Le textile camerounais menacé par la contrebande et la contrefaçon


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Comment lutter contre la concurrence déloyale chinoise et nigériane dans le textile au Cameroun ? Entre contrefaçon, contrebande et fraude, la Cotonnière industrielle du Cameroun a déjà perdu 50% de son chiffre d’affaires en cinq ans. Jean-Paul Denier, directeur commercial, nous explique comment la société a été obligée de se différencier pour continuer d’exister.

Innover, prospecter ou mourir. Le dilemme de la Cotonnière industrielle du Cameroun est simple. La société, créée en 1965, n’a aujourd’hui plus la même santé qu’avant. Avant, c’était il y a seulement cinq ans, avant que la contrefaçon, la contrebande et la fraude ne gangrènent le marché. Des affres qui lui ont fait perdre la moitié de son chiffre d’affaires. Partenaire de la seconde édition du festival de mode Afric Collection, qui se tient à Douala du 6 au 11 février, la Cicam entend lancer la contre-offensive en se basant sur sa capacité d’innovation et la prospection de nouvelles cibles. Elle milite pour la reconnaissance du savoir-faire local et se présente comme un partenaire de choix pour tous les porteurs de projets qui ont le tissu comme matière première.

Afrik.com : Quelles sont exactement les activités de la Cicam ?

Jean-Paul Denier :
La Cicam est une société complètement intégrée qui part du fil à l’imprimé. Depuis le coton fibre, nous faisons de la filature dans le nord du pays, jusqu’à l’ennoblissement, par l’imprimé, la teinte ou le blanchiment des tissus. Nous fabriquons également, sous le nom de Solicam, des serviettes éponge. Mais nous ne faisons pas de confection. Nous ne faisons que du coton. Nous importons pour les rentrées scolaires des tenues en polyester viscose que nous teignons sur place au Cameroun.

Afrik.com : Si l’on devait décrire la société en chiffres ?

Jean-Paul Denier :
Nous consommons environs 3 000 tonnes de coton fibre par an. Nous employons mille salariés. Compte tenu des difficultés du marché, nous avons malheureusement dû nous séparer de 220 personnes en 2005.

Afrik.com : De quelles difficultés parlez-vous ?

Jean-Paul Denier :
Avec l’ouverture du marché mondial, les portes sont désormais grandes ouvertes aux importations au Cameroun. Celles-ci sont les bienvenues, mais uniquement dans la mesure où elles sont effectuées dans un cadre légal. Mais il y a trois problèmes auxquels nous devons faire face : la contrebande, la contrefaçon et la fraude. La contrebande : c’est lorsqu’un produit arrive de façon illégale au travers des frontières. Et pour nous, se sont essentiellement des produits en provenance du Nigeria. La contrefaçon : c’est la reproduction illicite de motifs sur les tissus imprimés et leur commercialisation. Et la fraude : c’est la fausse déclaration de valeur au moment de l’entrée des marchandises sur le territoire. Ces trois problèmes sont permanents depuis cinq ans. La conséquence directe est que nous avons eu à subir une baisse du chiffre d’affaires de 50%. De 25 milliards de FCFA au début des années 2000, nous sommes tombés, aujourd’hui, à la moitié.

Afrik.com : Quel est exactement le problème avec la contrebande et le Nigeria?

Jean-Paul Denier :
Le problème de la contrebande issue du Nigeria est essentiellement monétaire. A l’époque où le naira (la monnaie nigériane, ndlr) était fort, les flux allaient du Cameroun vers le Nigeria. Mais la devise s’est dépréciée et les Nigérians exportent leur surproduction vers le Cameroun et ciblent même le Cameroun dans leur production. Le fait est que nous avons des coûts de production relativement élevés, car nous sommes dans la zone CFA, lequel CFA est en parité avec l’euro. Le coût horaire d’un ouvrier est beaucoup plus élevé qu’au Nigeria. Mais nous avons enregistré, cette année, une chute sensible des flux en provenance de ce pays, car il est désormais lui aussi touché par le phénomène asiatique.

Afrik.com : Le « phénomène asiatique » ?

Jean-Paul Denier :
Il y a d’abord la contrefaçon. Nous faisons plus de 500 motifs par an, mais ils ne sont malheureusement pas tous déposés car les droits d’enregistrement sont assez élevés. Nous ne protégeons que certains dessins, comme celui de la Journée de la femme. Nous avons des infographes que nous payons et toute une infrastructure au niveau de la création pour des dessins qui sont directement copiés par quelqu’un d’autre… D’autre part, les coûts de production sont extrêmement faibles en Chine. Et puis il y a certaines manipulations financières qui font que j’ai réussi à voir des factures qui couvraient des exportations où les valeurs, au mètre linéaire imprimé, étaient inférieures au prix du coton qui a servi à imprimer le tissu. Ce sont là quelques déclarations frauduleuses qui ne devraient pas exister. La société générale de surveillance qui est missionnée pour filtrer toutes les importations ne remplie pas tout à fait son rôle à ce niveau-là.

Afrik.com : Les contrefaçons sont-elles de bonne facture ?

Jean-Paul Denier :
Les produits chinois qui nous gênent le plus sont de basse qualité, mais à des prix pratiquement un tiers inférieurs à nos coûts de revient. Alors que nous vendons un pagne entre 4 500 et 6 000 FCFA, on peut trouver des imprimés chinois à 2 500 FCFA.

Afrik.com : Le gouvernement a-t-il conscience de toutes ces problèmes ?

Jean-Paul Denier :
Le gouvernement est très sensibilisé sur la question et reste plein de bonnes intentions. Nous le sollicitons d’ailleurs beaucoup à ce sujet. Nous disposons nous-même d’un réseau qui nous signale toutes les anomalies sur le marché. Mais l’Etat hésite un peu à faire de grandes actions. Il y a eu des conteneurs de saisis au port. On nous a annoncé que la marchandise serait brûlée publiquement, mais jusqu’à présent nous n’avons rien vu.

Afrik.com : Quelle est votre stratégie pour contrer toutes les réalités du marché ?

Jean-Paul Denier :
Nous sommes obligés d’être différents et de cibler d’autres clients. Le pagne est un puissant outil d’appartenance. Nous essayons de développer tout ce qui est événementiel, c’est-à-dire toutes les fêtes nationales (Journée de la femme, fête de la Jeunesse, fête des mères…), toutes les manifestations privées (enterrements, mariages, baptêmes, les associations religieuses…). Il y a également un marché avec les sociétés qui se servent du support pagne pour communiquer (toutes les grandes sociétés de la place ont déjà fait un pagne personnalisé). Nous développons également des collections ciblées. Nous allons, par exemple, adapter des motifs aborigènes sur du pagne. Avec nos dessinateurs, nous travaillons par ailleurs à créer des collections régionales. Une collection de pagne bantou va d’ailleurs sortir tout prochainement.

Afrik.com : La Journée de la femme, le 8 mars, est un événement particulièrement important au Cameroun. Un pagne officiel est réalisé pour l’occasion et de nombreux défilés sont organisés à travers le pays. Comment faîtes-vous pour lutter contre les problèmes de contrefaçons ?

Jean-Paul Denier :
Le pagne officiel est établi en collaboration avec le ministère de la Famille, ainsi que les plus hautes autorités. La Journée de la femme est le 8 mars. Nous avons décidé de mettre le pagne sur le marché la dernière semaine de janvier, car nous avons compté six à sept semaines avant que les premiers pagnes copiés n’arrivent sur le marché. Ce qui correspond, pour le copieur, au délai d’acheminement des produits. Et nous avons mis toute une infrastructure de surveillance en place pour rapporter directement les infractions au gouvernement, afin qu’il prenne les mesures fermes qui s’imposent.

Afrik.com : Que représente en chiffres la Journée de la femme pour la Cicam ?

Jean-Paul Denier :
Cela monte en puissance d’année en année et nous espérons faire 15 à 20 % de plus que l’année dernière au point de vue métrage. Notre but est d’arriver au moins à trois millions de mètres, ce qui reste, à mon avis, largement insuffisant si l’on veut couvrir tout le pays.

Afrik.com : Quelle est votre principale cible commerciale ?

Jean-Paul Denier :
Notre cible reste quand même les jeunes. Au contraire de l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique centrale ne porte pas beaucoup de pagnes. Nous voulons apprendre aux jeunes à aimer le pagne et à en vulgariser le port. Pour cela, il faut les prendre dès le plus jeune âge : c’est à dire dès l’école primaire où les enfants sont essentiellement en uniforme. Pourquoi ne pas proposer aux directeurs d’école de faire une partie de l’uniforme en tissu coton labellisé avec l’insigne de l’école. Nous comptons cibler les collèges et même les universités.

Afrik.com : Pourquoi participez-vous à un événement comme Afric Collection ?

Jean-Paul Denier :
Afric Collection est aujourd’hui le plus important événement de mode du Cameroun. Je ne suis qu’un maillon de la chaîne. J’ai énormément besoin des stylistes car ils me guident dans ma réflexion. Nous ne fournissons que la matière première : le tissu imprimé. Nous ne faisons pas de confection. J’ai besoin de gens qui se présentent avec des idées nouvelles, qu’ils viennent un peu vers moi.

Afrik.com : Vous réalisez des portes ouvertes dans votre usine tous les mercredis. Quelle philosophie y a-t-il derrière ?

Jean-Paul Denier :
L’objectif des portes ouvertes est de montrer qu’au Cameroun, il y a des gens qui arrivent à fabriquer des produits de bonne qualité et qu’il y a un savoir faire qui n’est pas négligeable. On veut montrer que ce qui est fait à l’étranger n’est pas forcément meilleur que ce qui est produit localement. La formation reste en ce sens primordiale. S’il n’y a pas de formation technique, il n’y a pas d’industrie naissante.

Afrik.com : L’Etat renonce parfois à lutter contre les marchés parallèles pour éviter une paupérisation de la population, l’informel faisant vivre beaucoup de personnes…

Jean-Paul Denier :
C’est un faux problème. Beaucoup de gens sont effectivement entretenus par ce système de vente à la sauvette. Mais ce sont autant d’emplois qui ne sont pas créés dans l’industrie locale. Il faut faire un choix. Soit on protège son industrie, soit on laisse ses portes ouvertes et à ce moment-là, c’est le chaos total. Et je pense qu’il existe des secteurs d’activité que l’Etat doit absolument protéger.

Afrik.com : L’African growth opportunity act (Agoa) permet aux produits manufacturés, notamment textiles, d’accéder au marché américain avec des exonérations de taxes douanières. Le Cameroun est éligible à l’Agoa. Y a-t-il des perspectives en ce sens pour votre activité ?

Jean-Paul Denier :
Il y a quelques initiatives privées en gestation dans le cadre de l’Agoa. Et ces personnes nous sollicitent pour leur fournir leur matière première pour fabriquer les vêtements. Les mois qui viennent nous en diront plus, mais c’est bien parti.

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