France : une mosquée ouverte au mariage gay


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Ludovic-Mohamed Zahed

En France, et partout dans le monde, nombreux sont les croyants, musulmans, juifs ou chrétiens qui tentent de concilier leur foi religieuse à leur préférence sexuelle. En ligne de mire, les homosexuels. Ludovic-Mohamed Zahed, fondateur et porte-parole de l’association Homosexuels musulmans 2 France ((HM2F) pense avoir trouvé la solution pour les musulmans de France qui se sentent rejetés des mosquées. L’ouverture prochaine d’un lieu de culte « inclusif », à Paris, où homosexuels et autres parias des mosquées traditionnelles seront accueillis. Entretien.

L’idée peut surprendre. Un lever de boucliers peut-être déclenché par les religieux, conservateurs et autres traditionalistes de la religion musulmane. Mais elle peut aussi être applaudie par les réformistes. Alors que le mariage homosexuel fait actuellement débat dans la société et la politique française, l’association Homosexuels musulmans 2 France (HM2F) a l’intention d’ouvrir, à Paris, une mosquée « inclusive » qui accueillera les musulmans qui ne se sentent pas à l’aise dans les mosquées traditionnelles. Principales cibles : les homosexuels, les hommes efféminés ou encore les femmes qui refusent de porter le voile et d’être séparées des hommes lors des prières. Sans complexe, le lieu de culte, qui doit ouvrir ses portes d’ici à fin novembre, célèbrera les mariages entre personnes de même sexe. Une première en France. Le fondateur et porte-parole de HM2F, Ludovic-Mohamed Zahed, un Franco-Algérien de 35 ans à l’initiative du projet, donne sa vision du mariage homosexuel dans l’Islam. Né en Algérie, puis arrivé à l’âge de trois ans en France, ce docteur en anthropologie du fait religieux s’est marié à un homme devant un imam en août 2011. Il est l’auteur du livre Le Coran et la chair (Editions Max Milo), sorti jeudi 29 mars 2012.

Ludovic-Mohamed Zahed
Afrik.com : Expliquez-nous le principe de cette mosquée dite « inclusive » ?

Ludovic-Mohamed Zahed :
Ce ne sera pas une mosquée gay. Elle accueillera les gens qui ne se sentent pas à l’aise dans leur mosquée. Les femmes qui ne souhaitent pas porter le hijab (voile islamique, ndlr) seront les bienvenues. Les hommes efféminés qui se sentent rejetés se sentiront à leur place dans cette mosquée. La porte sera également ouverte aux hétéros. Plus de vingt personnes ont confirmé leur venue lors de l’ouverture, fin novembre, de cette nouvelle mosquée. Ce sont des personnes intéressées par cette association de musulmans progressistes en France.

Afrik.com : Des homosexuels, des hommes efféminés, des femmes non voilées et mélangées aux hommes… Vous allez, en quelque sorte, casser les codes religieux de l’Islam ?

Ludovic-Mohamed Zahed :
Les femmes seront libres de prier comme elles le veulent. Vous savez, à l’époque du prophète, les femmes priaient à la Mecque aux côtés des hommes.

Afrik.com : Donc, mosquée révolutionnaire ou mosquée ancestrale ?

Ludovic-Mohamed Zahed :
C’est une vraie question. Sommes-nous des radicaux ou des innovateurs ? Je pense que l’on revient tout simplement à la source de l’histoire. A l’époque, accorder des droits aux femmes était révolutionnaire. C’est une chose qui s’inscrit dans des réflexions qui animent les musulmans depuis l’origine de l’Islam.

« L’Islam n’est pas là pour nous dire avec qui l’on doit se marier »

Afrik.com : Mais, selon vous, est-ce que les règles de prière sont-elles respectées dans ces conditions ?

Ludovic-Mohamed Zahed :
La question est : est-ce que les règles dans les mosquées traditionnelles respectent l’esprit d’égalité de l’Islam ? Je n’en suis pas persuadé. Quand Aïcha, la femme du prophète, priait, c’était dans les mêmes rangs que ceux des hommes. Elles donnaient même des cours de religion en compagnie du prophète Mohammed. Mais aujourd’hui, les femmes ont relégué à un rang subalterne. La problématique de la représentativité et de l’esprit de l’Islam se pose.

Afrik.com : Des imams sont actuellement en formation pour intégrer cette future mosquée. Sont-ils gays ?

Ludovic-Mohamed Zahed :
Pas tous non. D’ailleurs, une majorité n’est pas gays dans cette association.

Afrik.com : Comment un mariage homosexuel entre musulmans est-il célébré ?

Ludovic-Mohamed Zahed :
Eh bien vous fêtez ça avec tout le monde. A l’instar de tout mariage religieux en Islam, il y a une demande et une acceptation devant deux témoins voire plus. Un imam, ou une autre personne, dirige l’office et récite le coran.

Afrik.com : Les trois religions monothéistes condamnent la pratique de l’homosexualité. Comment arrivez-vous à concilier votre orientation sexuelle avec votre foi ?

Ludovic-Mohamed Zahed :
Le terme homosexuel a été inventé au XIXe siècle par des médecins et psychiatres européens. Il y a un amalgame dans les écrits de la Thora, du Coran et de la Bible. Cette histoire de tuer les homosexuels est une pure invention. Le prophète de l’Islam ne l’a jamais fait. A l’époque, à Médine des hommes étaient androgynes. Certains s’habiller et se comporter comme des femmes. Mais le prophète les considérait. Il avait de l’affection pour eux. D’ailleurs, les femmes du prophète ne se voilaient pas devant eux.

« Je souhaite que ma vie de couple soit reconnue »

Afrik.com : Sa pratique est donc, selon vous, tolérée en Islam ?

Ludovic-Mohamed Zahed :
Mon analyse va au-delà de ça. Il n’y a pas de contre-indication ou d’incompatibilité. Il y a des homosexuels qui s’opposent au mariage gay. Pour eux, le mariage est une supercherie. Mais moi je veux vivre dans un pays où le droit accès à cet avantage social soit reconnu. Je souhaite que ma vie de couple soit reconnue au sein de la société. L’Islam n’est pas là pour nous dire avec qui l’on doit se marier.

Afrik.com : Il y a pourtant plusieurs versets dans le Coran qui s’opposent aux actes d’homosexualités. Notamment celles qui fait référence au peuple de Loth. Il est désigné comme étant un peuple « outrancier », car les hommes assouvissaient leurs désirs charnels avec d’autres hommes. Il est écrit qu’il s’agissait d’un peuple « ignorant ». Vous sentez-vous ignorant ?

Ludovic-Mohamed Zahed :
C’est aux gens d’en juger. Je n’ai pas l’impression que les gens nous considèrent comme tel. Il y a deux façons de mettre en exergue l’interprétation la plus viable et la plus fiable de ces versets. Je ne me sens pas concerné par ces écrits. Le peuple de loth est décrit comme un voleur, un pirate et un violeur. Cela laisse à penser que la pratique de l’homosexualité n’était pas uniquement visée. Il y a un verset qui dit : « Vous livrez vous à cette turpitude que nul, parmi les mondes, n’a commise avant vous » (Sourate 7, verset 80-81, ndlr). L’homosexualité existait pourtant déjà. J’insiste vraiment sur la recontextualisation des versets. C’est comme l’alcool, certains disent que sa consommation est interdite alors que d’autres estiment qu’un peu d’alcool est toléré. Je ne suis pas là pour convaincre qui que ce soit, mais pour aider ceux qui souffrent. Il faut libérer la parole.

Afrik.com : Une manifestation contre le mariage homosexuel, prévue ce samedi, rassemblera des chrétiens, des juifs et des musulmans. Quel message souhaitez-vous leur faire passer ?

Ludovic-Mohamed Zahed :
Il faut se réunir pour parler de la liberté, du progressisme, de la liberté de disposer de son corps et de l’identité des genres. Qu’une femme porte la burqa ou non, être homosexuel ou pas, au fond qu’est-ce que cela va changer dans la relation entre un croyant et le créateur ? Rien. On doit s’exprimer librement. Eux manifestent contre et nous pour. Chacun est libre de penser.

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