Dans la peau des sapeurs congolais de Paris


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Armel Landry Mopao

D’après la légende, le mot « Sape » aurait été inventé par le célèbre musicien congolais, Papa Wemba. Dans le dictionnaire, « Sapé » est défini comme tel : habillé. En République démocratique du Congo (RDC) et au Congo-Brazzaville, le verbe « Saper » signifie bien s’habiller, et le terme « Sapologie » est traduite par Wikipedia comme « La société des ambianceurs et des personnes élégantes ». Les Congolais ne se sont pas mis sans raison à se passionner pour les marques de haute couture et les vêtements de couleurs fluo. Le phénomène de la sape puiserait ses racines de l’immigration portugaise en Afrique qui à l’époque de l’esclavage habillait l’aristocratie avec de la matière importée pour qu’elle se distingue du peuple. De fil en aiguille, l’élite congolaise s’en est emparée notamment les musiciens, et enfin les Congolais lambda commencent à imiter leurs idoles pour eux aussi ne pas passer inaperçus et laisser une trace de leur existence sur terre avant de mourir. La mode de la sape est ainsi devenue une philosophie voire une religion pour certains sapeurs congolais de Paris. Reportage à la boutique Connivences de Château Rouge, dans le 18e arrondissement de la capitale, le point de ralliement des dandys africains de France.

Arrivé à Château Rouge, dans le 18e arrondissement de Paris, tous les Congolais du quartier connaissent la boutique Connivences de The Bachelor, alias Jocelyn Armel, lui-même sapeur et responsable du magasin de vêtements haut de gamme de luxe spécialement conçus pour les amoureux de la sape. Ouvert le 30 juin 2005, le lieu est devenu le point de ralliement des Congolais de France qui viennent, de partout, s’approvisionner en costumes trois pièces (de 249 à 379 euros) ou encore en chaussures de soirée de grandes marques. Oui, même à Paris, la mode de la sape est un phénomène. A se demander d’où vient cette « Société des ambianceurs et des personnes élégantes » ?

Armel Landry Mopao
Armel Landry Mopao, 40 ans, père de 4 enfants, Epinay-sur-Seine

« Je gagne 1800 euros par mois, et j’en dépense 1400 »

Afrik.com : D’où vous vient cette passion pour la sape ?

Armel Landry Mopao :
Depuis nos ancêtres. J’ai aimé la sape depuis l’enfance, j’étais déjà à l’époque passionné par les sapeurs Mikilistes (Occidentaux), Armel The Bachelor c’est par exemple mon modèle.

Afrik.com : Combien vous dépensez par mois pour vous habiller comme un sapeur ?

Armel Landry Mopao :
Moi, tout ce que je gagne va dans la sape. Je gagne 1800 euros par mois, et j’en dépense 1400. D’abord les habits, les courses après !

Afrik.com : Comment vous faîtes pour vivre ?

Armel Landry Mopao :
Hormis mon salaire de cariste, je suis par ailleurs commerçant : j’achète des voitures bon marché en Allemagne et je les revends en France et au Congo. Il faut quand même économiser car on a laissé de la famille en Afrique.

« La sape a d’abord été un instrument de distinction sociale et un outil de domination politique. Pendant l’esclavage, la sape, traduite par des habits réalisés avec de la cotonnade et des tissus ramenés par des Portugais en provenance de l’Afrique du nord, apparaît comme une culture de cour, l’aristocratie s’habille différemment du peuple pour se distinguer de lui », confie à Afrik.com Axelle Arnaut-Kabou, l’auteure du livre « Comment l’Afrique en est arrivée là » dans lequel elle dépeint les dérives de la sapologie. « Cet outil de distinction et de domination sociale est devenu, aujourd’hui, un outil de subversion sociale. C’est-à-dire, des gens dont on ne sait pas comment ils gagnent leur argent, ils soignent leur apparence pour être vus, et sortir de la misère, or la société attend d’eux qu’ils prennent par exemple en charge leur famille etc. », ajoute la sociologue africaine renommée.

Toute autre ambiance à la boutique Connivences de Château Rouge. La musique congolaise battant son plein, un sapeur fidèle client du magasin dédié à la sape lance : « The Bachelor c’est plus qu’un sapeur, c’est un grand homme, moi je reconnais ses talents dans la sape congolaise. Il taille bien ses coupes, quand tu mets sa veste tu te sens bien dedans ». De son vrai nom, Jocelyn Armel est arrivé en France en 1977 grâce à un visa étudiant. Ce qui lui a permis de faire ses études universitaires sanctionnées par une maîtrise en Administration économique et sociale (AES) option gestion des entreprises. Pour lui, la sapologie c’est d’abord et avant tout l’amour de soi-même et non du narcissisme exacerbé. Mais se faire beau, au quotidien, c’est hors de prix.

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La sapologie : une passion aux nombreux sacrifices

La sapologie c’est une philosophie à part entière. Une sorte de dandysme à l’africaine. « Chez nous, c’est un défi. Si tu ne t’occupes pas de la sape, c’est la sape qui va s’occuper de toi. C’est un choix que tu ne peux pas dévier. Même si tu le dévies, c’est ta femme ou entourage qui va le faire », nous déclare Oko Guy, ce Congolais de 40 ans résidant à Savigny-sur-Orge dans le département de l’Essonne (91). Pour certains sapeurs, la sape s’apparente à une religion à qui on peut tout sacrifier. Même si ce client de la boutique Connivences s’en défend : « Ce n’est pas une religion il y a qu’un seul Dieu. Enfin, ça dépend des gens. C’est plus, une philosophie gravée dans nos têtes comme une pièce d’ordinateur, je ne sais pas si c’est la pièce mémoire ou centrale, mais personne ne le sait ».

Pourtant, cette passion de la sape fait faire des folies. A 60 ans, Jean-Marc, amoureux des belles chaussures, est célibataire sans enfants. « Depuis 14 ans, je me passionne pour les chaussures. Quand je vois quelqu’un de bien habillé, la première chose qui attire mon attention c’est ses chaussures », assure-t-il. « Quelles sont vos chaussures préférées ? Les anglaises (John Lobb), puis les françaises (Weston), et enfin les italiennes (Aubercy) », nous répond ce Congolais qui dépense pas moins de 3000 euros par an -car pour une belle chaussure il faut compter minimum 400 euros. Pour assouvir ses besoins en chaussures, il fait donc énormément de sacrifices : « En effet, beaucoup d’astreintes, des priorités sacrifiées, on se prive également de bien manger. Et, à cause de ces sacrifices, on sacrifie aussi notre propre vie. Ça fait 36 ans que je suis en France et je ne suis toujours pas retourné au pays ».

C’est cette dérive que fustige Axelle Arnaut-Kabou. Pourquoi ils dépensent tant d’argent dans la sape ? « A cause de la brièveté de la vie. Le manque de culture d’épargne. La pauvreté : j’ai tellement été pauvre et la seule manière pour moi de me distinguer c’est de m’habiller car je ne peux pas m’offrir une voiture de luxe. Enfin, la peur de la mort : avant de mourir, je profite tout de suite de la vie ! », analyse pour Afrik.com la sociologue également écrivaine du livre « Et si l’Afrique refusait le développement ».

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Entretien avec The Bachelor, alias Jocelyn Armel

Responsable de Connivences, Paris.

Afrik.com : Pourquoi avez-vous ouvert cette boutique ?

Jocelyn Armel :
Je suis un saltimbanque. Ce que je fais revient à faire du show. du décalé, c’est ça qui attire les médias. L’histoire à commencé ici (à Connivences), l’idée était d’ouvrir une boutique pour les sapeurs de France. Connivences c’est la maison-mère.

Afrik.com : Comment expliquez-vous votre succès ?

Jocelyn Armel :
Ce n’est pas les diplômes qui font marcher les affaires, mais ce que t’as dans le ventre. Tu peux, par exemple, ouvrir un restaurant sans être cuisinier. Il faut juste s’entourer des gens compétents.

Afrik.com : vous êtes même devenu célèbre…

Jocelyn Armel :
Le Point m’a consacré une double page. Je suis parti à Roissy récupérer de la marchandise, un douanier m’a reconnu !

Quelques conseils pour bien s’habiller

The Bachelor et un de ses clients ont accepté de donner quelques conseils aux lecteurs d’Afrik.com pour s’habiller comme les sapeurs. « Il faut d’abord laisser parler son imagination, puis s’aimer et enfin, savoir coordonner les couleurs », souligne Jocelyn Armel. A son fidèle client, venu de Saint-Etienne, de poursuivre : « Il faut une certaine harmonie dans les couleurs, varier les vêtements de sorte qu’ils s’adaptent aux circonstances -de travail, de soirée ou de deuil ».

De Londres à Brazzaville, en passant par Paris et Kinshasa, la sape ne cesse d’évoluer. Paul Smith, l’icône de la sape, s’inspire même des couleurs des sapeurs congolais. La dernière trouvaille en date, au Congo, c’est de s’habiller de la tête au pied avec des vêtements taillés dans du papier. C’est le cas d’un jeune homme, âgé de 22 ans, surnommé « Original sapeur ». Pour en savoir plus sur les dernières tendances des sapeurs congolais de Paris, rendez-vous sur les sites : www.connivencesparis.com

Connivences

12 rue de Panama

75018 Paris

01 55 79 75 01

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