Droits de l’homme au Cameroun : une nouvelle commission de façade ?


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Le gouvernement camerounais a déposé au Parlement le projet d’une nouvelle loi créant et organisant la Commission camerounaise des droits de l’homme. Ce projet a été écrit sans aucune consultation de la société civile et inquiète plus qu’il ne rassure.

Dans son article, Chofor Che Christian Aimé, explique que ce projet de loi ressemble bien à une réforme faite sur mesure pour séduire la communauté internationale et rassurer les bailleurs. En effet, les attributions de la Commission camerounaise des droits de l’homme empêchent de s’attaquer aux vrais problèmes et laissent les dirigeants hors d’atteinte. Une réforme en demi-mesure qui risque bien figer durablement la situation de non respect des droits de l’homme au Cameroun.

Le Réseau des défenseurs des droits de l’homme de l’Afrique centrale (REDHAC), “Dynamique Citoyenne”, “Nouveaux Droits de l’Homme”, le “Centre pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique” et le “Centre pour le droit et la politique publique”, et bien d’autres organisations de la société civile, ont souligné avec inquiétude, le dépôt devant le Parlement d’un «projet de loi relatif à la création, à l’organisation et au fonctionnement de la Commission camerounaise des droits de l’homme». Que signifie cette inquiétude ?

Des réformes de fond en catimini

En effet, le texte a été élaboré sans consultation préalable avec les principaux acteurs de la promotion et de la protection des droits de l’homme dans le pays, notamment les organisations de la société civile. Selon les médias publics, notamment la radio-télévision camerounaise (CRTV), le gouvernement avait présenté le projet de loi susmentionné au Parlement le 26 juin 2019. Cette nouvelle Commission des droits de l’homme a été finalement créée avec la promulgation du projet de loi 19 juillet 2019.

La réforme de l’ancienne Commission nationale des droits de l’homme et des libertés (CNDHL) a été au centre des préoccupations de la société civile camerounaise pendant plusieurs années, en particulier la nécessité de remédier aux lacunes dans la désignation des commissaires de cet organe et dans l’exécution de son mandat. Dans l’exposé des motifs qui accompagnait le projet de loi tel que déposé, le gouvernement expliquait que ce projet de loi visait à répondre à un certain nombre de critiques formulées à l’encontre de la CNDHL de l’époque, notamment: (i) la portée limitée de son mandat, (ii) le nombre excessif de ses membres, et surtout la surreprésentation des agents de l’administration publique, (iii) le statut fragile de ses membres, (iv) le caractère non contraignant de ses recommandations, (v) le manque d’autonomie budgétaire (vi) et en particulier le fait que l’ancienne Commission ne se conformait pas aux “Principes de Paris”, un ensemble de normes internationalement reconnus régissant le statut et le fonctionnement des commissions nationales des droits de l’homme dans le monde entier.

Un contournement habile des vraies solutions

Le projet de loi destiné à réformer ladite commission n’aurait logiquement dû être déposé qu’après un processus de consultations inclusif, organisé dans le but à la fois de sensibiliser et de susciter des contributions de fond émanant des différents segments clés de la société civile. Malheureusement, une telle approche non participative a pour conséquence qu’elle risque de passer à côté des vrais problèmes et de s’éloigner des solutions les plus adaptées aux besoins réels. Cela hypothèque les chances de la nouvelle loi d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixée. Le mandat de la Commission nationale des droits de l’homme reste limité puisqu’elle ne peut pas enquêter par exemple sur des cas graves de violation des droits de l’homme impliquant des hauts responsables proches du régime en place. De même, elle n’est toujours pas en mesure de rechercher des solutions aux violations des droits et aux atteintes des libertés des citoyens dans le pays. De plus, en dépit de la nouvelle loi, la commission reste politisée en raison de l’existence d’un nombre significatif des commis de l’Etat qui y siègent. Quant à ses décisions, elles ne seront pas totalement contraignantes, car elle manqué d’autonomie, notamment financière puisqu’elle dépend toujours de contributions et de la bonne volonté du gouvernement central. Alors, quel est l’intérêt derrière la nouvelle loi ? Existe-t-il une volonté politique de lutter contre les violations des droits de l’homme dans le pays ?

Un outil sur-mesure pour plaire à la communauté internationale

Selon un récent rapport publié en 2019 par un groupe d’organisations internationales de défense des droits humains, notamment Human Rights Watch et Amnesty International, le gouvernement camerounais n’a aucune volonté politique en mettant en place une telle commission des droits de l’homme. Cette position est corroborée par plusieurs groupes nationaux de la société civile, y compris le clergé du pays. En réalité, le gouvernement central ne fait que manœuvrer politiquement en vue de calmer les citoyens mécontents qui revendiquent depuis longtemps des réformes pour réhabiliter leurs droits.

Par ailleurs, une telle institution est programmée pour être faible et dysfonctionnelle dans la mesure où le gouvernement central définira non seulement ses domaines de compétence, mais veillera également à ce qu’il fasse des rapports sur mesure, et fera pression pour orienter ses jugements dans un sens politiquement correct.

En apparence, la Commission des droits de l’homme nouvellement créée prétend adhérer aux «Principes de Paris», un ensemble de principes internationalement reconnus qui régissent le statut et le fonctionnement des commissions nationales des droits de l’homme dans le monde. Mais, en réalité, le gouvernement essaye de redorer son blason auprès des donateurs afin de bénéficier des financements généreux des partisans de la création d’institutions humaines nationales conformes aux Principes de Paris.

Avec de telles lacunes dans la forme et le fond de l’architecture de la nouvelle loi, la Commission nationale des droits de l’homme sera forcément aussi dysfonctionnelle et inefficace que la précédente. D’où la nécessité de dépolitiser cette commission et de mobiliser toutes les bonnes volontés dans le cadre d’un dialogue national inclusif et constructif. Seule cette approche est en mesure d’apporter les réponses susceptibles de promouvoir la société de droits et libertés tant attendue par les citoyens camerounais.

Par Chofor Che Christian Aimé, cofondateur du Centre centrafricain pour la pensée et l’action libertaires, Cameroun. Le 2 août 2019.

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