« Identité nationale » : le racisme s’invite dans le débat officiel


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Le forum officiel du ministère français de l’Immigration, lancé dans le cadre du débat sur l’« identité nationale », se devait d’être fortement modéré, au risque de créer quelques rancœurs. Il déborde pourtant de propos xénophobes, voire racistes. Fâcheux, pour un gouvernement qui entend revoir sa communication sécuritaire, après les condamnations internationales de la votation suisse contre la construction de minarets.

« Quelle idée d’organiser un grand débat national sur un simple forum Internet ! », avait déclaré mi-novembre le démographe Hervé Le Bras à Afrik.com. Lancé le 2 novembre, le forum officiel du ministère de l’Immigration est censé participer à la concrétisation d’une promesse de campagne du président français Nicolas Sarkozy. Pour juger sur pièce, Afrik.com s’est penché sur le contenu du site. A l’heure d’un revirement gouvernemental dans sa communication sécuritaire, la teneur xénophobe ou raciste de nombreux propos fait quelque peu désordre.

Participer avec modération

La charte de modération du forum regorge de précautions : sont en théorie interdits les propos racistes, xénophobes, révisionnistes, homophobes ou sexistes ; les insultes ou obscénités ; les attaques ad hominem ; sans oublier les affirmations non fondées ou hors-sujet. Le message est clair : tout écart sera sanctionné. Les plaintes n’ont pas tardé de la part, de citoyens opposés au débat, en colère de voir leur message « censuré ».

Rue89 a par exemple fait état, dès le lendemain du lancement du site, de textes refusés de manière inexplicable. « La charte n’avantage pas les messages qui critiquent la tenue du débat », décrypte Linda [[Le prénom a été modifié]], modératrice sur le forum, qui a accepté de se confier à Afrik.com. « Ces points de vue sont hors-sujet au vu des règles, le ministère n’a donc même pas besoin de donner de consigne explicite », ajoute-t-elle.

Un débat qui favorise les propos racistes

Malgré la charte, on ne peut pas dire que les messages xénophobes manquent à l’appel. Par une stratégie désormais classique de l’extrême droite, le site est inondé de contributions. [[Lexpress.fr a noté jeudi que cette stratégie est également appliquée aux sondages des sites d’information demandant l’avis des Français sur l’interdiction suisse de la construction des minarets, afin d’en altérer les résultats. La valeur scientifique des sondages en ligne est de manière générale proche de zéro.]]. « Les termes du débat ou le fait qu’il est organisé par le ministère de l’Immigration favorisent des réponses xénophobes, et il n’est pas toujours possible de les modérer, puisqu’on doit s’en tenir à la charte », regrette Linda.

Le propos général n’est pas d’un très haut niveau intellectuel, et les messages xénophobes répètent en boucle les mêmes arguments. La langue française est par exemple très souvent sacralisée, dans des diatribes parsemées de fautes. Le propos est clairement essentialiste, centré sur « la religion judéo[-]chrétienne », comme l’exprime « Guil ».
« Senior 75 ans » se veut plus explicite : être français, « c’est d’abord le respect de l’histoire de France, de nos Rois, [de] ne pas chasser Charles Martel de nos livres d’histoire, de ne pas avoir honte des Croisades, de ne pas renier l’ère de la colonisation », écrit-il. « RIN JARD » va plus loin encore, en jugeant que ne peut être français qu’un individu « né sur le sol [f]rançais, de [p]arents [f]rançais depuis 5 générations ».

Au-delà de l’éloge d’une certaine idée de la patrie, viennent des allusions plus explicitement racistes. « Yvon111 » vante l’habitude française de « boire du vin et manger du porc dans la pure tradition de nos pères fondateurs de la [F]rance », pour mieux exclure de la communauté nationale les citoyens de confession musulmane ou juive. Une référence qui a pris un poids symbolique dans les milieux d’extrême droite, depuis l’interdiction des « soupes identitaires »[[Ces soupes au cochons, créées par le Bloc identitaire en 2004, vise à discriminer musulmans et Juifs en raison de l’interdit religieux. Un conflit juridique a suivi l’interdiction des distributions en 2006. La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a finalement rejeté en juin 2009 un recours d’une association d’extrême droite.]].

« VIRUS002 » défend, quant à lui, ouvertement la thèse d’une invasion musulmane : « Ce que les F]rançais refusent c’est leur propre [a]ssimilation par les étrangers, en particulier le monde musulman, qui ne fait pas mystère de son désir expensioniste (sic) en [E]urope ». La votation suisse pour l’interdiction des minarets déteint enfin sur le débat. « [S]ortons du politiquement correct, osons… [C]omme les SUISSES ! », s’écrie « Guillaume Tell ». Le résultat surprise du scrutin n’a pourtant pas été sans provoquer [un certain malaise dans l’extrême droite suisse.

Le gros rouge fait tache

Le vote suisse a par ailleurs bouleversé la communication gouvernementale française. Le parti du président n’apparaît plus si sûr de sa stratégie de rallier, par un discours sécuritaire et clivant, les voix du Front national pour les élections régionales de 2010. Nicolas Sarkozy appelait jusque-là ses ministres à « y aller à fond la caisse » sur l’immigration, et réclamait « du gros rouge qui tache » à propos de l’identité nationale (référence méprisante aux milieux populaires), a rappelé jeudi Rue89. Les coups de force médiatiques n’ont d’ailleurs pas manqué ces derniers mois, à l’image de la destruction en septembre du camp de clandestins de Calais.

Le ministre Eric Besson a déjà, par le passé, craint la « fois de trop », en refusant par exemple de sacrifier sa réputation dans le dossier des tests ADN. Mais le changement d’attitude est réel. Pour justifier le lancement de son débat sur l’« identité nationale », le ministre de l’Immigration a défendu avec vigueur l’idée de légiférer sur le port de la burqa (2 000 cas estimés selon le chiffre qui a « fuité » dans la presse en septembre). Mais sur les minarets, autre sujet qui touche à la peur de l’islam, la réaction d’Eric Besson a été tout autre. Dans la foulée des critiques de la communauté internationale, le ministre s’est inquiété lundi, selon Le Monde, des risques de « stigmatiser une religion, en l’occurrence l’islam». Ce « faux débat » ne relève que d’enjeux d’« urbanisme », a-t-il jugé.

La réorientation précipitée du discours politique de l’UMP est symbolisée par l’annulation de la venue du Président Sarkozy, ce vendredi, à un débat sur la question de l’« identité nationale », sis au siège de l’Institut Montaigne (think tank néolibéral). Officiellement, il s’agit là d’un simple problème d’agenda. Le conseiller spécial du président, Henri Guaino, a également affiché mercredi sa prudence sur l’utilité du débat sur l’« identité nationale », à l’antenne de France Inter. Le contenu du forum Internet, suffisamment explicite, illustre bien l’impasse dans laquelle se trouve les instigateurs du débat sur l’« identité nationale ».

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