Les élections vues de Kabylie


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La campagne électorale pour les présidentielles algériennes ne démarre que ce jeudi. Mais le pays est entré dans le vif du sujet depuis plus d’un mois, dans une ambiance délétère, entre fraude annoncée, manipulation de l’administration et appels au boycott. La situation est particulièrement tendue en Kabylie, où aucun scrutin n’a pu être organisé depuis les émeutes d’avril 2001.

De notre envoyé spécial

Il est 18 heures quand Belaïd quitte son travail, au port de Bejaïa, où il oeuvre à l’accroissement d’une unité de production d’huile végétale. Sur la route qui le conduit de l’usine au bus, qui tous les jours le ramène en une heure de trajet dans son hameau, sur les hauteurs d’El Kseur, il est tombé sur un meeting « anti-vote » des aârouch. Le mouvement citoyen a mis sur pied une caravane qui sillonne les localités de la wilaya, depuis une semaine, pour expliquer aux citoyens pourquoi il ne faut pas aller voter, le 8 avril prochain, aux élections présidentielles. L’institution, qui a supplanté l’autorité des partis en Kabylie depuis les émeutes d’avril 2001, a décidé le boycott du scrutin après l’échec de ses négociations avec le gouvernement. Les discussions ont achoppé sur l’officialisation de tamazight, la langue berbère parlée en Kabylie et à laquelle le parlement a reconnu en avril 2002 le statut de langue nationale.

« Je ne me suis arrêté que cinq minutes », explique Belaïd, bientôt arrivé chez lui, aux connaissances qu’il croise assises sur les marches de l’épicerie d’Omar. L’échoppe, grande d’une quinzaine de mètres carrés, seul commerce à 10 km à la ronde, est le point de rencontre des habitants des hameaux isolés de la commune. Notamment des jeunes chômeurs. « Il y avait du monde mais pas tant que ça. Beaucoup moins qu’avant, en tout cas », juge Belaïd après hésitation. Comme nombre d’habitants de la région, le jeune ouvrier âgé de trente ans s’est lassé des meetings et autres marches organisées par le mouvement citoyen. Sans pour autant se démobiliser. Belaïd était de la marche d’Alger, violemment réprimée, le 14 juin 2001, et qui avait drainé plusieurs centaines de milliers de citoyens de la Kabylie vers la capitale algérienne. Les manifestants voulaient alors remettre une plate-forme de revendications dite « d’El-Kseur » au gouvernement, après que plus de cent de leurs camarades aient été tués par les gendarmes. Belaïd n’ira pas voter le 8 avril prochain.

Climat politique délétère

Respect des consignes des aârouch ou analyse personnelle ? Comme n’importe quel votant algérien, le jeune homme a mille raisons de rester chez lui le jour J. Ou, selon le degré d’optimisme, d’aller voter et espérer changer les choses. La campagne électorale ne commence que ce jeudi, mais le Président Bouteflika, candidat à sa réélection, parcourt le pays depuis plus d’un mois. A chaque wilaya traversée, il débloque des centaines de milliards de dinars de budget. Ses adversaires, notamment son ancien Premier ministre, Ali Benflis, se plaignent depuis des semaines d’entraves de la part d’une administration aux ordres. Que leurs candidatures aient été retenues ou non, tous dénoncent en chœur la fraude qui se préparerait en faveur d’Abdelaziz Bouteflika. Certains appelant même au boycott.

Le Front des forces socialistes (FFS), parti dit « berbériste », qui enregistre habituellement les meilleurs scores en Kabylie, est de ceux-là. Il avait participé aux élections communales d’octobre 2002, contrairement à l’autre parti de la région, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), du Docteur Saïd Sadi, qui cette fois souhaite participer au scrutin ! Mais de toute façon, ce sont les aârouch qui font la loi en Kabylie. Ils avaient empêché la tenue des communales dans la région, parfois par la force, et sont bien décidés à faire de même pour les prochaines présidentielles. Ils ont annoncé dimanche qu’aucun candidat ne serait autorisé à faire campagne en Kabylie. Jeudi dernier, une conférence-débat du RCD a déjà été empêchée, à Timizart, dans la wilaya de Tizi-Ouzou.

Partis ou mouvement citoyen, certains ne savent plus à quel saint se vouer. En redescendant des collines d’El-Kseur vers la vallée de la Soummam et la cité des Hammadites, Bejaïa, un gérant de café du centre-ville fait part de son dégoût du jeu politique local. « Les aârouch travaillent avec le gouvernement », commence par regretter Hamoud. « L’officialisation de tamazight est importante, mais le gouvernement n’en n’a rien à faire. Ils ne l’accepteront jamais. Quant au FFS et au RCD, c’est fini ! », jure-t-il, en assurant que les Bougiotes n’iront pas voter et que de toute façon, « Bouteflika va être réélu ».

Une seule solution : partir

De retour dans les montagnes de petite Kabylie, Chaâbane, debout devant l’épicerie d’Omar, explique qu’il n’a jamais voté de sa vie. La vingtaine, il est mécanicien et n’a pas travaillé depuis la fin de ses études. Ses quatre demandes de visas, à la France et à la Suède, ont toutes été refusées. Il attend toujours la réponse à la dernière. 70% des Algériens sont âgés de moins de 30 ans. La plupart sont au chômage ou vivent de « petits métiers ». Rachid fait parti de ces derniers. Il vend des journaux dans l’artère principale de la ville de Tizi-Ouzou, surpeuplée et délabrée après des années de protestation et d’absence d’autorité. Il s’étonne qu’on lui demande s’il ira voter le 8 avril prochain. C’est non. Quant à l’opposition entre partis et aârouch… « Je ne fais pas de politique », explique-t-il. Comme pour Hamza, la solution est ailleurs : « quitter le pays ». « Est-ce facile de travailler en France ? », demande-t-il, sans savoir encore comment il se rendra dans le pays d’immigration le plus prisé des Algériens.

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