Le Rotary sort de l’ombre


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Jonathan B. Majiyagbe entouré de Marc Fontenoy (à gauche) Gouverneur du district 1770 et Lucien Moreau (à droite) Gouverneur du district 1660

A l’aube de la fin de son mandat, Jonathan Majiyagbe, le premier président noir du Rotary International, revient sur les fondements de son action et sur le nouveau visage de l’association, qui fêtera l’année prochaine ses 100 ans. Et le succès d’un challenge engagé il y a dix ans : éradication de la polio de la surface de la Terre. Interview.

Le Rotary a presque 100 ans. Organisation apolitique et non confessionnelle créée en 1905, elle est perçue par beaucoup comme un club de nantis aux vagues objectifs humanitaires. «Simple manque de communication », rétorque Jonathan Majiyagbe, premier président noir du Rotary. Le Nigérian, dont le mandat arrive à terme en juillet, en veut pour preuve le challenge mondial, lancé en 1995, consistant à éradiquer la polio du globe. Pari tenu, ou presque, et réalisé dans un anonymat que le Rotary souhaite aujourd’hui briser. Fort de 1,2 million de membres, il prône aujourd’hui l’ouverture et milite pour plus de volontariat et de solidarité internationale.

Afrik : Que représente pour vous le fait d’être le premier Africain à la tête du Rotary international ?

Jonathan Majiyagbe :
Plusieurs personnes étaient tout aussi qualifiées que moi, mais j’ai été choisi. J’en suis fier et honoré. Cela prouve que le Rotary est un organisme démocratique. Cela ne se serait peut-être jamais fait dans d’autres organisations.

Afrik : Pourquoi avez-vous décidé d’entrer au Rotary club ?

Jonathan Majiyagbe :
Parce que j’ai vécu dans un pays où il y a beaucoup de pauvreté. A chaque fois que j’allais travailler, je côtoyais sans cesse la misère. Il m’était difficile de rester insensible à toute cette souffrance. Cela m’a motivé à m’investir dans une organisation humanitaire qui ne soit ni politique, ni religieuse et qui œuvre pour la paix dans le monde. Le Rotary club avait toutes ces caractéristiques. J’y ai adhéré par amour pour mon prochain.

Afrik : Le Rotary achève, avec succès, un programme de 10 ans qui visait a éradiquer complètement la polio. Pourtant le Rotary n’a pas une image d’organisation humanitaire mais plutôt celle d’un club élitiste et obscure. Pourquoi ?

Jonathan Majiyagbe :
C’est notre faute. Le Rotary avait une mauvaise image parce que nous avons toujours été très conservateurs et nous n’avions jamais jugés utile de faire connaître, au grand public, l’étendue de nos actions caritatives. Une réalité qui n’est plus vraie aujourd’hui. Nous avons pris conscience qu’il était utile de communiquer. Un travail qui contribue à faire disparaître toutes les critiques à notre égard.

Afrik : Après la polio, quel sera le prochain challenge du Rotary ?

Jonathan Majiyagbe :
Notre travail sur la polio n’est pas encore achevé. On ne peut pas parler de l’éradication de la polio, tant que tous les pays n’en seront pas complètement débarrassés. Il faut attendre trois ans sans qu’aucun cas de polio ne soit signalé pour que l’Organisation mondiale de la santé déclare que la maladie est éradiquée. C’est le Conseil de législation du Rotary qui décidera de notre prochain challenge global. Et ce à l’horizon 2007. Beaucoup de suggestions ont été faites, comme la malaria, le sida, les mines anti-personnelles. Mais nous ne pouvons pas tout faire à la fois. Je ne sais pas encore quel sera notre prochain combat, mais ce sera quelque chose qui contribuera à faire du monde un monde meilleur.

Afrik : La promotion de la paix reste le thème fondateur du Rotary. Au delà des actions humanitaires classiques, que fait concrètement le Rotary pour répondre à sa mission ?

Jonathan Majiyagbe :
Le Rotary offre, chaque année, 70 bourses d’étude pour des Masters afin de former de futurs diplomates, médiateurs et décideurs sur la résolution de conflits et la paix. C’est l’une de nos contributions concrètes pour la paix dans le monde. Mais nous avons d’autres actions éducatives qui contribuent à promouvoir la compréhension et les échanges d’idées entre les pays.

Afrik : L’un des quatre groupes de travail de votre mandat était « La famille du Rotary ». Cela signifie-t-il qu’il n’y a pas d’esprit de famille au sein de l’organisation ?

Jonathan Majiyagbe :
Non cela veut tout simplement dire que nous voulons revitaliser les rapports entre les membres. Les gens n’aiment plus faire de volontariat de nos jours. Ils préfèrent rester chez eux et n’ont plus que des intérêts matériels. Le thème de la famille avait pour but d’attirer plus de volontaires et de rendre plus attractif l’association auprès de la nouvelle génération.

Afrik : Dans les 60 actions répertoriés sur le site du Rotary International en Afrique, seuls trois pays francophones (la République démocratique du Congo, le Sénégal et Madagascar) sont concernés. Pourquoi ?

Jonathan Majiyagbe :
Tous les clubs Rotary sont autonomes. Il y a des projets développés dans les pays francophones, simplement ils ne sont pas médiatisés. Je citerai pour exemple, l’actuelle campagne pour former des puits au Niger ou la campagne d’éradication du paludisme en Afrique de l’ouest.

Afrik : Au-delà de ses actions humanitaires, le Rotary, qui regroupe des hommes de pouvoir, ne constitue-t-il pas un groupe de pression ?

Jonathan Majiyagbe :
Certes nous essayons d’influencer les gens, mais nous croyons à la liberté de choix. Le Rotary encourage l’observation de règles de haute probité dans l’exercice de toute profession ainsi que l’entente entre les peuples. Nous avons quatre critères que nous observons avant de lancer un projet : Est-ce conforme à la vérité ? Est-ce loyal de part et d’autre ? Est-ce susceptible de stimuler la bonne volonté réciproque et de créer des meilleurs relations amicales ? Est-ce bénéfique pour tous les intéressés ? Nous travaillons ensuite avec les gouvernements. Parce que sans leur collaboration, nous ne pourrions pas mener à bien nos différents projets. Comme notre travail sur l’éradication de la polio et notre programme de bourses scolaires.

Afrik : A la veille de la fin de votre mandat, quel message souhaiteriez-vous adresser au monde ?

Jonathan Majiyagbe :
Avec 1,2 million de membres dans le monde, le Rotary fait déjà beaucoup, mais avec plus de monde, il pourrait faire mieux. S’il y avait plus de volontariat, le monde serait meilleur. Les grandes puissances dépensent beaucoup d’argent pour les armes de destruction massive, alors qu’il y a des armes de destruction massive bien plus dangereuses, comme le sida, la pauvreté…. Le message que je souhaiterai faire passer est : « Venez nous rejoindre pour épauler nos gouvernements ».

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