Gbagbo/Banny : duo ou duel ?


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Le nouveau Premier ministre ivoirien, Charles Konan-Banny, a officiellement pris fonction mercredi, succédant à Seydou Elimane Diarra qui occupait ce poste depuis 2003 suite aux accords de Linas-Marcoussis. Lles différents titres de la
presse quotidienne abidjanaise affichent des divergences marquées sur les pouvoirs qui vont être dévolus au chef du gouvernement.

M. Konan-Banny, nommé dimanche dernier, a été confirmé dans ses fonctions lundi par un décret du président Laurent Gbagbo qui l’avait reçu le soir même, aussitôt après son retour de Dakar où il occupait le poste de gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

S’exprimant au cours de la cérémonie de passation de service avec son prédécesseur, M. Konan-Banny a appelé à l’unité de ses compatriotes pour sortir leur pays de la crise politico-militaire qui le secoue depuis septembre 2002.

« La tâche est rude et difficile. A certains égards, c’est un
sacerdoce. Cette lourde responsabilité va requérir beaucoup de vertus et je ne suis pas persuadé qu’un seul homme, fut-il l’oiseau rare, puisse avoir les qualités et les vertus que vont requérir cette tâche », a-t-il déclaré.

« C’est ma conviction car ces qualités sont disséminées dans la Côte d’Ivoire et chez tous les Ivoiriens. Donc c’est à tous les Ivoiriens que revient cette responsabilité de ramener la paix dans notre pays », a ajouté M. Konan-Banny qui veut être le « catalyseur du retour de la paix ».

La presse ivoirienne s’intérroge

« Le vrai président de la République ! », titre « Le patriote »,
quotidien proche du Rassemblement des républicains (RDR,
opposition libérale), qui affirme, sans la moindre hésitation, que le nouveau locataire de la primature est bien le chef de l’Exécutif.

« C’est un président ! M. Gbagbo a beau faire croire à ses
partisans qu’il demeure encore le président de la république, les faits pourtant sont autres. Il ne l’est plus et c’est désormais le nouveau Premier ministre qui a les prérogatives du président de la République », avance notamment le journal, qui invite, par conséquent, M. Banny à prendre conscience du fait qu’il est désormais le « patron en Côte d’Ivoire ».

« 24 heures », un quotidien indépendant de la capitale économique, ne dit pas autre chose qui estime également que, en vertu de la résolution 1633 du Conseil de sécurité de l’ONU, le « détenteur exclusif du pouvoir est désormais le Premier ministre ».

Pour le journal, il s’agit-là du transfert à M. Banny d’une
prérogative que l’article 41 de la Constitution, aujourd’hui
suspendue, selon lui, par cette même résolution, confère au
président de la République.

« S’il fallait encore un autre acte pour démontrer que la Côte d’Ivoire a provisoirement perdu sa souveraineté, il faudrait le trouver dans la nomination dimanche, du nouveau Premier ministre. En cinq articles, les médiateurs de l’Union africaine ont montré, de façon éloquente, que la Constitution ne vaut plus que pour la forme », conclut-il.

« La signature de Gbagbo n’a plus de valeur ! », proclame, pour sa part « Le front », quotidien proche des Forces nouvelles, l’ex-rébellion, qui tourne en dérision le décret de nomination de M. Charles Konan Banny, signé de la main du chef de l’Etat, pris 24 heures après la décision des médiateurs de l’UA d’imposer le gouverneur de la BCEAO à la classe politique ivoirienne.

« Pendant cinq ans, il a brandi sa signature comme le sésame qui ouvrait toutes les portes. Depuis l’acte de nomination du nouveau Premier ministre de transition, la fameuse signature qui fait et défait les hommes selon Saint Laurent, n’est plus qu’un vieux souvenir, un vestige, un fossile exposé au musée des reliques politiques de la Côte d’Ivoire », ironise le journal qui prononce l’oraison funèbre de « la fameuse signature qui a tiré la Côte d’Ivoire vers les profondeurs abyssales ».

Discorde au sein de la presse proche de Gbagbo

Le fait que la communauté internationale ait imposé M. Banny à la tête du futur gouvernement de transition a manifestement jeté le trouble, voire le désarroi si ce n’est la consternation, dans la presse proche du camp présidentiel, où il s’est même trouvé un journal, en l’occurrence « Le courrier d’Abidjan », animé par le franco-Camerounais Théophile Kouamouo, qui s’en prend en termes très crus à M. Gbagbo, pratiquement accusé d’être un lâche, pire « un traître à la résistance du peuple ivoirien ».

« Les résistants ivoiriens rêvent tellement que Gbagbo soit des leurs, qu’ils mettent tout sur le compte de la stratégie. Qu’ils ouvrent les yeux pour bien se rendre compte d’une réalité incontournable : Gbagbo n’a jamais décidé de sortir de cette crise par la résistance ! Jamais dans l’histoire, aucun des grands noms qu’on connaît, qui ont défendu de grandes causes, ne les ont reniées à aucun instant, soit-disant par stratégie », fulmine le journal, dont on peut aisément comprendre les récriminations si l’on sait qu’il est très proche de Mme Simone Ehivet Gbagbo, l’épouse du chef de l’Etat, l’un des chefs de file
de l’aile radicale du régime.

Tout en reprochant à son confrère de la « presse bleue » (le bleu est la couleur d’accompagnement de tous les quotidiens proches du camp présidentiel) de ne rien comprendre à la stratégie du chef de l’Etat, et de vouloir le pousser à adopter une attitude suicidaire en jouant au va-t-en guerre, « Notre voix », le porte-voix officieux du Front populaire ivoirien (FPI, au pouvoir), s’efforce d’afficher une certaine sérénité face à la nouvelle donne politique qui, de toute évidence, écorne sérieusement les prérogatives présidentielles de M. Gbagbo.

« Il n’y a pas de temps à perdre dans les batailles de pouvoir. Le Conseil de sécurité a demandé que le Premier ministre ait les pouvoirs nécessaires pour la réalisation de sa mission, tels que prévus par l’Accord de Linas-Marcoussis. Le président Gbagbo est déjà disposé à lui accorder les pouvoirs qui lui seront nécessaires. Et c’est bien ainsi. Cette harmonie qui s’est dégagée à la faveur de la nomination de M. Banny devrait se poursuivre pour le bonheur de la population ivoirienne », tente d’expliquer sobrement le journal, qui cache mal cependant une
certaine anxiété.

« Bonne arrivée, Charly ! », lance, sur le ton badin qu’il semble affectionner particulièrement, Venance Konan, certainement le plus talentueux des éditorialistes du groupe « Fraternité matin », le quotidien gouvernemental, en guise de bienvenue au nouveau Premier ministre qui a finalement « accepté de descendre dans nos marigots pleins de crocodiles, de serpents, de crapauds et de scorpions ».

Et le journaliste de brosser un tableau très chargé des lourdes tâches qui attendent le nouveau locataire de la primature à qui la communauté internationale a donné « des pouvoirs quasi présidentiels » pour qu’il évite au pays de sombrer définitivement. Mais cela ne sera pas chose aisée, assure Venance qui n’écarte pas une chaude empoignade au sommet de l’Etat.

« On n’a pas besoin d’être sorcier baoulé ou marabout sénégalais pour prédire qu’entre vous et le chef de l’Etat, il va y avoir de la bagarre. Beaucoup de courage et de chance Charly ! », écrit l’éditorialiste qui semble souhaiter bien du plaisir au gouverneur Banny. Histoire de lui dire sans doute qu’il a pris des risques en abandonnant le confort douillet de son grand bureau dakarois pour le panier de crabes abidjanais.

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