Ibrahim Sorel Keita : « Espoir et désespoir de la diplomatie internationale »


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photo 12 avril 2019 @Mahmud TURKIA
photo 12 avril 2019 @Mahmud TURKIA

AFRIK.COM est heureux d’ouvrir ses colonnes à une Tribune d’Ibrahim Sorel Keita, vice-président de SOS racisme, président de BDM TV, qui évoque la situation internationale et les impasses actuelles de la diplomatie et tout particulièrement en Libye…

 « Tant que la situation en Libye n’aura pas été réglée, l’Afrique ne connaîtra pas la paix »

C’est le chef de la diplomatie congolaise, Jean-Claude Gakosso, dont le pays préside le Comité de Haut niveau sur la crise libyenne, qui a récemment évoqué, à Dakar, la complexité de la problématique de la paix et de la sécurité en Afrique…

« La complexité de la situation est due notamment aux ingérences de toutes parts »,  a affirmé, solennellement, le ministre congolais des Affaires étrangères.

Jean-Claude Gakosso a joint sa voix à celles d’autres personnalités africaines de premier plan qui se sont exprimées devant la tribune du Forum de Dakar sur la paix et la sécurité, le 18 novembre dernier. Ils ont unanimement insisté sur la nécessité  de lutter contre les ingérences étrangères pour régler le conflit libyen et par-delà tous les conflits dans la zone sahélienne.

Dans l’état du monde et de sa géopolitique, la Libye est l’exemple même  qu’il n’existe plus de « temps de la guerre et plus de temps de la paix », les deux temps coexistent concomitamment.

En même temps que les parties internes au conflit libyen négocient, que les institutions internationales jouent leur rôle de médiation et de facilitateur, comme l’UA (Unité Africaine) ou bien le Comité de Haut niveau sur la crise libyenne, c’est une guerre qui se joue et qui ne dit pas son nom. Elle implique le général Haftar, qui contrôle la majeure partie du territoire, alors que c’est son rival, Fayez El-Sarraj, qui est reconnu par la communauté internationale.

Plusieurs Etats, dont l’Egypte voisine, mais également les Emirats Arabes Unis, interviennent également dans les affaires intérieures de la Libye, au mépris du droit international…  Celui-ci est complètement bafoué, comme le principe de la Charte des Nations Unies qui reconnait la souveraineté des peuples, ou bien encore le principe de non-ingérence.

Les agresseurs ne sont pas seulement des Etats qui s’ingèrent dans les affaires intérieures du pays, mais également des organisations terroristes, des djihadistes et des milices privées, financés depuis l’étranger.

La Libye est devenue le centre de gravité du terrorisme de la sous-région

Selon un rapport du Conseil de sécurité de l’ONU, d’énormes stocks d’armes et de munitions provenant des stocks libyens sont entrés clandestinement et ont inondé les pays du Sahel.

Dans une région qui est, depuis longtemps, le théâtre de trafics en tous genres, on assiste à une prolifération de groupes terroristes, selon ce rapport.

Ce rapport confirme que Boko Haram a noué des liens avec Aqmi, la franchise d’Al-Qaida au Maghreb et en Afrique, etc.

Dans cette perspective, la Libye doit voir sa situation se stabiliser, car aujourd’hui, les tensions qui y subsistent constituent un ferment du développement du terrorisme dans tout le continent. Par conséquent, chacun doit pouvoir soutenir l’action onusienne notamment autour du gouvernement d’union nationale qui siège légitimement à Tripoli. Toute interférence dans la dynamique portée par Ghassan Salamé, émissaire spécial de l’ONU, est contreproductive, notamment par l’appui qui est apporté par certains pays comme les Emirats Arabes Unis au général Haftar, qui a lancé, voilà quelques mois, un assaut heureusement avorté sur la capitale libyenne. Le soutien logistique et les apports en armement de certains pays arabes, parmi lesquels l’Egypte et les Emirats Arabes Unis, doivent cesser, car ils constituent une contravention manifeste au droit international. Cela peut même constituer un crime de guerre lorsque des civils en sont directement ou indirectement victimes, comme ce fût visiblement, à plusieurs reprises, le cas, ces derniers mois.

La paix en Afrique est en danger car le droit international est en danger

Ces intrusions dans le conflit libyen sont connues de tous et notamment par la communauté internationale au mépris des injonctions de l’ONU et de l’Union Africaine qui viennent au chevet d’une résolution pacifique de la situation en Libye.

Les ingérences égyptiennes et émiraties hypothèquent gravement le retour à la paix et augurent d’années à venir difficiles aussi bien pour le peuple libyen, les populations de la zone sahélienne et pour la stabilité de l’ordre international. Leurs actions clandestines de soutiens aux milices ne sont pas conformes au droit international.

Ces agressions multiples et répétées par des belligérants qui ne disent pas leur nom, violent et bafouent les principes des Nations Unies. Elles doivent être refusées avec véhémence par la communauté internationale, car le conflit libyen a bel et bien dégénéré en conflit régional, en se rependant sur l’immense territoire du Sahel.

Ces absences complètes de vision, de prévision, d’appréciation, de stratégie des Européens, conduit, d’une façon assez naturelle, à ce que la situation se poursuive encore pendant des décennies, au prix de vies humaines sacrifiées à l’impuissance du droit international.

« Tant que la situation en Libye n’aura pas été réglée, l’Afrique ne connaîtra pas la paix »… On peut ajouter que tant que l’Afrique ne connaitra pas la paix, l’Europe non plus ne connaitra pas la paix.

Ibrahim Sorel Keita

Vice-président de SOS racisme

Président de BDM TV

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