La fin de l’exception sénégalaise


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Par Mamadou Diallo

Pendant longtemps, le Sénégal fort de ses traditions démocratiques et riche de ses réflexions doctrinales tissées au cours de son histoire et perpétuées après son indépendance, a fait école et exception en Afrique.
On parlait partout d’un modèle sénégalais, fondé sur le dialogue, le consensus et la tolérance, et dont la réussite résidait beaucoup dans le comportement vertueux et ingénieux de son peuple et de ses dirigeants.
Ce pays que nous chérissons tant et qui se distinguait alors dans l’Afrique par un caractère curieusement personnel est devenu malheureusement plein de contrastes: son système institutionnel s’est affaissé, l’éthique de conviction et de responsabilité a disparu, l’esprit sengho rien d’organisation et de méthode s’est éloigné.
Bref, l’excellence, cette notion qui a révélé le Sénégal au monde entier notamment à travers le triptyque : éducation-culture-diplomatie, a cédé la place à une sédimentation de l’inacceptable dans notre République et sa démocratie.

Nos amis africains et européens nous le disent. Sans doute, les traits les plus gros et les plus simples échappent aux gens du pays.
C’est bien le symbole du malaise d’une République tombée sous les sarcasmes des prosélytes à la démocratie, au pluralisme politique et au respect des libertés individuelles et collectives. Le Mali et les Iles du Cap Vert, pays limitrophes, sont en mesure aujourd’hui de nous montrer la voie de la bonne gouvernance.
« Ne pas rire, ne pas détester, mais comprendre » comme disait Spinoza. Comprendre comment nous en sommes arrivés-là ? A ce Sénégal qui flotte sans repère, sans cap, devenu un Etat sans personnalité, sans le moindre éclat et où les Sénégalais vivent au jour le jour dans une vie terriblement quotidienne, dans une sensation d’incertitude marquée, étant de plus en plus anxieux de connaître où ils vont, ne se lassant pas de s’interroger sur les lendemains possibles.

En ces temps troublés où les horizons se dérobent, ce moment d’équilibre que constitue ce que nous appelons la sagesse, devant être signe et sens, voilà qu’un Chef d’Etat tient des propos condamnables sur une communauté religieuse. Tout ce qui heurte profondément le Sénégal dans son histoire, la société sénégalaise dans sa volonté du vivre-ensemble et la Ré publique dans sa cohésion nationale.
Affirmer que la religion est un sujet délicat n’est pas une nouveauté. Il s’agit juste d’une confirmation. Car nous savons qu’elle demeure le terreau fécond de la division, l’accélérateur de la violence, d’où la nécessité de faire attention à ne pas froisser les personnes dans leur intimité confessionnelle ou confrérique, dans leur croyance.
Au-delà de nos appartenances politiques ou religieuses, le Sénégal est une idée qui s’incarne dans la volonté de vivre ensemble avec un projet et une histoire. Cela requiert un fonds commun : l’attachement à la communauté nationale, à la dignité de la personne, à la survie de la société et des libertés, quels que soient les changements de majorité politique.
Si notre pays a su jusqu’à maintenant rester un havre de paix, il le doit beaucoup à l’intelligence et à la vigilance de tout un peuple. Ainsi, le moindre renoncement à ces principes pour rait nous faire reculer à l’échelle du continent.
Lorsqu’on a des valeurs communes, on doit construire et partager ensemble.

Le Sénégal est devenu surréaliste

Fort heureusement, les Sénégalais n’ont pas perdu leur capacité d’indignation, à savoir leur part d’humanité devant de telles déclarations. Des paroles profondes ont été prononcées pour dire : « trop, c’est trop… ».
Sommes-nous pour autant réduits à rappeler au Lauréat du Prix Houphouet BOIGNY, à celui qui est censé garantir notre unité nationale et la cohésion sociale, porter la parole de la République dans d’illustres enceintes internationales qu’il se doit au moins d’avoir une attitude irréprochable dans ses interventions.
A vrai dire, le style du Président Wade est incompatible avec les institutions. On devinait déjà que l’esprit fonctionnait en arborescence : une idée en amène une autre, les récits s’emboîtent les uns dans les autres. Personne ne sait plus alors dans quel espace inscrire la politique et dans quel temps l’exercer.
Au surplus, il s’expose directement du fait de sa méthode de communication davantage horizontale que verticale. Il a besoin du conseiller qui se refuse à le flatter au péril parfois de sa vie, de l’ami qui lui dit ce qu’il n’aime pas entendre ou du citoyen qui, comme sous l’agora, n’a pas peur de dire ce qu’il pense.
Rien ne l’empêchera, s’il le désire, de faire sienne aussi, cette sagesse bien de chez nous : « Le silence mûrit l’homme et la parole le révèle. »

La vérité est trop sévère: le Sénégal est devenu surréaliste, il ressemble trop souvent à un théâtre de boulevard, où la politique ne serait plus qu’une comédie. Voilà que des années
le pouvoir y alterne tous les rôles, même le plus inimaginable: l’affaire SEGURA.
Le public d’abord amusé attend désormais qu’il n’en interprète plus qu’un : celui de gouverner avec sérieux et respect.
Si le Sénégal est tristement arrivé à ce niveau, sans doute que nous avons été trop frileux à l’égard d’un régime trop informel qui a pris tant de liberté avec la Constitution et les lois, l’i- dée de méritocratie et l’esprit de tolérance.
Quelle force peut donc avoir la Nation quand ceux qui la commandent, mettent leur vanité et leur agressivité à se séparer d’elle, bien décidés d’avance à ne pas se soumettre à la volonté gé nérale, piétinant tout pour pouvoir imposer une culture de peur et de mépris.

Le vrai problème est le rêve du guide qui le guide lui-même. Cette démesure que de GAULLE appelait « la passion d’étendre coûte que coûte, sa puissance personnelle au mépris des limites tracées par l’expérience humaine, le bon sens et la loi.»
Nous avons en effet le sentiment, de jour en jour, que le pouvoir ne maîtrise plus ses irritations dès lors que le doigt est mis sur la question de « la dévolution successorale» ou le monument de la Renaissance africaine.

Il faut dire que dans un monde concurrentiel, on ne peut pas être compétent par onction. Seul vaille le suffrage universel. Les généraux de Bonaparte au pont d’Arcole ou sous les pyrami- des n’étaient guère plus âgés que lui. Mais les fils de personne avaient fait la guerre, la vraie, celle où on se risque sa peau.
D’autre part, le Président porte seul comme d’habitude ses projets. Le monument de la Renaissance africaine n’échappe pas à cette philosophie.
Aujourd’hui, un homme assume de plus en plus dans ce pays toutes les fonctions de l’esprit, se chargeant de notre bonheur, de l’ordre, de la puissance, de notre avenir
Il est devenu le seul possesseur de la plénitude de l’action, absorbant toutes les valeurs dans la sienne. Le peuple sénégalais n’étant là que pour recevoir l’action sans en être en tous points les collaborateurs.

Il ne s’agit ni plus ni moins que de ravaler nos concitoyens à la condition d’instruments pour mieux disposer d’eux, quelle que soit leur valeur, leur compétence, allant jusqu’à ignorer que toute politique, même la plus grossière implique une idée de l’homme et une idée de la société

Les passions coûteuses, on leur sacrifie tant de choses qu’il faut parfois des années pour payer le prix de ce qui n’était qu’une irrésistible fantaisie.

Il faut savoir partir quand le moment est venu

L’histoire est un cycle et que nous sommes parvenus à la fin de ce cycle ouvert par l’alternance en 2000. Le moment n’est-il pas venu d’avoir l’élégance de partir juste avant d’être tard ?
Il est désormais devenu urgent de tourner la page de ceux qui abîment l’intérêt et le prestige du Sénégal, pour redonner au pays, son rayonnement, lui permettre de redevenir ce qu’il ne de vait jamais cesser d’être en Afrique : un modèle et une exception.
Nous sommes en tout cas nombreux à demeurer convaincus que le Sénégal est résilient. Notre pays est capable de se redresser et se reconstruire.

Pour cela, il lui suffirait avant tout d’avoir un projet global, cohérent et sérieux, porté par un patriote rassembleur et rassurant, qui a de la compétence, de l’expérience et de l’endurance, qui a une densité et une vision.
Les conclusions des Assisses Nationales constituent certainement une bonne dynamique pour la transformation et la modernisation du Sénégal.
Il n’en demeure pas moins que chaque compatriote, à son heure, doit faire ce qu’il peut, ajou- ter sa pierre à l’édifice et avoir les valeurs que d’autres, après lui serviront pour que notre pays ne décline.

Il est encore temps de revenir à une perception d’une République sereine et consensuelle, d’une République fraternelle qui n’a pas peur d’elle-même, ni de son avenir, ni de ses talents, ni de son envergure.

Une République démocratique, vertueuse, humaniste, plus grande, plus forte, plus sûre d’elle-même puisqu’elle aurait plus rassemblé que divisé tous ses enfants.

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