L’Afrique est-elle condamnée à rester instable ?


Lecture 5 min.
arton60360

L’Afrique de manière cyclique est victime de nombreux conflits. On ne peut pourtant pas dire que les Africains sont plus violents que les populations des autres continents ! Pourquoi donc cette fatalité ? Il faut pour la comprendre analyser les fondements des multiples violences répétées. Il est nécessaire d’élargir la réflexion et surtout de sortir de l’euphorie générale selon laquelle l’Afrique serait le continent de l’avenir. Elle pourra l’être mais surement pas sans traiter ses problèmes de fond.

L’intensité des conflits armés en Afrique augmente et baisse cycliquement. Selon les données issues du Uppsala Conflict Data Program et de la Base de données mondiale sur le terrorisme, les conflits armés ont atteint leur pic en 1990/1991 à la fin de la guerre froide, ils ont baissé jusqu’en 2005/2006, sont restés relativement stables jusqu’en 2010/2011, puis sont repartis à la hausse jusqu’en 2015 même si leur pic cette fois-ci n’a pas atteint celui enregistré en 1990/91. Au moins sept facteurs sont à l’origine de la violence sur le continent. Les comprendre peut aider à mieux gérer la situation.

La pauvreté

Les conflits armés internes sont beaucoup plus fréquents dans les pays pauvres que dans les pays riches. Ce n’est pas parce que les pauvres sont violents, mais parce que les États pauvres n’ont pas la capacité d’assurer la loi et l’ordre. L’impact de la pauvreté est exacerbé par les inégalités, comme en Afrique du Sud.

Selon les prévisions actualisées à l’aide du International Futures Forcasting System, environ 37% des Africains vivent dans l’extrême pauvreté (environ 460 millions de personnes). En 2030, 32% des Africains (soit 548 millions) risquent encore de vivre dans une pauvreté extrême. Ainsi, alors que la part diminue (environ 5% de moins), les chiffres absolus augmenteront vraisemblablement d’environ 90 millions du fait de l’augmentation de la population. Il est donc improbable que l’Afrique atteigne le premier des objectifs de développement durable visant à mettre fin à la pauvreté absolue, si l’on garde le sentier de croissance actuel d’environ 4% de croissance du PIB par an.

La démocratie électoraliste

La démocratisation peut déclencher des violences à court et moyen terme, en particulier autour des élections. Les événements récents au Kenya en sont un exemple. Là où il y a un déficit démocratique important, comme en Afrique du Nord avant le printemps arabe, les tensions s’accumulent et peuvent accoucher de violences. Et un déficit démocratique – où des niveaux de démocratie inférieurs à ce que l’on peut attendre par rapport à d’autres pays ayant des niveaux de revenu et d’éducation similaires – conduit souvent à l’instabilité. Celle-ci est également alimentée par la manipulation des élections et des constitutions par les chefs d’État pour prolonger leur séjour au pouvoir. Les exemples incluent le Burundi, la République Démocratique du Congo (RDC) et l’Ouganda.

Le type de régime

La nature du régime gouvernemental est un autre facteur structurel. La plupart des pays stables sont des démocraties pures ou des autocraties pures. Mais, la plupart des pays africains ont des régimes mixtes alliant démocratie et autocratie. Ils affichent une façade démocratique mais n’en ont nullement la substance. Ces régimes mixtes sont intrinsèquement instables.

Structure de la population

La population africaine est jeune, avec un âge médian de 19 ans. En comparaison, l’âge médian est de 41 ans en France (un pays relativement jeune selon les normes européennes). Ainsi, 22% des adultes français sont âgés de 15 à 29 ans contre 47% des Africains. Les jeunes pays ont tendance à être plus turbulents parce que les jeunes hommes sont en grande partie impliqués dans la violence et de la criminalité. Si les jeunes manquent d’emplois et que les taux d’urbanisation sont élevés, l’exclusion sociale et l’instabilité s’ensuivent.

Les cycles de violence

L’histoire de la violence est généralement le meilleur prédicteur de la violence future : la violence génère de la violence. Des pays comme le Mali, la République centrafricaine et la RDC sont pris au piège dans des cycles de violence difficile à rompre. Cela exige un effort considérable et très coûteux, ce qui nécessite souvent une mission de paix multidimensionnelle de grande envergure que seule l’ONU peut fournir. Mais, redimensionner le maintien de la paix plutôt que de l’intensifier est à l’ordre du jour à l’ONU.

Un mauvais voisinage

Selon l’endroit où se trouve un pays, le risque de violence peut varier parce que les frontières et les zones rurales sont mal contrôlées. La plupart des conflits en Afrique sont soutenus par les pays voisins. La violence déborde les frontières nationales et affecte d’autres pays, tandis que les institutions chargées de la loi et de l’ordre, mal formées et mal équipées, ne peuvent généralement pas bien fonctionner au niveau régional.

Faible croissance et inégalités croissantes

L’Afrique est dominée par les inégalités. La croissance ne se traduit pas par la réduction de la pauvreté. En outre, le monde subit actuellement une croissance faible après la crise financière mondiale de 2007/2008, avec des taux de croissance moyens nettement inférieurs à ceux d’avant. L’Afrique doit croître à des taux moyens de 7% ou plus par an si elle veut réduire la pauvreté et créer des emplois. Les prévisions à long terme affichent pourtant des taux nettement inférieurs.

Opportunité au milieu des défis

Ces sept facteurs liés indiquent que l’idée selon laquelle l’Afrique peut en quelque sorte «faire taire les armes d’ici 2020», comme le préconise l’Union africaine dans le cadre de son Agenda 2063, est irréaliste. La violence restera malheureusement une caractéristique d’un certain nombre de pays africains pendant de nombreuses années et le continent devrait réagir en conséquence.

À long terme, seule une croissance économique rapide et inclusive associée à une bonne gouvernance pourrait éliminer les facteurs structurels de la violence. Il est également clair que les pays à revenu intermédiaire font des progrès pour attirer les investissements directs étrangers, mais que les pays pauvres resteront tributaires de l’aide. D’où la nécessité de davantage de coopération internationale et régionale dans le cadre de ce processus, y compris un appui substantiel et accru au maintien de la paix.

Jakkie Cilliers, président du conseil d’administration et directeur de « African Futures and Innovation » à l’Institute for Security Studies. Professeur au Centre des droits de l’homme de l’Université de Pretoria.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News