Cameroun : « La décolonisation de l’Union Africaine est à l’ordre du jour »


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Les principaux panélistes de la chaîne panafricaniste Afrique-Média
Les principaux panélistes de la chaîne panafricaniste Afrique-Média

Les principaux panélistes de la chaîne panafricaniste Afrique-Média, à la tête desquels, Monsieur Banda Kani, président du Nouveau Mouvement Populaire (NMP) du Cameroun, viennent d’organiser une « Journée de solidarité avec la République Centrafricaine (Jsc) », à Douala, capitale économique du Cameroun. A l’issue de cette rencontre, le président Banda Kani se confie à Afrik.com.

Banda Kani
Le Président Banda Kani

Président Banda Kani, en date du 17 avril 2023, vous avez organisé une « Journée de solidarité avec la République Centrafricaine (Jsc) ». Quel message vouliez-vous faire passer à travers cette rencontre ?

Le président de la République Centrafricaine, j’ai nommé Faustin Archange Touadera, représentant légal de l’Union africaine (Ua), le garant de la mise en exécution des décisions de l’organe suprême de l’Organisation, à savoir : la Conférence des chefs d’Etats, le lien diplomatique entre cette organisation et les partenaires extérieurs, symbolise le niveau de matérialisation des rêves et aspirations plus que centenaires des peuples africains à l’Unité, au respect, à la souveraineté politique et économique. Il est censé refléter l’héroïsme glorieux des Pères Fondateurs, qui ont écrit, en lettres d’or, les pages glorieuses de l’histoire de l’Afrique et de l’humanité tout court. Il est censé incarner la continuité de ce combat historique, depuis ses premières heures jusqu’à ce jour, mais aussi la sauvegarde sans cesse actualisée, des idéaux originels et surtout leur matérialisation et, l’Union africaine, en est une. Vous comprenez l’émotion qui nous saisit alors que nous nous adressons au représentant d’une institution de l’envergure de l’Union africaine.

Quels regards jetez-vous sur cette grande institution qu’est l’Union africaine ?

L’Union africaine (UA) évolue dans un contexte mondial et global qui génère sans cesse des contraintes objectives. Celles-ci imposent, bon gré mal gré, la capacité de l’Union africaine à atteindre ses objectifs qui, on le sait très ambitieux. Vous nous permettez de saluer les efforts constants de l’Union africaine pour se maintenir, non seulement, mais être en mesure de revendiquer un bilan qui, si l’on se situe dans l’optique stratégique de l’Organisation, a du contenu. A l’instar de l’action de l’Union africaine, ses Etats membres et les organisations sous régionales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent pouvant conduire au terrorisme ; sur le continent africain notamment le déploiement de la mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom), de la Force multinationale mixte (Fmm) dans le bassin du lac Tchad et de la Force conjointe G5 Sahel, ainsi que les processus de Nouakchott et de Djibouti, sans oublier le plan directeur de Lusaka relatif à l’initiative « faire taire les armes en Afrique ».

Cette sortie du chef de l’Etat centrafricain est un cri lancé en direction de toute l’Afrique, un appel au secours venant d’un pays brisé, écrasé, meurtri par les assauts ininterrompus de la prédation internationale. Dans un enchainement implacable de déstabilisations, le pays végète et suffoque

Nous tenons à saluer la coopération entre l’Onu et l’UA qui, a débouché sur la signature en 2017, du cadre commun pour la paix et la sécurité, puis en 2018, du cadre de mise en œuvre de l’agenda 2063 et du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Et depuis 2007, les réunions consultatives annuelles entre le Conseil de sécurité de l’Onu et le Conseil Paix et Sécurité de l’Ua, qui jouent un rôle déterminant dans la formulation de stratégies concertées en matière de paix et de sécurité sur le continent. Tout ceci serait incomplet si nous ne saluons pas l’Agenda 63 de l’Ua qui sert de cadre stratégique à l’Ua et l’entrée en service de la Zlecaf (Zone de libre-échange continental africaine). Il n’est pas exclu que la proximité stratégique entre l’Onu et l’Ua ait été pour quelque chose dans le consensus qui semble se faire autour de la nécessité d’une représentation de l’Afrique au sein du cadre privilégié des Membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu. Reste à préciser les contours d’une telle opération.

Les Panafricanistes assument leurs critiques sur l’Union africaine

Nous les Panafricanistes, sommes très critiques envers l’Union africaine. Cet état de fait, nous l’assumons et maintenons nos critiques. Mais ce criticisme-là n’aurait pas de sens s’il niait la réalité de ce qui est fait. Des choses ont été faites, sont faites. Tout cela est à saluer.

Ces actions qui sont à mettre à l’actif de l’Organisation, pour qu’elles permettent à celle-ci d’être plus efficace, doivent être rapportées au passif de cette dernière. A ce propos, il semble que le Président Touadera, soit le meilleur lecteur des limites des actions de l’organisation comme quand, par exemple, parlant de la coopération avec l’Onu, il souligne la nécessité de surmonter les « contradictions » persistantes au Conseil de sécurité de l’Onu. Lesquelles entravent parfois la résolution des conflits sur le continent (voir communiqué de presse du Conseil de sécurité de l’Onu du 04 décembre 2020).

Selon vous, en quoi réside la contradiction fondamentale du Conseil de sécurité ?

En effet, la contradiction fondamentale du Conseil de sécurité réside en ce que la paix et la sécurité mondiales, qui sont la raison d’être du Conseil de sécurité, sont incompatibles avec l’idée que les puissances, Membres permanents du Conseil, se font de leurs intérêts, de la promotion de ceux-ci, dans les relations internationales. C’est ainsi qu’une partie des puissances, Membres permanents du Conseil de sécurité, s’est hissée au-dessus de l’Onu, pour concevoir, planifier et mettre en œuvre, un aventurisme géopolitique qui se traduit concrètement sur le continent, en la destruction des Etats, la généralisation du chaos et du terrorisme sur le contient. Depuis la chute du mur de Berlin, l’Afrique est le champ d’expérimentation de cet aventurisme géopolitique, mené par les USA, la France, l’Angleterre, l’UE, etc… organisés en et agissant comme « Communauté internationale ». La situation d’un pays africain, illustre, à merveille, cet état de fait : il s’agit de la République Centrafricaine.

Le 5 mars 2023, le Président centrafricain a accusé les pays occidentaux d’entretenir une instabilité politique en République Centrafricaine. C’était à l’occasion de la 5ème Conférence des Nations Unies sur les pays les moins avancés qui regroupait une cinquantaine de pays en présence du Secrétaire général de l’Onu, Monsieur Antonio Guterres. « La République centrafricaine est soumise, depuis son indépendance, à un pillage systématique facilité par l’instabilité politique entretenue par certains pays occidentaux ou leurs compagnies, qui financent les groupes armés terroristes dont les principaux leaders sont des mercenaires étrangers », a accusé le chef de l’Etat de la République Centrafricaine à cette occasion. Il a en outre affirmé que son pays est « la victime de visées géostratégiques liées à ses ressources naturelles ». Il dénonce les « ingérences étrangères » qui maintiennent les pays les moins avancés dans « la dépendance, l’insécurité et l’instabilité ». Il a aussi, à cette occasion, exigé « la reprise de l’aide budgétaire internationale à son gouvernement, suspendue en raison de la soi-disant opacité des dépenses de sécurité et des liens avec les paramilitaires du groupe russe Wagner ».

Que ce soit le Mali, ou le Burkina-Faso, ou la République Centrafricaine pour ne citer que ces cas-là, leur situation prise dans l’ensemble ne suscite pas une grande initiative historique comme ce fut le cas avec le régime de l’Apartheid et les pays de la ligne de front, qui a vu l’Afrique s’élever à la dimension de l’histoire

Le Président Touadera a demandé pourquoi son pays, « doté d’un immense trésor géologique : l’or, les diamants, les matières premières stratégiques dont le cobalt, l’uranium, le pétrole encore inexploité (…) demeure, 60 ans après l’indépendance, un des pays les plus pauvres du monde ». Il a fustigé « l’embargo injuste et illégitime sur les armes et sur le diamant centrafricain » ainsi que « les campagnes de désinformation et de diabolisation de certains médias étrangers en vue de décourager les investisseurs ». Il a martelé que « le peuple centrafricain est pris en otage » et que les efforts de son gouvernement « sont compromis par les visées géostratégiques auxquelles il est totalement étranger ».

Comment trouvez-vous les accusations du Président centrafricain ?

Les accusations du Président Faustin Archange Touadera à l’égard des pays occidentaux sont très graves. Le cadre dans lequel il a prononcé ces accusations est fort significatif. L’accusateur, ici, est un chef d’Etat en exercice, qui a la réputation d’être un homme plutôt mesuré, ayant le sens de l’équilibre et sachant faire preuve de tact. Qu’il en soit arrivé à se départir de toute retenue diplomatique, veut tout simplement dire que ses qualités tant plébiscitées ne servaient plus les intérêts de son pays. Il ne s’agit pas d’accusation mais de vérités tout simplement : la Centrafrique est victime d’un complot international à visée recolonisatrice.

Que retenir de cette sortie du président Faustin Archange Touadera ?

Les panafricanistes paraphent la lettre de soutien à adresser au président Faustin Archange Touadera
Les panafricanistes paraphent la lettre de soutien à adresser au président Faustin Archange Touadera

Cette sortie du chef de l’Etat centrafricain est un cri lancé en direction de toute l’Afrique, un appel au secours venant d’un pays brisé, écrasé, meurtri par les assauts ininterrompus de la prédation internationale. Dans un enchainement implacable de déstabilisations, le pays végète et suffoque. Il est au bord de la disparition sous une recolonisation de fait, quand le président Faustin Archange Touadera arrive au pouvoir. En réalité, il ne s’agit pas d’un appel au secours, mais d’une très forte interpellation de l’Afrique et des africains. En effet, la politique mise en œuvre par le président Touadera s’inscrit directement dans la continuité des luttes émancipatrices que les peuples africains mènent contre les formes d’oppressions qu’ils ont subites et subissent encore. La lutte du peuple centrafricain conduite par son président, ne trouve pas l’écho qu’elle mérite au sein du continent, surtout au niveau des instances censées parler au nom de l’Afrique.

Que ce soit le Mali, ou le Burkina-Faso, ou la République centrafricaine pour ne citer que ces cas-là, leur situation prise dans l’ensemble, ne suscite pas une grande initiative historique comme ce fut le cas avec le régime de l’Apartheid et les pays de la ligne de front, qui a vu l’Afrique s’élever à la dimension de l’histoire. Et pourtant, la situation de la Centrafrique indique que le péril est similaire sinon plus grand puisqu’il tend à annuler les acquis historiques conquis de haute lutte. Le cas de la République Centrafricaine pose, à nouveau, la question de la recolonisabilité de l’Afrique, et du renversement de la perspective historique dessinée par les Pères Fondateurs de la longue lutte des africains pour leur dignité, pour la liberté. C’est à ce niveau que la responsabilité de l’Ua est engagée. On a pris l’habitude de justifier l’inaction, l’indifférence et le défaussement par le fait que les dirigeants africains ne font pas assez : cela est-il valable pour le Président Touadera à l’analyse objective de son action depuis son arrivée à la tête de la République Centrafricaine ?

Votre point de vue sur les rapports entre l’Union africaine et les autres institutions internationales

Lorsqu’on analyse la dialectique des rapports entre l’Union africaine et les autres acteurs du champ international, l’on est frappé par la capacité géniale de celle-ci à s’empêtrer dans les contradictions quasi insurmontables (à l’instar de celles qui caractérisent le conseil de sécurité de l’Onu) : l’Ua veut sauvegarder et promouvoir la souveraineté et l’indépendance des Etats-membres, veut assurer la dignité des populations africaines, veut gagner la bataille de la libération économique du continent, veut défendre et promouvoir l’authenticité des valeurs africaines, veut assurer la sécurité et la paix sur le continent, veut promouvoir la démocratie et les droits de l’homme sur le contient, etc… Mais en même temps, ne se donne aucun véritable moyen pour les réaliser et mise sur la philanthropie internationale pour atteindre ses objectifs et réaliser ses projets.

L’Ua est sous tutelle. Sa décolonisation est à l’ordre du jour. Elle fait beaucoup de choses, elle a pris beaucoup d’initiatives, mais toutes dans le cadre géopolitique de la tutelle internationale sous laquelle elle est placée. Voilà pourquoi le Sahel peut brûler, le Centrafrique attaquée de toutes parts, peut-être humiliée, chosifiée par les Occidentaux

A l’Union africaine, l’on semble avoir oublié que le fait d’avoir de si grandes ambitions, suppose que l’on a bien compris que celles-ci relèvent de la géopolitique et non de la philanthropie, ni de la coopération internationale. Est-on alors surpris de voir que l’Ua ploie sous le poids des « contraintes internationales » ? Elle n’a pas été en capacité propre de s’offrir un siège. C’est la philanthropie chinoise qui le lui a offert. Elle a calqué le modèle de l’Union européenne : donc elle (l’Ua) peut penser ses idéaux mais être dans l’incapacité de penser le modèle structurel qui doit aller avec. Ses charges de fonctionnement sont supportées à près de 80% par l’étranger. Une Organisation de l’envergure de l’Union africaine ne peut survivre avec un tel niveau de divorce entre ses idéaux fondateurs et les conditions concrètes de leurs réalisations. La conséquence logique d’un tel état de fait est que l’Union africaine est pratiquement annexée, colonisée par les « contraintes internationales ». Le but du Panafricanisme n’est pas de gérer « les contraintes internationales », mais plutôt de se débarrasser de celles-ci. L’Ua est-elle une façade, un cheval de Troie de la recolonisation du continent ? Est-ce pour récompenser les loyaux services qu’elle aurait rendus à ces tuteurs étrangers que ceux-ci veulent lui décerner des médailles comme par exemple, une place en qualité de Membre permanent au Conseil de sécurité de l’Onu, un siège au G20 ?

Une chose est sûre, au regard du caractère têtu des faits, l’Ua est sous tutelle. Sa décolonisation est à l’ordre du jour. Elle fait beaucoup de choses, elle a pris beaucoup d’initiatives, mais toutes dans le cadre géopolitique de la tutelle internationale sous laquelle elle est placée. Voilà pourquoi le Sahel peut brûler, le Centrafrique attaquée de toutes parts, peut-être humiliée, chosifiée par les Occidentaux. Le monde est en train de basculer. Il est entré dans la réalité de la Multipolarité. L’Afrique ne doit pas éclater en mille morceaux, multipolarisée. Une Grande initiative se doit d’être prise pour soutenir la République Centrafricaine. Une Grande initiative doit être prise pour décoloniser l’Union africaine et préserver le continent.

Que peuvent attendre les populations africaines des panafricanistes ?

L’heure est grave. Si les « Pères Fondateurs » avaient à gérer les situations qui prévalent en Afrique aujourd’hui, se contenteraient-ils de ce fait actuellement, ou auraient-ils fait mieux ? Dans tous les cas, l’héritage qu’ils nous ont légué et dont nous nous revendiquons nous interpelle fortement pour que nous soyons dans l’obligation de faire mieux qu’eux. Nous sommes condamnés à faire plus et mieux que l’Oua. L’Ua doit opérer sa mutation.

Votre action jusqu’ici a-t-elle fait bouger les lignes ?

A travers notre action, entre autres, l’Ua avait adopté une résolution non contraignante demandant aux pays africains d’abandonner la Cour Pénale internationale (CPI), lors du Sommet annuel de l’Organe régional en 2017. Ce qui a ouvert la voie au retrait du Burundi de la CPI. Tout comme nous avons œuvré, entre autres, au lancement du Passeport africain, lancé le 17 juillet 2016 par l’Ua, sous la présidence de Paul Kagame et de Feu Maréchal Idriss Déby Itno.

Peut-on avoir les noms des signataires de cette lettre de soutien adressée au Président centrafricain ?

Ont signé :

  • Monsieur Banda Kani
  • Monsieur Tatsinda Bertrand
  • Monsieur Ndom Patient Parfait
  • Mbeleck Jean Paul
  • Monsieur Kengne Charly
  • Monsieur Batanguene Jonathan
  • Monsieur Ngos Josselyn
  • Monsieur Fanga Christel
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