FONAREV en RDC : un fonds de réparation détourné de sa mission initiale ?


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Nord-Kivu
Carte de la RDC avec la province du Nord-Kivu

Institué pour répondre aux attentes de justice des victimes de violences sexuelles et de crimes de guerre, le Fonds national de réparation des victimes (FONAREV) a vu sa gestion dériver en quelques années. Sur plus de 212 millions de dollars collectés entre 2024 et 2025, moins de 2,5 % ont été consacrés aux réparations promises. Les documents financiers, les rapports de contrôle et les comparaisons internationales mettent en évidence une gouvernance verrouillée et une utilisation des ressources qui s’écarte de son mandat.

Créé en 2022 et alimenté depuis 2023 par 11 % des redevances minières, le FONAREV devait constituer une avancée majeure pour la RDC, où des millions de victimes de conflits attendent une reconnaissance et un soutien concret. L’objectif affiché était d’identifier les survivantes, de financer leur prise en charge et de mettre en œuvre des programmes de réparation, individuelles ou collectives.

Trois ans plus tard, les constats dressés par l’Inspection générale des finances, les rapports internes et plusieurs enquêtes publiques convergent : l’essentiel des fonds collectés a été absorbé par des dépenses administratives, des primes exceptionnelles et des financements sans lien direct avec la mission du fonds. Les organes de contrôle ont été neutralisés, tandis que la tutelle institutionnelle reste écartée des décisions.

Une gestion financière marquée par l’opacité

Entre janvier 2024 et juin 2025, le FONAREV a engrangé plus de 212 millions de dollars. Pourtant, le rapport financier du deuxième trimestre 2025 montre que sur 61 millions recouvrés, plus de 32 millions ont été dépensés en frais de fonctionnement et salaires, alors que les programmes de réparation n’ont bénéficié que d’une part résiduelle. Certaines directions ont largement dépassé leurs crédits initiaux, comme la direction financière, qui a consommé 130 % de son budget.

La décision prise en février 2025 d’octroyer une prime rétroactive de 8 % sur l’ensemble des recettes collectées depuis la création du fonds illustre cette logique. Cette mesure a entraîné un décaissement immédiat de 14 millions de dollars, distribué en espèces à des gestionnaires déjà rémunérés. Cette pratique, inhabituelle dans la gestion publique, reflète une priorité donnée à l’autofinancement des structures internes plutôt qu’au mandat de réparation.

En parallèle, le fonds a engagé d’importants moyens dans des procédures contractuelles. En mai 2025, un appel d’offres a été lancé pour recruter cinq cabinets chargés d’identifier et de conduire la due diligence des organisations éligibles dans 26 provinces. Si l’initiative peut sembler répondre à une exigence de rigueur, elle traduit aussi un choix de lourdeur administrative, mobilisant des ressources supplémentaires sans garantie d’efficacité directe pour les survivantes.

Des victimes reléguées au second plan

Les communiqués du FONAREV avancent des chiffres ambitieux : 400 000 victimes pré-identifiées, cliniques mobiles déployées dans la Tshopo ou l’Ituri, assistance médicale pour 20 000 personnes. En pratique, cependant, les réalisations tangibles sont restreintes : trois forages, la rénovation d’une école au Nord-Kivu, un mémorial à Kisangani, et la prise en charge ponctuelle de 115 survivantes. Ce contraste entre les annonces et les actes traduit une déconnexion profonde entre les intentions affichées et les résultats effectifs.

Dans ce contexte, les opérations mémorielles et politiques mobilisent des ressources disproportionnées. La commémoration du « Génocost » du 2 août 2025, inscrite dans la législation congolaise, a coûté plus de 1,6 million de dollars. Au-delà de la dimension symbolique, cette manifestation sert un positionnement politique : elle a été liée à une pétition parlementaire et à un plaidoyer présidentiel devant l’ONU en faveur de la reconnaissance d’un « génocide congolais ». Or ce récit, en établissant un parallèle hasardeux avec le génocide des Tutsis de 1994, s’inscrit dans un contexte de tensions aiguës entre la RDC et le Rwanda. La mémoire victimaire congolaise devient ainsi un outil de diplomatie défensive, mobilisé pour redéfinir les rapports de force symboliques avec Kigali et asseoir une légitimité internationale.

Les programmes d’identification, pourtant censés placer les victimes au centre du dispositif, ne sont pas épargnés par cette logique. L’opération de recensement à Tshikapa, lancée en juin 2025 et couvrant les exactions depuis 1993, reste majoritairement sous contrôle direct du FONAREV, sans mécanisme indépendant de vérification. Ce choix institutionnel renforce les doutes sur la crédibilité de la démarche et alimente l’idée que les victimes sont davantage instrumentalisées dans un récit politique qu’accompagnées par un processus de réparation impartial.

Un écart croissant avec les standards internationaux

Comparé à d’autres mécanismes de réparation, le FONAREV apparaît en décalage. Le Fonds au profit des victimes de la Cour pénale internationale, par exemple, a lancé en 2024 un appel urgent de 5 millions d’euros pour indemniser 40 000 victimes en Ouganda. Transparence budgétaire, gouvernance collégiale et implication des survivants constituent la base de ce modèle.

En Afrique de l’Ouest, le Fonds de développement économique local (FODEL) en Guinée publie systématiquement les montants versés par les compagnies minières aux communautés et les affecte sous contrôle de comités locaux. Au Liberia, le Sénat a ouvert en 2021 le chantier d’un fonds de réparations post-guerre civile, modeste mais placé sous contrôle parlementaire. Ces exemples montrent que des modèles participatifs et transparents peuvent être mis en œuvre dans des contextes difficiles.

La RDC suit une trajectoire inverse. La gouvernance du fonds est concentrée dans les mains de proches du couple présidentiel, tandis que les mécanismes de contrôle nationaux, comme l’Inspection générale des finances, sont court-circuités. En septembre 2025, une plainte a même été déposée à Bruxelles contre la famille Tshisekedi pour détournement et blanchiment de fonds liés au FONAREV. Ce recours à la justice internationale illustre à la fois l’ampleur des soupçons et la défiance croissante des partenaires extérieurs, y compris ceux des Nations unies, qui continuent pourtant à coopérer avec le fonds.

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