Les migrants atteints du VIH/sida en France


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Sur les 6 000 nouveaux cas de malades du VIH/sida établis en France en 2004, 51% des diagnostics par nationalité identifiés concernent les populations étrangères, notamment africaines. Cette question est au centre des préoccupations de AIDES, association de lutte contre le sida, qui va organiser des Etats Généraux les 25, 26 et 27 novembre à Lyon sur cette question. Une réunion d’échanges, de témoignages et de propositions sur le vécu des personnes séropositives.

Par Vitraulle Mboungou

La situation des migrants atteints du VIH/sida en France est devenue une priorité de santé publique car le nombre d’étrangers infectés ne cesse d’augmenter d’année en année. Cette année, l’association AIDES, qui lutte contre le sida, a décidé d’en faire le thème principal de ses Etats généraux qui auront lieu les 25, 26 et 27 novembre à Lyon. L’association est très sollicitée par les étrangers, notamment ceux venant d’Afrique subsaharienne, les plus touchés par cette maladie en France. Elle donne la possibilité aux personnes séropositives de parler de leur vie avec le VIH/sida. C’est le cas de Bernard, séropositif d’origine camerounaise, âgé de 46 ans, père de cinq enfants et ingénieur en électricité au Cameroun. Il a accepté de faire part de son expérience à Afrik.

Afrik : Depuis quand êtes-vous au courant de votre séropositivité ?

Bernard :
J’ai appris que j’avais cette maladie en 1998 mais je suis contaminé depuis au moins 1993, date à laquelle j’ai fait mon premier test VIH. A l’époque, j’étais hospitalisé et les médecins, qui se doutaient sûrement de ma contamination, m’avaient fait faire le test sans me le dire. Le test s’étant révélé positif, ils m’avaient demandé de refaire un test de confirmation dont je n’ai pas réussi à obtenir les résultats. Puis en 1998, je suis tombé gravement malade, j’avais des problèmes respiratoires et j’avais perdu énormément de poids. Le médecin m’a alors conseillé de faire un autre test.

Afrik :Quelle a été votre première réaction ?

Bernard :
J’étais effondré. Je suis tombé très rapidement dans la dépression, je me voyais sans cesse mourir. J’avais du mal à assumer cette maladie au départ, j’avais comme un sentiment de honte, j’avais l’impression que c’était écrit sur mon visage. C’était d’autant plus dur que j’avais une famille, une femme et des enfants.

Afrik : Justement votre femme, comment le lui avez-vous appris ?

Bernard :
Je n’ai pas eu le courage de le lui annoncer. Elle a deviné d’elle-même très peu de temps après, lorsque j’ai décidé d’avoir recours au préservatif. Elle a plutôt bien pris la nouvelle, mieux que je ne l’aurais espéré. Elle m’a soutenu et supporté pendant les premiers mois, mais elle a décidé de me quitter un an après.

Afrik : A-t-elle été infectée par le virus ?

Bernard :
Heureusement non et mes enfants non plus.

Afrik : Vos enfants sont-ils au courant ?

Bernard :
Seule l’aînée est théoriquement au courant, je ne l’ai pas dit aux plus jeunes. Mais étant donné ma médiatisation, je pense qu’ils doivent le savoir maintenant.

Afrik : Depuis quand êtes-vous en France ?

Bernard :
Je suis arrivé en janvier 2003.

Afrik : Vous étiez donc déjà malade au moment de votre arrivé ?

Bernard :
C’est la principale raison de ma venue. Mes médecins au Cameroun m’ont encouragé à venir me faire soigner ici car le traitement que je suivais là-bas n’était plus suffisant, je n’avais pas assez de médicaments. J’ai commencé les démarches pour le voyage lorsque mon assurance professionnelle a accepté de prendre en charge les frais. Ça a été un peu compliqué car j’ai dû prouver que le traitement dont j’avais absolument besoin était introuvable au Cameroun. Il a fallu fournir le témoignage des hôpitaux et du ministère de la Santé.

Afrik : A votre connaissance, existe-il beaucoup de cas de séropositifs camerounais qui viennent ainsi se faire soigner en France ?

Bernard :
Il y a très peu de cas comme moi, je dirais 10% environ.

Afrik : Comment s’est passé votre arrivée en France ?

Bernard :
Deux mois après mon arrivé, j’ai commencé un traitement plus fort et plus adapté, le Fuson, qui fait partie de la famille des anti-rétroviraux, à l’hôpital Tenon, à Paris. Depuis, je me sens assez bien.

Afrik : Quelle est votre vie maintenant ?

Bernard :
A mon arrivée, j’ai vécu pendant deux semaines à l’hôtel jusqu’à ce que je n’aie plus assez d’argent. C’est alors que j’ai fait appel à l’association AIDES que je connaissais déjà depuis le Cameroun. Elle m’a trouvé un logement.

Afrik : Comment vivez-vous avec la maladie au quotidien, le traitement n’est pas trop contraignant ?

Bernard :
Je supporte assez bien les effets secondaires de la maladie, ils sont négligeables étant donné ce que j’ai connu au pays où j’ai failli mourir à deux reprises. J’ai vécu des moments vraiment difficiles là-bas.

Afrik : Etes-vous entouré, soutenu par la famille, des amis…?

Bernard :
Je suis seul ici, toute ma famille est au Cameroun mais malgré cela je ne souffre pas vraiment de solitude. Je suis très engagé dans le milieu associatif où je trouve tout le soutien dont j’ai besoin. Le problème se situe surtout au niveau affectif, j’aimerai avoir une vie de couple comme tout le monde mais ce n’est pas évident avec la maladie ; même les femmes séropositives refusent de sortir avec moi.

Afrik : Avez-vous rencontré des difficultés dans vos démarches administratives concernant l’accès aux soins, la préfecture, l’hébergement par exemple ?

Bernard :
Pour ce qui est des soins, au départ j’étais pris en charge par l’assurance de la société où je travaillais au Cameroun mais 18 mois après ils m’ont licencié parce que j’avais été absent trop longtemps. Depuis, j’ai pris une mutuelle personnelle. Pour le logement, les associations m’ont aidé, notamment AIDES et MAAVAR, qui s’occupe de loger les personnes malades du sida. Enfin, en ce qui concerne la carte de séjour, j’ai fourni à la Préfecture de Paris mon dossier médical authentifié par mon médecin traitant. J’ai d’abord obtenu l’autorisation provisoire de séjour, j’ai eu le titre de séjour d’un an bien après. Cela m’a permis de retourner au pays pendant un mois voir ma famille.

Afrik : Avez-vous un emploi ?

Bernard :
J’ai eu mon premier emploi à l’Armée du Salut, un contrat à durée déterminé (CDD) mais j’ai été licencié un mois avant la fin de mon contrat, je ne sais pas si c’est à cause de ma maladie. Nous étions six employés, ils devaient licencier une personne et j’ai été choisi… Ensuite, j’ai été engagé à Actif Santé, une association de lutte contre le sida, mon contrat vient de se terminer mais comme il n’est pas sûr que la préfecture renouvelle mon titre de séjour, ils n’ont pas prolongé mon CDD. Depuis, je travaille bénévolement pour eux afin de rester actif.

Afrik : Quelle est la réaction des gens en découvrant votre maladie ?

Bernard :
Les gens ont généralement une réaction de rejet, je ne suis pas bien accepté, notamment dans la communauté africaine et camerounaise en particulier. Pour preuve, je fais partie d’une association regroupant des personnes de mon village au Cameroun, mais là, je ne suis pas très apprécié par certains qui me traitent même de sorcier du fait de ma maladie. Je me sens stigmatisé, dénigré. Je ne comprends pas cette réaction de rejet et de peur envers les malades du sida, en particulier dans un pays développé comme la France. Je trouve cela paradoxal qu’on en soit encore à avoir peur du contact physique avec les gens porteurs du virus… Je vais vous raconter une anecdote. J’ai témoigné pour le journal d’information de France 2 il y a quelques temps. De retour à mon hôtel, une femme de ménage d’origine africaine qui m’avait vu témoigner, a refusé de nettoyer ma chambre ! L’Eglise est l’endroit où je me sens le mieux accueilli ; je suis membre de l’association Chrétien Sida avec qui je milite dans différentes églises en France. Au Cameroun, ils font preuve de plus de tolérance et de respect. Ma maladie est mieux acceptée.

Le site d’AIDES.

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