La France restitue au Bénin 26 œuvres volées en 1892 au Dahomey


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Discours de Franck Riester, ministre de la Culture, prononcé à l’occasion du forum « Patrimoines africains : réussir ensemble notre nouvelle coopération culturelle », jeudi 4 juillet 2019

Monsieur le Chancelier de l’Institut de France,

Cher Xavier Darcos,

Merci de nous accueillir dans ce magnifique auditorium.

Voici une nouvelle preuve de l’engagement de l’Institut et des cinq académies pour le patrimoine, tout particulièrement dans sa dimension internationale.

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Mesdames et messieurs les ambassadeurs,

Mesdames et messieurs,

Chers amis,

Je voudrais tout d’abord vous prier d’excuser l’absence du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Il espérait être avec nous ce matin, mais la réunion du G7 Développement qui se tient également aujourd’hui à Paris l’en a finalement empêché.

Je l’associe d’autant plus volontiers à ces propos qu’avec nos équipes, nous avons préparé cet événement ensemble, comme nous travaillons plus largement de concert à tracer, avec le continent africain, les lignes d’une nouvelle coopération dans le secteur culturel et patrimonial.

Je tiens à remercier chacune et chacun d’entre vous pour votre présence nombreuse ce matin à l’Institut de France.

Merci à nos partenaires africains qui ont bousculé leurs agendas respectifs et réussi, dans des délais très courts à nous rejoindre. Votre présence aujourd’hui et les messages que vous portez sont essentiels pour le succès de cette journée de travail autour des patrimoines africains.

Merci à nos partenaires européens venus nombreux aujourd’hui. Beaucoup ont témoigné leur intérêt pour cette manifestation, mais ne pouvaient malheureusement pas être présents. Je suis convaincu que la richesse et la diversité de nos points de vue permettront de comprendre à quel point l’Europe peut être une réponse au défi qui est le nôtre : construire une nouvelle coopération patrimoniale avec le continent africain.

Merci à l’Unesco d’être présente, elle qui agit sans relâche pour la préservation de la richesse des patrimoines.

Lire l’article Lamu au patrimoine mondial de l’Unesco

Un mot enfin pour saluer et remercier celles et ceux qui, partout dans nos territoires, réfléchissent et s’engagent sur la question des patrimoines africains et ont bien voulu nous rejoindre ce matin à l’Institut de France pour dialoguer et avancer.

Cette journée est inédite à plusieurs égards. Inédite, en premier lieu, par l’ampleur et la qualité des acteurs réunis. Je vois dans la salle des conservateurs, des archéologues, des historiens, des universitaires, des historiens de l’art, des anthropologues, des archivistes, des directeurs de musées, des responsables d’administrations, et des journalistes.

Cette mobilisation est prometteuse au regard des thématiques abordées :

– La question de notre coopération patrimoniale avec l’Afrique : mieux la penser, l’adapter, la faire vivre durablement ;

– La recherche et l’analyse des provenances des collections. Question liée notamment à celle des restitutions ; vos regards croisés seront, j’en suis certain, riche d’enseignements ;

– Enfin la question du partage avec le public. Comment faire en sorte que nos institutions soient des médiateurs efficaces en matière de patrimoines africains.

Expliquer, contextualiser, faire comprendre, sont autant d’objectifs partagés.

Cette journée est aussi le signe d’une coopération forte et réussie entre le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et le ministère de la Culture.

Enfin, un dernier mot de remerciement à l’attention de Karim Mouttalib qui a accepté il y a quelques mois la lourde charge d’organiser cette journée et qui a fait preuve d’une remarquable patience et rigueur.

Mes chers amis,

L’année prochaine, conformément à l’engagement du Président de la République, la France accueillera la saison « Africa 2020 ».

L’année prochaine, le continent africain, dans son infini diversité de cultures, viendra se raconter. Il nous dira ce qu’il est, comment il perçoit son avenir et comment il veut transformer le monde.

Partout en France, « Africa 2020 » fera connaitre la richesse et le dynamisme de la scène artistique africaine dans tous les domaines de la création.

De juin à décembre 2020, cette saison conçue par la sénégalaise NGoné Fall et co-construite avec des partenaires africains, offrira à nos compatriotes et à tous nos visiteurs un regard inédit sur le monde contemporain.

Un regard audacieux, bouillonnant, un regard aux couleurs de l’Afrique.

On y parlera d’arts et de recherche, d’éducation et d’enseignement, d’innovation et de gastronomie, d’économie ou bien encore de sports.

On y parlera de tous ces jeunes talents qui font rayonner le continent africain.

Bref, on parlera de l’avenir. L’avenir d’une Afrique forte et confiante.

La jeunesse africaine veut embrasser son histoire, avoir accès aux patrimoines qui ont construit ses identités.

Elle ne nous a évidemment pas attendu pour cela.

Si elle le souhaite, nous pouvons contribuer à l’aider.

Le Président de la République, déterminé dans cette voie, souhaite faciliter l’accès de la jeunesse africaine – en Afrique – à son propre patrimoine et au patrimoine commun de l’humanité.

L’objectif est clair et il a demandé au ministère de la Culture et au ministère de l’Europe et des affaires étrangères de le concrétiser.

Notre pays est le dépositaire d’un patrimoine fait de chefs d’œuvres inestimables. Parmi ce patrimoine, de nombreux chefs d’œuvres ont été créés en Afrique.

Je n’ignore pas l’écheveau complexe de nos histoires croisées avec le continent africain mais je connais aussi la force des liens qui nous unissent et notre volonté d’un destin partagé.

Depuis 60 ans, le ministère de la Culture poursuit l’ambition, grâce aux musées, de faire dialoguer les œuvres et les cultures par-delà les frontières et les époques.

Elle se nourrit des divers témoignages de l’esprit humain, les mélange, les transforme. C’est cet idéal de l’universalité que porte la culture.

Rappelons-nous l’influence décisive que les arts du continent africain ont eu sur les artistes européens. Je ne citerai que Picasso. La culture est une force d’union, de rassemblement et d’ouverture.

Pour toutes ces raisons, la culture est au cœur de la nouvelle relation d’échanges que nous souhaitons bâtir avec le continent africain.

Une relation d’enrichissement mutuel, de partage et de confiance. Une relation volontariste et réaliste. Nos musées sont prêts à s’engager dans cette voie et je sais qu’ils répondront présent à l’appel qui leur est lancé.

En la matière, rien ne serait plus étriqué que l’assignation des musées à rendre compte seulement de l’art créé sur leur sol ou par des artistes nationaux.

Ne reprochons donc pas à nos musées d’être ce qu’ils sont. Ils donnent à voir le monde et la création artistique dans sa diversité. Ils sont les messagers de l’universel.

Ils nous invitent à découvrir ou à porter un autre regard sur les civilisations passées ou présentes. Avec curiosité, générosité et respect.

Je souhaite donc que nos institutions muséales intensifient leurs échanges avec leurs homologues d’Afrique.

Qu’ils partagent leurs chefs-d’œuvre, qu’ils les prêtent, qu’ils les déposent, qu’ils les fassent circuler car aucun artiste n’a jamais voulu que ses créations soient le monopole d’un temps et d’un espace uniques.

Nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle ère. Nous devons repenser notre relation culturelle avec le continent africain.

La repenser avec nos partenaires africains pour créer des nouveaux espaces d’apprentissage et d’exploration.

Le rapport de Bénédicte Savoy et de Felwine Sarr, présenté au Président de la République en novembre dernier, contribue au débat intellectuel d’aujourd’hui. Je souhaite ici les saluer et rappeler l’important travail réalisé.

Ainsi, le Président de la République a décidé de restituer au Bénin 26 œuvres réclamées par les autorités de ce pays, prises de guerre du général Dodds dans le palais de Béhanzin en 1892.

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Nous travaillons depuis plusieurs mois déjà avec les autorités béninoises pour concrétiser cet engagement et garantir le transfert effectif des œuvres.

La France examinera avec la même attention les demandes qui lui seront présentées par d’autres pays africains. Au-delà, la nouvelle politique de coopération que nous devons construire ensemble ne peut se restreindre à la seule question des restitutions.

C’est bien la question globale de la coopération patrimoniale avec l’Afrique que nous souhaitons poser en des termes nouveaux.

Les équipes du ministère de l’Europe et des affaires étrangères ainsi que celles du ministère de la Culture travaillent depuis plusieurs mois à un plan d’actions devant permettre de fonder un nouveau partenariat avec le continent africain.

Un certain nombre de projets ont été retenus, et des actions engagées:

– Je pense à la mobilisation conjointe de l’Agence Française de Développement (AFD) et des fonds d’aide du ministère de l’Europe et des affaires étrangères en matière de musées et de sites patrimoniaux sur le continent africain. Le projet de Lalibela en Ethiopie est à cet égard exemplaire. Je remercie d’ailleurs le Président de l’AFD, Rémy Rioux pour son écoute attentive ;

– Je pense au dialogue européen qui s’est noué au niveau politique et au niveau scientifique sur la question du partenariat Afrique-Europe ;

– Je pense aux travaux et aux propositions communes de l’institut national de l’histoire de l’art (INHA) et du musée du Quai Branly-Jacques Chirac sur les recherches de provenances et l’histoire des collections ;

– Je pense aussi aux actions de sensibilisation en direction des musées de France et aux initiatives qui seront les leurs.

Ces projets nous indiquent le cap que nous devons viser pour de futures initiatives.

Ce cap nous mènera en premier lieu vers le Bénin, et la restitution des 26 œuvres que je viens d’évoquer avec vous.

Cet ensemble remarquable de statues, sceptres et trônes sortira donc des collections nationales dans les meilleurs délais.

J’ai échangé avec mon homologue le Ministre Oswald Homeky. Il sait qu’il peut compter sur la mobilisation du ministère de la Culture pour concrétiser l’annonce du Président de la République.

En avril dernier, une mission conjointe du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, du ministère de la Culture et du musée du Quai Branly Jacques Chirac s’est rendue au Bénin, auprès des autorités, et a permis d’établir des liens entre les professionnels du patrimoine des deux pays.

Partages d’expérience, échanges scientifiques et volonté politique auront à cette occasion permis de poser les jalons de notre partenariat.

Je souhaite ici remercier le gouvernement béninois pour la confiance qu’il a accordée à la France et les discussions constructives en cours pour atteindre nos objectifs.

La restitution des œuvres fera l’objet d’une inscription dans la loi.

Le calendrier reste encore à préciser compte tenu du nombre important de textes en discussion au Parlement.

Le Gouvernement souhaite toutefois que ce projet puisse être examiné dans des délais compatibles avec les légitimes attentes et demandes de nos partenaires béninois.

 

Dans l’intervalle, ces 26 œuvres doivent pouvoir être vues, admirées et étudiées au Bénin.

J’ai donc demandé à mes services ainsi qu’aux équipes du musée du Quai Branly-Jacques Chirac de travailler étroitement avec nos partenaires béninois pour trouver les voies et moyens d’un retour effectif, notamment dans le cadre d’un dépôt.

Ce retour pourrait d’ailleurs être l’occasion d’une exposition dédiée à la diversité, la complexité et la richesse esthétique de ces œuvres.

Voir et donner à comprendre la profondeur historique de ces pièces d’importance majeure.

Au-delà, une politique d’échanges culturels bien plus large doit voir le jour.

C’est tout l’objet de nos discussions avec les autorités béninoises et un programme de travail détaillé est en voie d’achèvement.

La France, par l’intermédiaire de l’agence française de développement (AFD), a exprimé sa disponibilité pour apporter son soutien à la création d’un musée dans les palais royaux d’Abomey.

Ce musée offrira des conditions de valorisation exceptionnelles aux œuvres qui y seront présentées.

Vous le voyez les liens que nous avons noués avec le Bénin constituent une référence qui pourra inspirer d’autres politiques partenariales en Afrique.

A l’heure où le continent africain développe une politique patrimoniale innovante, notre partenariat en matière de formation devra nécessairement s’enrichir.

Je souhaite que cette formation se construise sur des programmes novateurs, audacieux et de long terme.

Il nous semble que jusqu’à présent, les formations étaient souvent trop courtes pour permettre de favoriser des échanges réguliers autour d’un large spectre de compétences allant de la conservation à la médiation.

L’Institut national du patrimoine (INP) et l’Ecole du Louvre vont mettre en œuvre un programme de formation à destination des partenaires africains qui souhaiteront y prendre part.

Dès 2020, des séminaires pourront être organisés sur le continent africain et de nouvelles conditions d’accueil et de formation seront mises en places par ces deux institutions en direction des stagiaires africains.

Le développement des échanges nous permettra, de nous inspirer des connaissances et des expertises africaines pour enrichir notre appréhension du patrimoine à l’échelle mondiale.

Je suis favorable à ce que les élèves conservateurs et restaurateurs de l’Institut national du patrimoine, puissent se rendre plus souvent en Afrique dans le cadre de leur formation.

Au-delà de cette mobilité, les échanges entre professionnels de France et d’Afrique permettront d’améliorer l’étude des œuvres.

Ils contribueront aussi à développer la mise en valeur du patrimoine africain dans les musées de France.

Il convient en effet de développer les travaux scientifiques consacrés aux collections issues du continent africain et conservées dans les musées français.

Nous devons mieux connaître l’ensemble des chef d’œuvres extra-occidentaux, car nous avons l’honneur de conserver.

En particulier, des recherches approfondies seront menées pour tenter de déterminer la provenance des œuvres et permettre la transmission de leur histoire complexe. Le public devra pouvoir l’appréhender au moyen d’une muséographie et d’une médiation adaptées.

J’ajouterai qu’aimer et faire aimer ces œuvres c’est aussi respecter leur place dans les sociétés qui les ont créées.

Le public doit donc avoir accès immédiatement, au cours de sa visite, à des clés de lecture historiques, fonctionnelles ou contextuelles.

L’Institut national de l’histoire de l’art (INHA) et le musée du Quai Branly – Jacques CHIRAC sont déjà mobilisés sur ces enjeux.

Ils travaillent conjointement à la mise en place d’un portail sur l’histoire et les provenances des patrimoines africains qui mettra à disposition du public des bases de données enrichies par les deux institutions.

Demain, l’ensemble des musées de France pourra bénéficier de cet effort.

Une réunion sera organisée dès le mois de septembre pour aborder les problématiques d’inventaires, de recherches historiques, de provenance et constituer un réseau de musées sur ces sujets.

Je sais que bon nombre de nos partenaires européens s’associeront à cette initiative.

 

Si les institutions publiques sont au cœur de nos projets de coopération, je souhaite également m’adresser aujourd’hui à l’ensemble des acteurs du marché de l’art.

Antiquaires, commissaires-priseurs, experts, collectionneurs, tous participent à la connaissance et à la conservation des patrimoines.

Ils ont fait de Paris la capitale mondiale de ce secteur du marché de l’art.

De grandes ventes publiques dédiées ou des manifestations, telles que Parcours des mondes, permettent à un large public d’appréhender les arts extra-occidentaux dans un autre contexte que ceux des musées.

Je sais que les marchands et collectionneurs ont pu nourrir des inquiétudes, voire se sentir mis en cause, par les débats initiés autour des patrimoines africains.

Je souhaite donc les rassurer sur les intentions de l’Etat. Celui-ci n’a pas vocation à prendre des mesures restrictives concernant les patrimoines africains détenus en mains privées, ni d’en limiter la circulation ou le commerce.

Mesdames, Messieurs,

Avant de laisser la parole aux intervenants, j’aimerais citer le Président Jacques Chirac qui, à l’occasion de l’inauguration du musée du quai Branly auquel son nom est désormais associé, exposait la philosophie qu’incarne ce lieu unique :

« Aucun peuple, aucune nation, aucune civilisation n’épuise ni ne résume le génie humain. Chaque culture l’enrichit de sa part de beauté et de vérité, et c’est seulement dans leurs expressions toujours renouvelées que s’entrevoit l’universel qui nous rassemble. »

C’est cette même conviction qui se trouve au fondement de la politique de coopération que nous souhaitons développer ensemble.

Cette journée est une étape marquante car elle s’est construite autour des professionnels. Mais ce n’est qu’une étape, d’autres suivront.

Vous pouvez compter sur mon engagement personnel et celui de mon ministère pour avancer dans cette direction.

Je compte aussi sur votre mobilisation pour nourrir et enrichir ce projet.

Je vous souhaite à toutes et à tous une très bonne journée et des échanges fructueux.

 

Ecouter l’émission : art africain, la restitution en question

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