrik.com : Que pensez-vous d’une éventuelle intervention militaire des Etats-Unis et de l’Union européenne en Libye ?

Luis Martinez :
Une telle intervention serait considérée comme une ingérence flagrante par les Libyens, qui veulent régler ce conflit entre eux. Cela changerait la donne et signifierait qu’ils sont incapables d’arriver à bout du régime de Mouammar Kadhafi. Il y a une véritable confrontation entre deux groupes : ceux qui acceptent l’aide des puissances étrangères et les plus nationalistes qui la refusent catégoriquement. Ils redoutent notamment qu’elles viennent s’installer dans le pays pour profiter de ses richesses. Cela changerait alors complètement la perception de la Libye qui se rapprocherait du scénario irakien. Le peuple ne serait alors plus au centre de la révolte. Or, il est persuadé qu’il peut parvenir à faire tomber le régime et qu’une transition démocratique est possible.

Afrik.com : Les sanctions prises par la communauté internationale vont-elles changer la donne ?

Luis Martinez :
C’est une bonne chose que la communauté internationale ait décidé d’agir en prenant des sanctions à l’encontre du régime. Mais faut-il encore qu’elle ait les moyens de les appliquer. Tout le problème réside là. En réalité, il est très difficile de les mettre en œuvre. D’autre part, Kadhafi a toujours eu un très grand mépris pour la communauté internationale. Elle l’a déjà condamné dans les années 90 à plusieurs reprises. Et dans les années 2000, il est redevenu fréquentable. Ceux qui l’avaient condamné, négociaient de nouveau des contrats avec lui. Il a une vision très particulière de la communauté internationale qu’il estime volatile. Il sait qu’elle ne défend pas son idéal par conviction mais pour des intérêts bien particuliers. Il a conscience que tous ceux qui sont venus sous sa tante étaient là pour défendre leurs intérêts économiques. La communauté internationale est comme une sorte de pays un peu schizophrène, beaucoup trop exigeante pour lui. Même si elle défend les droits de l’homme, il est très peu sensible à ce qu’elle pense et n’attend rien d’elle. Alors qu’au contraire, Hosni Moubarak et Ben Ali étaient très sensibles à tout ce qu’elle disait.

Afrik.com : Mouammar Kadhafi survivra t-il au soulèvement ?

Luis Martinez :
Une chose est sure : il sera très difficile de le faire partir. On n’est pas du tout dans une situation où il fuirait le pays par la pression de la rue. On est loin du scénario tunisien et égyptien. La coupure entre l’est et l’ouest peut être dangereuse pour lui et contribue à l’affaiblissement de son régime. Mais bien qu’il ait perdu le contrôle des champs pétroliers, il dispose encore de ses unités de combats et d’une garde révolutionnaire très puissante. Il est actuellement très difficile de savoir concrètement ce qui se passe en réalité.

Afrik.com : L’armée lui restera-t-elle fidèle ?

Luis Martinez :
C’est un véritable problème qui se pose pour lui. Car sans l’armée il ne pourra pas contrôler la région tripolitaine. Dès lors qu’elle a refusé de défendre le régime, toute la région de l’est est tombée en quelques jours. L’armée a refusé dès le départ de s’en prendre à la population. Et c’était prévisible. Elle a toujours pensé que Kadhafi s’était détourné de l’idéal nationaliste au profit de son clan. Néanmoins ce n’est pas toute l’armée qui s’est ralliée à la révolution, loin de là. Mais beaucoup de militaires ont pris la décision de ne pas intervenir contre le peuple. Désormais les menaces d’ingérence font réfléchir l’armée qui a tout intérêt à ce que le régime tombe au plus vite, avant l’arrivée des forces internationales, qui pourraient gérer l’après Kadhafi à sa place.

Afrik.com : Pourquoi les Libyens manifestent-ils alors qu’ils ne souffrent pas de la pauvreté?

Luis Martinez :
Les Libyens manifestent pour leur liberté, pas parce qu’ils ont faim. Ils se révoltent uniquement pour des raisons politiques. Ils n’en peuvent plus de vivre sous un régime dictatorial et veulent en finir. Leur situation est comparable aux habitants de la RDA qui ne pouvaient plus supporter le manque de liberté et se sont mis en grève jusqu’à ce qu’ils obtiennent l’effondrement du mur de Berlin. Les libyens ont vu les Tunisiens et Egyptiens réussir à renverser leur dirigeants, ils se disent que c’est aussi possible qu’ils y parviennent.

Afrik.com : Quels sont les pays qui sont encore fidèle au régime de Mouammar Kadhafi ?

Luis Martinez :
Il est évident qu’il a perdu beaucoup d’alliés. Le régime est confronté à des contraintes juridiques pesantes, et la Cour pénale internationale a notamment été saisie. Ceux qui se sont opposés à lui l’ont formellement manifesté. Mais il n’est pas rejeté par tous. Il y a encore des pays sur lesquels il peut compter. Le Venezuela, le Tchad, l’Afrique du Sud, le Brésil, n’ont pas affiché clairement leur opposition vis-à-vis de lui. Mais le fait de ne pas être soutenu à l’extérieur n’est pas un véritable problème pour Mouammar Kadhafi. Sa réelle inquiétude est de pouvoir reprendre le contrôle du pays à l’aide de sa garde. Il est aussi important de savoir qu’il y a un véritable discours de propagande véhiculé par le régime qui refuse d’entendre raison et estime qu’il n’y a pas de révolution en Libye. Il continue toujours d’agir comme si de rien n’était. Ce qui rend plus grave cette crise politique.

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