Le Sénégal peut-t-il basculer dans la violence et le chaos ?


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A quelques jours de l’élection présidentielle sénégalaise, la situation reste toujours confuse, avec de fortes contestations contre la candidature d’Abdoulaye Wade par l’opposition sénégalaise. Élu en 2000 après de très longues années d’opposition farouche, le président Wade a à plusieurs reprises fait modifier la constitution au gré de ses volontés et selon ses intérêts du moment. Ayant ainsi pris l’habitude d’adapter la loi suprême sénégalaise à ses ambitions politiques personnelles, il était donc normal pour cet homme de droit, avocat, d’interpréter à nouveau les dispositions de la constitution à son avantage, au mépris du droit qu’il a très souvent évoqué dans des crises politiques en Afrique. A plus de 85 ans, après douze ans de pouvoir absolu, et en dépit de la forte mobilisation d’hostilité à cette nouvelle candidature, le président Wade semble prêt à tout pour se maintenir au pouvoir, y compris prendre le risque de faire basculer son pays dans la violence et le chaos.

Comment expliquer qu’après avoir passé une très grande partie de sa vie politique dans l’opposition, à dénoncer les dérives du pouvoir, l’absence de démocratie réelle ainsi que les libertés individuelles et collectives au Sénégal, Abdoulaye Wade se comporte aujourd’hui à plus de 85ans, comme ceux dont il décriait avec force, les pratiques qu’il jugeait antidémocratiques ? Comment aussi comprendre son entêtement à cet âge, avec tant d’expériences de la vie politique africaine et son lot de guerre civile? Comment analyser également le fait que le président Wade qui a été un des acteurs importants dans les crises ivoiriennes jusqu’à la guerre civile qui a plongé ce pays dans la désolation, refuse de se retirer ? Comme Gbagbo en Côte d’Ivoire, il espère peut-être exploiter les faiblesses de son opposition. Le président Wade sait mieux que quiconque à quel point les aventures hasardeuses en politique peuvent anéantir des années d’efforts, de développement économique et de paix sociale. Pendant les nombreuses crises sociopolitiques qui ont créé un climat de terreur en Côte d’Ivoire, beaucoup d’opérateurs économiques étrangers se sont expatriés au Sénégal et ont contribué de fait à son développement économique.

Comme Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire que Wade a très souvent critiqué dans son entêtement à s’accrocher au pouvoir en dépit de la mobilisation nationale et internationale contre lui, le président sénégalais est-il lui aussi en train de s’enfermer dans une impasse politique incertaine et dangereuse ? Les populations sénégalaises déjà durement frappées par un taux de chômage important, la guerre civile en Casamance et la sécheresse qui limite considérablement ses possibilités de développement économique seront peut-être les principales victimes de cette obstination.

Curieusement, avec la validation de la candidature de Wade et le rejet de celle de Youssou N’Dour à cette élection, on s’attendait à un durcissement des actions de mobilisation contre ce tour de « passe-passe » du conseil constitutionnel sénégalais. L’opposition semble au contraire se diviser et s’affaiblir. On pourrait même par moments se demander si le rejet de la candidature de Youssou N’Dour n’arrangerait pas également les autres candidats de l’opposition qui dénoncent timidement, des bouts des lèvres cette décision (sur ce sujet, lire aussi l’article : L’opposition capitule devant le forcing de Wade tout en se débarrassant du poids encombrant du candidat de Fekké maci bolé, Youssou Ndour). Aujourd’hui, l’opposition est complètement désunie. Chaque opposant manœuvre stratégiquement en espérant tirer un profit personnel de cette zone d’ombre et d’incertitude dans laquelle est plongé le Sénégal. Les jeunes du M23 sont désabusés et commencent à douter des leaders de l’opposition. Toutes ces incertitudes créent de fait un véritable espace que tente d’exploiter Wade pour réussir son pari qui semble, de tout faire pour favoriser à terme, sa succession par son propre fils. A moins que les autres acteurs religieux de ce système décident à leur tour d’entrer dans cette incertitude politique et sociale et contrarier fortement les prévisions politiques de Wade. Dans ce cas, il est évident que le président Wade aura le plus à perdre. Son image risque désormais d’être associée à tous les autres dictateurs du continent qu’il a critiqué tout au long de sa longue carrière politique. Il vaut mieux pour lui, que cette crise politique ne se transforme pas en crise politico-religieuse. Elle pourrait alors donner une autre dimension aux enjeux politiques actuels au Sénégal. Les ambassades ont déjà anticipé le mouvement en donnant des consignes de sécurité à leurs ressortissants sur tout le territoire sénégalais. Ce qui de manière générale, est un mauvais signe.

Pour l’instant, au regard de l’analyse systémique et stratégique de la situation politique sénégalaise, le rapport de force semble tourner en faveur de Wade. Mais pour cela, il faudrait que l’opposition reste toujours divisée, que les religieux s’abstiennent de lancer leurs fidèles dans la bataille et que Wade gagne au premier tour. Mais, s’il gagne au premier tour, le risque d’un chaos à l’ivoirienne n’est pas à exclure. Il sera accusé d’avoir forcement fraudé pour gagner. En ce moment là, tous les regards une fois encore seront tournés vers l’armée afin de savoir son positionnement, en acteur déterminant et stratégique dans ce système politique sénégalais très mouvant et incertain.

Après la Côte d’Ivoire et les pays du Maghreb, le Sénégal peut-il sauver son modèle démocratique qui a très souvent fait sa fierté en Afrique ? Pour cela, il faudrait peut-être que l’intérêt général prenne le dessus sur les égos, les ambitions personnelles parfois démesurées et sur les stratégies politiques à haut risque dans le seul but de préparer les conditions de l’ascension présidentielle de leur progéniture.

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