Djiby Diakhaté : « S’il n’y a plus de doctrine en politique, c’est la porte ouverte à la violence »


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Djiby Diakhaté
Djiby Diakhaté, sociologue

La violence est perceptible dans le monde entier, avec des agressions en cascade, dans les rues et même dans les plus hautes institutions. Et le Sénégal n’est pas épargné par ce fléau. Pour mieux comprendre les phénomènes à la base de ces violences, AFRIK.COM a ouvert ses pages au sociologue sénégalais Djiby Diakhaté, qui met le doigt sur cette plaie béante, non sans proposer un remède.

Entretien

AFRIK.COM : Nous constatons, depuis quelque temps, une flambée de la violence, dans le monde en général, au Sénégal en particulier. Prenant l’exemple du Sénégal, qu’est-ce qui, selon vous, explique ce phénomène ?

Djiby Diakhaté : On peut effectivement constater, ces derniers temps, un déferlement de la violence au Sénégal, qui est une violence qui atteint des proportions de plus en plus élevées et qui touche plusieurs domaines. Nous avons la violence physique, ce sont les cas de meurtres, d’agressions, de viols… ; nous avons la violence verbale, notamment les insultes, les injures qu’on constate beaucoup au niveau des réseaux sociaux ; nous avons la violence symbolique avec les formes d’exclusion dont certains sont victimes ; la violence économique avec la pauvreté qui atteint des proportions de plus en plus élevées et qui fouette une bonne partie de la population.

De façon générale, la violence a tendance à se développer chez nous sous plusieurs formes. Il faut voir que l’un des facteurs explicatifs et qui me semble être le plus important, c’est la fragilisation des structures de régulation. Nous avons d’abord la régulation externe : c’est tout ce qui concerne les forces de sécurité, la justice, la famille, le quartier. Bref, la régulation communautaire. On a l’impression que toutes ces structures, qui reposaient sur des règles de fonctionnement et sur des valeurs, ont tendance à se fragiliser, laissant la place à une sorte de vide, qui fait que l’insécurité gagne de plus en plus de terrain dans nos quartiers, dans nos familles et dans nos communautés.

A côté de la fragilisation de ces structures de régulation externe, nous avons aussi la fragilisation des structures de régulation internes. Ça, c’est surtout au niveau de l’acteur. C’est-à-dire, toutes les valeurs morales qui étaient inculquées à l’individu et qui imprimaient une orientation à sa conduite, ont tendance à s’effriter, laissant la place à un vide sur le plan moral. Ce qui fait que de plus en plus, certains acteurs ne voient plus de régulation interne, ne voient plus clair, ne voient plus de règle morale et ont tendance à se laisser emporter par des passions, par des instincts, nous installant dans une violence qui devient de plus en plus inouïe et que l’on retrouve surtout dans les milieux où évidemment ces valeurs n’ont plus de poids.

Selon vous, comment parvenir à une atténuation de ces violences, à défaut d’une éradication ?

A mon avis il faut justement renforcer ces structures de régulation, aussi bien au niveau externe qu’au niveau interne. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu’il faut que les forces de sécurité soient suffisamment bien dotées, bien préparées et bien formées pour s’acquitter convenablement de leur mission. Alors, s’acquitter de leur mission ne signifie pas aussi exercer une violence policière, donc une autre violence qui remplace une violence déjà existante.

Mais il s’agit de les former et de faire en sorte que l’on travaille plus sur la prévention, sur l’anticipation que sur la gestion des situations de violence déjà existantes. C’est, à mon avis, réguler au plan externe. Mais c’est aussi renforcer l’arsenal juridique et travailler dans le sens du développement de la citoyenneté et du civisme. Ce sont des éléments importants qui permettraient de jouer un rôle en termes de prévention par rapport à la violence.

Au niveau interne, il faut songer au développement de la famille. Il faudrait que la famille continue à jouer son rôle de cellule sociale de base. Donc, il faut renforcer la famille. Il faudrait qu’au niveau du ministère de la Famille, on dispose d’un instrument de politique familiale, ce qui n’existe pas encore. Et cet instrument de politique familiale est important, puisqu’il donne une idée du type de famille que nous voulons construire et quels sont les acteurs qui seront au centre de la construction de ce nouveau type de famille, mettant l’enfant au cœur du dispositif.

Parce qu’aujourd’hui, on s’est rendu compte que même au niveau de nos écoles, il y a problème. Par exemple, à la fin de l’année, on a vu des enfants déchirer leur tenue, déchirer leurs cahiers, casser des tables-bancs et même incendier des tables-bancs. Ce qui montre qu’il y un problème de régulation interne. Ce que je veux dire ici, c’est que l’éducation n’a pas suffisamment bien marché et que les enfants n’ont pas intériorisé des valeurs morales fortes, ce qui fait que, évidemment, les instincts ont tendance à s’exprimer de la façon la plus brutale qu’il soit.

Quid de la violence politique ? Nous voyons des empoignades dans les Parlements du monde entier, des hommes politiques qui s’injurient…

C’est très simple, c’est parce qu’il n’y a plus d’idéologie, et principalement dans notre pays, le Sénégal. En réalité, quand dans la politique, il n’y a plus de doctrine, il n’y a pas d’idéologie, il n’y a pas de philosophie, alors c’est la porte ouverte à la violence tout court. Avant, nous avions des débats de doctrine, des débats programmatiques, des débats philosophiques. Des gens appartenaient à des partis : que ce soit des libéraux, socialistes, maoïstes, léninistes etc. Il y avait donc une philosophie qui sous-tendait l’action politique en tant que telle.

Sous ce rapport, lorsque quelqu’un militait dans un parti politique, il était bien formé à la compréhension de l’idéologie du parti. C’est pourquoi les écoles du parti fonctionnaient, les instances du parti fonctionnaient et que le militant n’était pas seulement un militant alimentaire, mais un militant formé à l’idéologie du parti, et qui se battait pour des idéaux, qui se battait pour des principes.

Aujourd’hui, on se rend compte que l’idéologie n’existe pratiquement plus, que les écoles du parti n’existent plus et finalement on se bat pour quoi ? On se bat en politique simplement pour des postes. On ne se bat plus pour le triomphe d’un idéal, on ne se bat plus pour le triomphe d’une philosophie ou d’un principe, d’un rêve de développement, on se bat simplement pour des postes, on se bat pour de l’argent. Et à partir de ce moment-là, il est clair qu’en lieu et place de combats idéologiques et de combats doctrinaux, on a des combats physiques, des combats de gladiateurs, aussi bien au niveau de l’Assemblée nationale qu’au niveau de l’arène politique, de façon générale.

Quel appel lancez-vous justement à ces politiques qui gouvernent et qui doivent tout de même montrer l’exemple ?

C’est surtout les appeler à faire triompher ces idéologies, faire fonctionner les écoles du parti. Il me semble que c’est important de mettre l’accent sur la formation des militants. A partir de ce moment-là, que les hommes politiques travaillent à mettre en avant les connaissances, les sciences des conduites. Mais il me semble que chaque homme politique a besoin, aujourd’hui, de plus en plus de bras que d’autre chose. Les gens se font entourer de gros muscles, les gens se font entourer d’insulteurs et n’ont pas autour d’eux des personnes qui réfléchissent et qui proposent des perspectives de développement.

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Journaliste pluridisciplinaire, je suis passionné de l’information en lien avec l’Afrique. D’où mon attachement à Afrik.com, premier site panafricain d’information en ligne
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