Guillaume Soro, un lionceau sans repères


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Tel un cheval de courses, Guillaume Soro, 38 ans, premier ministre de l’un des deux présidents proclamés de la Côte-d’Ivoire, change constamment de ligne dans le dernier tournant. Et ce, dans des allures douteuses. A Vincennes –le temple du trot -, il subirait tout le temps les foudres de la disqualification. Miser sur Guillaume Soro comme base au Couplé gagnant, c’est dilapider son énergie et son argent pour rien. Immaturité, amateurisme ou manque de stratégie ?

Dans une tribune, Nous sommes tous des Ivoiriens, le Gabonais Bruno Ben Moubamba compare Guillaume Soro à Joseph Mobutu en 1961, « attendant l’heure propice… » pour régner. Erreur de jugement. En 1961, le futur léopard ne se mêla pas de l’affrontement Kasa-Vubu-Lumumba. Bien au contraire, il se tint à l’écart. Guillaume Soro, lui, a pris parti pour Alassane Ouattara, aussitôt les résultats de la présidentielle proclamés. En gardant sa neutralité et en appelant à une solution pacifique et rapide – souhait de la France-, Guillaume Soro serait apparu comme un recours, voire un secours. Il a préféré emprunter le chemin balisé de la facilité. Ou de demeurer au pouvoir, à tout prix. Aussi, et c’est là le comble de son amateurisme, a-t-il remis sa démission non pas à celui qui l’avait nommé premier ministre, mais à celui qui n’avait jamais été, jusqu’au 4 décembre, président de la Côte-d’Ivoire. A vrai dire, cet acte dénote un changement de ligne de plus du lionceau affamé et sans réelle stratégie de chasse, qu’est Guillaume Soro. Il oublie que quand deux lions s’affrontent pour un territoire, les lionceaux se réfugient dans un terrier ou se tiennent à l’écart. Si leur géniteur l’emporte, les lionceaux respirent ; si c’est l’adversaire, ils disparaissent. Et pour cause : le lion n’éprouve aucune mansuétude pour la progéniture de son prédécesseur. Politiquement, Guillaume Soro est né sous Laurent Gbagbo. Rien donc ne garantit qu’Alassane Ouattara le gardera longtemps à ses côtés. Alassane Ouattara est criblé de dettes morales vis-à-vis de ses soutiens nationaux et internationaux, il est à craindre qu’ils ne lui imposent, un jour, des valets locaux, plus naïfs que Guillaume Soro. Alassane Outtara courtisera d’autant moins Guillaume Soro que ce dernier constitue une menace potentielle – le MPCI (Mouvement patriotique de la Côte-d’Ivoire) dont Guillaume Soro est le secrétaire général est majoritairement composé d’ex-rebelles.

Manque de constance

En s’affichant d’emblée avec Alassane Ouattara, Guillaume Soro n’a sans doute pas voulu perdre le Nord et les ex-rebelles. Mais la Côte-d’Ivoire ne se limite pas au Nord, il y a aussi le Sud. L’Ouest et l’Est. Le chaos actuel résulte en partie de son incapacité à rassembler les Ivoiriens, trois ans durant lesquels il a été Premier ministre de Laurent Gbagbo. Il aurait pu se forger une carrure d’homme d’Etat. Rien de tel. Il préfère les gesticulations à l’accomplissement politique. Déjà, en 1999, il a approuvé et soutenu le coup d’Etat de Robert Guei. Puis il s’est opposé au Général pour rallier Alassane Outtara, exclu de la présidentielle 2000.

Profitant du tintamarre médiatique occidental, à sens unique et à géométrie variable, dans le seul but de sauvegarder les intérêts stratégiques des grandes puissances – la Côte-d’Ivoire regorge de réserves de pétrole et de gaz naturel -, Guillaume Soro monte plus au front qu’Alassane Ouattara. Il éclipse ainsi l’échec patent de sa tentative de prise de la RTI (Radio Télé ivoirienne) du 16 décembre dernier.

« La solution, c’est la force », martèle-t-il désormais. A-t-il mesuré les conséquences d’un éventuel recours à la force ?

La fin ne justifie pas tous les moyens

En fait, les seuls torts de Laurent Gbagbo, c’est de n’être pas assez « malléable » aux yeux de l’Occident, et d’avoir accepté le débat démocratique. S’il avait imité Blaise Compaoré, Paul Biya, Denis Sassou Nguesso ou Paul Kagamé, des présidents qui se font réélire dès le premier tour avec des scores à la soviétique, le monde entier ne l’aurait pas blâmé. La CEDEAO -manipulée par Barack Obama (selon le New York Times, le président américain aurait téléphoné à son homologue nigérian pour lui promettre une assistance logistique -, qui envisage de recourir à la force pour déloger Laurent Gbagbo, n’est composée que de présidents contestés. Blaise Compaoré, par exemple, a verrouillé le Burkina Faso ; il ne tolère pas la contradiction politique. Et, aujourd’hui, il est le recteur de l’université de la morale.

Guillaume Soro, dont le mouvement contrôlait jusqu’en 2007 la moitié du territoire ivoirien, sait que la démocratie en Côte-d’Ivoire n’est pas un acquis, mais une valeur à conquérir. L’élection présidentielle ne s’est pas passée dans un climat apaisé. La violence, ou plutôt la guerre civile, qu’entraînera forcément l’usage de la force armée, sonnera pour toujours le glas de cette démocratie embryonnaire. Ce sera du reste une tentative affreuse pour nier les Ivoiriens. Non, la fin ne peut justifier n’importe quel moyen. Et que s’il existe un « combat juste », il n’autorise pas tout. Dans cette perspective, les chefs traditionnels ivoiriens ont eu la grandiose idée de demander à Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo de « prendre, chacun, un verre d`eau glacée et d`apaiser son cœur ». Car, ont-ils dit, « Dieu ne descendra pas sur terre pour leur parler ».

Les « îles sonnantes » pensent qu’une arme servant à défendre la démocratie en Côte-d’Ivoire ne peut être qu’une violence légitime. Soit ! Mais « aucun d’entre nous ne détient le monopole de la pureté d’intention », dixit Saint-Exupéry dans Lettre à un otage. Et d’ajouter : « Je respecte celui qui parcourt une autre route, s’il peine vers la même étoile… » Une mise au point qui résonne comme un garde-fou contre l’utilisation du « combat juste » en faveur de toutes les aventures totalitaires.

La violence en Côte d’Ivoire sera un échec total ; « l’on ne peut l’admettre, même contre la violence ». Ou alors, il faudra employer aussi la force à l’encontre des présidents usurpateurs… Et ils sont nombreux en Afrique. Mais on serait mal avisé d’attendre quelque chose de ce genre, de Guillaume Soro et de ses amis de la CEDEAO. En quelques jours, ils ont fait de la violence un moyen rationnel de régler les désaccords ivoiriens que reculer, serait à leurs yeux une défaite inacceptable. Est-on sûr, qu’une fois installé, Alassane Ouattara et le facétieux Guillaume Soro ne conserveront-ils pas le pouvoir par des moyens antidémocratiques?

En un mois, quelque 14 000 Ivoiriens ont déjà fui vers le Liberia voisin. Certains ont été empêchés par des éléments des Forces nouvelles (ex-rébellion alliée à Ouattara) de traverser la frontière, ont indiqué samedi les Nations unies. Combien faudra-t-il de réfugiés ou de morts pour arrêter l’escalade de la violence? Pour les fêtes de fin d’année, Guillaume Soro, le premier, devrait s’offrir les écrits de Jean Paul Sartre…

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